Dialogue social mode d’emploi

par | 26 juillet 2018

Suisse : La fin de la paix du travail

Cette année, la Suisse commémore les 100 ans de la grève générale de 1918, la première et la seule qu’elle ait connue au niveau national. Les ouvriers réclamaient notamment la journée de travail de huit heures et l’AVS (Assurance vieillesse et survivants). La tradition helvétique est marquée par la paix sociale, à l’instar de la Suède ou de l’Allemagne. Un ouvrage* du plus grand syndicat de Suisse, l’UNIA, rappelle que durant la période 1955-1970, en pleine Trente Glorieuses, la Suisse n’a connu que trois grèves par année en moyenne, et dans les années 1980, elle a enregistré un taux historiquement bas de participants lors d’un débrayage (0,07 de grévistes pour 1 000 travailleurs). La paix du travail, qui désigne une situation où les conflits collectifs entre employeurs et salariés sont résolus par la négociation, est devenue en Suisse, dans la seconde moitié du XXe siècle, un élément de son identité nationale.

La grève connaît une recrudescence au XXIe siècle, avec des épisodes emblématiques comme celui des ateliers CFF de Bellinzone en 2008, les mouvements de la Boillat à Reconvilier en 2006, de Novartis à Nyon en 2011 ou de Merck Serono à Genève en 2012 et la grève chez l’assureur Generali, à Nyon, qui ne touchait pas une branche traditionnelle. C’est une coutume néanmoins bien ancrée à Genève, qui connaît régulièrement des mouvements dans les Transports publics genevois, à l’aéroport ou aux Hôpitaux universitaires.

Dans la constitution hélvétique depuis 2000

Le droit de grève est inscrit dans la constitution fédérale helvétique depuis 2000, il était auparavant garanti par des accords internationaux signés par la Confédération. Tout est en effet négocié lors de l’établissement du contrat de travail directement entre un salarié et un employeur, ou entre syndicats et patronats lors de la négociation des Conventions collectives du travail (CCT). Ce sont les CCT qui fixent un éventuel salaire minimum et la durée effective du travail (41,7 heures hebdomadaires en moyenne) dans l’entreprise ou la profession. Même si, en 2014, 76% des Suisses ont voté contre l’instauration d’un salaire minimum confédéral, une vingtaine des plus grandes entreprises
suisses ont décidé de respecter un minimum de 4000 francs. S’il existe une CTT de branche, une convention d’entreprise ne peut pas être moins favorable pour ses salariés.

Par ailleurs, la présence de syndicats est prévue par… les conventions collectives de travail, c’est pourquoi certains secteurs et entreprises disposent de délégués syndicaux et d’autres, non. Enfin, tout ce qui relève du contrat de travail figure dans le “Code suisse des obligations” institué en 1911. Une législation du travail fixe un certain nombre de règles minimales d’ordre public sur l’hygiène, la sécurité, l’interdiction du travail des enfants, les congés payés (4 semaines) et la durée maximale de travail (45 ou 50 heures selon les professions), et des lois spéciales portent sur l’égalité, les travailleurs détachés, le travail à domicile, ou encore le travail au noir, etc. En revanche, il n’existe aucune règle sur une indemnité de licenciement (sauf pour les plus de 50 ans ayant 20 ans d’ancienneté), ou les licenciements économiques collectifs dans les entreprises de plus de 250 salariés.

La France : championne du monde de la grève ?

Alors que les syndicats de cheminots ont lancé un mouvement de grève inédit, éveillant le spectre des grèves de 1995 qui ont paralysé la France pendant un mois, le pays commémore les 50 ans des mouvements étudiants et de la grève générale de mai 1968. À l’étranger, la France est en effet réputée pour sa gastronomie, la mode et… ses mouvements sociaux !

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les pays d’Europe du Nord-Ouest (pays nordiques, Allemagne, Grande-Bretagne) ont fondé leurs rapports sociaux sur la négociation qui précède le conflit, tandis que la France a construit un système où le rapport de forces déclenche les discussions pour sortir de la crise. Les grandes grèves vont de pair avec les grandes avancées sociales : la première grande grève nationale en 1906 pour obtenir la journée de huit heures, le Front populaire en 1936 et les premiers congés payés, mai 1968 et les accords de Grenelle qui font entrer les syndicats dans l’entreprise, le combat sur les retraites en 2003 ou la contestation de la loi El Khomri en 2016.

Les syndicats français sont différents de ceux d’autres pays européens, comme en Allemagne où les grands syndicats sont sociaux-démocrates avec une tradition de négociations collectives. La France a une culture syndicale protestataire et la CGT – l’un des principaux syndicats français – a longtemps été marxiste et militante. Les négociations entre syndicats et patronat tournent souvent à l’affrontement, comme lors du conflit social au siège d’Air France en octobre 2015.

Cinq syndicats représentatifs

Cinq syndicats sont considérés comme représentatifs, ce qui signifie qu’ils regroupent plus de 8 % des suffrages lors des élections professionnelles au niveau national ou de branche et 10% dans les entreprises. Cela leur donne le droit de participer, négocier et conclure les accords concernant les salariés.

Dans l’Hexagone, on estime qu’à peine 8,7 % des salariés du privé adhèrent à un syndicat – l’un des taux les plus faibles d’Europe – et près de 20% des fonctionnaires. En revanche, les syndicats sont très présents dans les entreprises : 56 % d’entre elles possèdent un groupe syndical, ce qui place la France à la dixième place en Europe. Ils signent chaque année plus de 1 000 accords de branche et 35 000 accords d’entreprise. Avoir droit à l’assurance chômage et à des indemnités en cas de licenciement, faire partie d’une convention collective qui assure une grille de salaire commune à tous sont des droits non soumis au fait d’être syndiqué. Plus de 98 % des salariés français sont sous un régime de convention collective propre à leur branche et négocié par les syndicats, même s’ils n’y adhèrent pas.

Les ordonnances Macron réformant le Code du travail, ratifiées par le Parlement en février, enterrent les comités d’entreprise et les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui fusionnent en un Comité social et économique (CSE). Le CSE pourra devenir un Conseil d’entreprise avec le pouvoir de négociations des délégués syndicaux s’il y a un accord collectif. Il n’y aura qu’une seule instance et moins d’élus. Les entreprises devront avoir mis en place le nouveau dispositif au 1er janvier 2020.

Par Dorothée Thénot

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