Initiale, continue, en alternance, à temps plein ou à distance, libre ou en entreprise… la formation entre dans une ère nouvelle. Poussé par l’explosion des nouvelles technologies, l’accès aux savoirs n’a jamais été plus facile. Enfin, en théorie… car dans les faits, encore faut-il savoir quoi apprendre, savoir comprendre et savoir être. C’est perceptiblement l’orientation prise par un secteur où l’offre reste pléthorique, mais s’adapte à une société de l’immédiateté.
Un diplôme, un job, une entreprise, c’est fini. La formation est affaire d’employabilité mais devient surtout d’intérêt personnel. Les générations se suivent mais ne se ressemblent plus, particulièrement dans leur degré de formation qui s’est globalement élevé en France. En vingt ans, le nombre d’adultes diplômés du supérieur ou en cours d’études supérieures a plus que doublé.
Les Pays de Savoie suivent la tendance. La Savoie comptait voilà neuf ans 17 % de bacheliers et 24 % de diplômés dans sa population “non scolarisée”. En 2014, les deux segments atteignent 18 % et 27 %. En Haute-Savoie, 16 % de la population “non scolarisée” disposait en 2009 d’un bac, 26 % d’un diplôme supérieur. En 2014, ils étaient respectivement 17 % et 31 % dans les deux catégories. L’apprentissage au long de la vie s’invite dans les moeurs.
UNE FORMATION PLUS VOLONTAIRE
De 80 000 en 1998, la formation continue en Rhône-Alpes a ainsi diplômé près de 140 000 personnes en 2014 selon l’INSEE. Logique sans doute sur le plan professionnel tant la formation appartient au génome du Code du travail. Pendant la formation, le salarié embrasse alors un statut calqué sur le cadre juridique de sa situation : plan de formation de l’entreprise, congé individuel de formation (CIF), mobilisation du compte personnel de formation (CPF), validation des acquis de l’expérience (VAE), périodes de professionnalisation.
Sur le plan personnel émerge en revanche une motivation nouvelle qui projette de plus en plus d’individus vers la poursuite ou la reprise d’études. C’est ce que mesure Éric Weiss. Le directeur de la formation continue et de l’alternance à l’Université Savoie Mont Blanc (USMB) voit, sur les cinq dernières années, croître la demande dans son département de 15 % par an. Avec 1 400 contrats d’alternance, le pôle représente même 10 % des effectifs de l’Université sur les trois campus d’Annecy- le-Vieux, Savoie-Technolac et Jacob-Bellecombette.
« Nous couvrons un large panel d’activités, sauf la médecine », dépeint Éric Weiss (photo). Ingénieur en management, technique du bâtiment, économies d’énergie, sociologie, gestion d’entreprises, tous les cursus disponibles à l’USMB sont proposés en formation continue sous la forme de parcours individualisés “modularisables”. Par ce biais, des validations des acquis de l’expérience (VAE) s’adossent à des parcours personnalisés qui picorent dans les contenus universitaires afin d’obtenir un diplôme qui peut aller jusqu’au master. « Ces parcours adultes sont accessibles sur des rythmes adaptés », explique le directeur.
Longtemps subie, la formation deviendrait- elle plus que jamais choisie ? Les candidats auprès de l’USMB, majoritairement des “quadras” désireux de reconversion plus que des égarés de l’orientation, sont en quête de changements ou de briques de compétences pour progresser dans leurs carrières. Chaque cas tend d’ailleurs vers le surmesure. Au point que l’USMB s’apprête à structurer plus encore son expérience “modulo fac” et va créer de toutes pièces, au cours du premier trimestre 2018, son Institut universitaire supérieur de la formation continue. L’entité autonome va agréger les initiatives prises jusque-là dans le domaine de la formation au cours de la vie pour proposer une offre qui pense davantage en blocs de compétences qu’en matières.
UN INSTITUT DE LA FORMATION CONTINUE
Installé dans des locaux rénovés de l’IUT d’Annecy, cet élément interne à l’USMB constitue un outil unique d’accueil, d’orientation et de formation continue, un secteur qui représente actuellement 6 millions d’euros de budget pour l’Université. Disposant de vingt-quatre personnes à temps plein, de cinq chargés de développement et ingénieurs pédagogiques, l’institut disposera de salles dédiées et sera progressivement étendu aux deux autres campus, côté Savoie.

Éric Weiss, directeur de la formation continue et de l’alternance à l’USMB
« Cette création témoigne de notre insertion dans le paysage socio-économique des Pays de Savoie », qualifie Éric Weiss. Reste que la philosophie même de l’enseignement change. Le plan Étudiants lancé par le gouvernement instille de nouveaux paradigmes au sein même des équipes pédagogiques du monde universitaire. Lionel Valet en est intimement convaincu. Vice-président en charge de la formation et de la vie universitaire au sein de l’USMB, il prépare la mise en oeuvre dudit plan et a participé au projet Nouveau cursus, osant quelques petites révolutions dans les processus de formation en licence.
Ancien directeur du département “Apprendre” en charge d’accompagner les enseignants pour faire évoluer les méthodes d’apprentissage et d’enseignement, Lionel Valet sait que « les deux heures de cours récitatifs appartiennent au passé. Notre approche se fait par projet, par intelligence collective et études de cas. La communauté universitaire doit évoluer vers un rôle d’accompagnateur plus que de transmetteur ». Le maître de conférences à Polytech’Annecy-Chambéry parle même d’une nouvelle page qui s’ouvre sur les cinq prochaines décennies. « Former, c’est désormais accompagner à l’appropriation des connaissances rendues disponibles par le numérique, ce n’est plus l’obtention à tout prix d’un diplôme. C’est un changement profond de concept. »
Parcoursup, la nouvelle plateforme d’admission dans l’enseignement supérieur lancée en ligne ce lundi 22 janvier, cherche officiellement l’adéquation entre le projet de l’étudiant et les attendus de la formation choisie, plus qu’une position géographique ou des voeux classés. À la clé doit résider l’épanouissement de l’apprenant après un parcours toujours plus individualisé. Accepter des parcours atypiques et non plus linéaires, c’est aussi le challenge que relève Dominique Chartier.
Le directeur adjoint de la Fédération Régionale des MFR Auvergne-Rhône-Alpes engage les soixante-quinze Maisons Familiales et Rurales qu’il pilote dans la voie de la formation continue. « La tendance se confirme depuis une décennie et nous amène à développer une ingénierie de formation adulte, parfois courte, dans une réelle dynamique avec les territoires. Le résultat est souvent cousu main et réactif. » Le temps de journées thématiques ouvertes aux salariés en besoin de formation, des quadras rejoignent ainsi des étudiants de 17 ans en bac pro pour apprendre. Et s’apporter mutuellement enrichissements et éveils !
"ON PASSE D’UNE LOGIQUE DE FORMATION PAR OBLIGATION À UNE FORMATION PAR MOTIVATION. LES INDIVIDUS S’AFFRANCHISSENT D’UNE CONTRAINTE POUR ALLER VERS UN CENTRE D’INTÉRÊT PLUS PERSONNEL."Éric Weiss, directeur de la formation continue et de l’alternance à l’USMB
LA RÉGION SE RETIRE DE LA CONCERTATION SUR LA RÉFORME
Il y a un an, l’apprentissage avait le vent en poupe dans les salons de l’hôtel de région d’Auvergne- Rhône-Alpes. Le 19 janvier 2017, Laurent Wauquiez et Stéphanie Pernod-Beaudon (photo) y recevaient les premières Assises de l’apprentissage. Le président et la vice-présidente déléguée à la formation et à l’apprentissage promettaient une montée en puissance pour parvenir « à plus de 55 000 contrats d’apprentissage d’ici 2021 ».
En fin de journée, des engagements étaient même énoncés devant des représentants de l’État, des autorités académiques, des chambres consulaires, des organisations professionnelles, de l’Agefiph et des entreprises. Un an plus tard, l’humeur a changé. Le gouvernement annonce une réforme de l’apprentissage dont Stéphanie Pernod-Beaudon craint qu’il s’agisse d’une « réformette qui se limite à transférer les fonds de la taxe professionnelle gérés aujourd’hui par les régions vers les branches professionnelles. Le gouvernement semble ignorer ce qui se passe sur le terrain et le rôle des régions en matière d’apprentissage ».
L’APPRENTISSAGE A ENCORE DU POTENTIEL
En attendant la « révolution copernicienne » promise par le ministère du Travail, l’apprentissage reste plébiscité. Adressées par un centre d’information et d’orientation, par une mission locale jeune, par les collèges surtout, mais de plus en plus au bénéfice de recherches personnelles lorsque l’âge avance, les candidatures aux formations en apprentissage ont la cote en Pays de Savoie. L’image du cursus évolue.
« Notre centre d’aide à la décision a accueilli dans l’année près de 300 jeunes en phase d’orientation vers les métiers d’artisanat », note Claudine Zanoni au service apprentissage de la Chambre des métiers et de l’artisanat de la Savoie. L’année 2017 marque même une hausse du nombre de contrats de travail, témoignage d’une conjoncture qui s’améliore. En revanche, les réalités sont nuancées selon les secteurs. Les filières du BTP, de la coiffure et de la mécanique peinent un peu, alors que les filières de bouche surfent sur l’effet des émissions télévisées qui valorisent la profession. « La perception des collégiens et de leurs familles a changé, mais il nous appartient toujours de rappeler que l’apprentissage permet de se former à un métier précis, et qu’entrer à 15 ans dans la vie active n’est pas donné à tous les jeunes… », complète Claudine Zanoni.

Les filières du BTP, de la coiffure et de la mécanique peinent un peu, alors que les filières de bouche surfent sur l’effet des émissions télévisées qui valorisent la profession.
« La recrudescence des demandes est manifeste, liée notamment à une reprise d’activité, mais aussi à la pyramide des âges dans les industries où des compétences sont proches du départ à la retraite », analyse pour sa part Carine Martin. Directrice d’Iris Rhône-Alpes, cabinet d’animation de groupements d’employeurs sur les deux Savoie, elle anime le GEIQ interprofessionnel Industrie-Logistique- Agroalimentaire, Pharmaceutique et Transformation hors métallurgie sur les deux départements. Dans ce domaine, « il y a davantage d’offres à pourvoir que de candidats motivés ou disposant des prérequis ». Ce d’autant plus que « les entreprises prennent conscience qu’il leur faut former leurs futurs salariés, avec une part croissante de femmes, et assurer la progression de ceux en poste de production compte tenu des tensions de recrutement. C’est un double besoin que de transmettre et de faire évoluer ».
Un bon point donc mais peut faire mieux, considère Dominique Chartier. Directeur adjoint de la Fédération régionale des maisons familiales rurales (MFR) Auvergne-Rhône-Alpes, il apprécierait que « davantage d’entreprises s’impliquent dans la signature de contrats d’apprentissage ou de qualification. Sans cela, elles oublient que cet investissement est rentable face à des difficultés de recrutement, de transmission de TPE/PME, voire de perspectives d’évolution au sein des filières ».
PLUS ON APPREND…
L’INSEE s’est lancée en 2012 dans l’une des rares études sur la formation des adultes. L’analyse indique que l’accès à la formation diminue assez logiquement avec l’âge. Même lorsqu’ils sont encore en activité, les seniors suivent moins de formations professionnelles que de plus jeunes embauchés. Idem pour les chômeurs par contre, moins bien servis que les employés. Dans ce contexte, les cadres et personnels de grandes entreprises sont privilégiés sur les établissements de moins de dix salariés, mais d’une manière générale l’accès à la formation augmente avec le niveau de diplôme. Plus on apprend, plus on souhaite apprendre. Plus de 51 % des personnes interrogées, âgées de 25 à 64 ans, ont en effet suivi un cursus à titre professionnel (70 % des cas) ou personnel au cours de l’année précédente.
LE CALENDRIER DE LA RÉFORME
La circulaire du 24 avril 2017 qui prévoyait le recours au tirage au sort via une plateforme Internet afin d’affecter les bacheliers dans l’Enseignement supérieur n’est plus. Décriée par les principaux concernés, la proposition a été annulée le 22 décembre par le Conseil d’État. Mais à la place, le plan “Étudiants” et son projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants ont été adoptés par l’Assemblée nationale, le 19 décembre dernier. Le texte entre au Sénat les 7 et le 8 février. La nouvelle plateforme appelée “Parcoursup” exclut le tirage au sort et porte des ambitions nouvelles sur la formation. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, parle de redonner du pouvoir de décision aux étudiants et de les accompagner mieux encore vers la réussite.

Si la formation est légalement obligatoire dans l’entreprise, elle donne en permanence à l’employeur l’ensemble des compétences nécessaires pour accompagner les évolutions technologiques, et à l’employé une “employabilité” maintenue.
AVIS D’EXPERT : JEAN-LUC PLAGNOL, MANAGEMENT DE TRANSITION
« Rendre autonome l’individu dans ses choix, ne serait-ce qu’avec le compte personnel de formation, permet aux salariés et non-salariés, aux demandeurs d’emploi d’être plus acteurs de leurs formations. Celle-ci ne sera plus seulement le fait de l’entreprise. Les individus devront se donner les moyens de se former tout au long de leur vie en puisant dans les fonds cumulés au fil des années. C’est le sens des nouvelles orientations législatives. Si la formation est légalement obligatoire dans l’entreprise, elle donne en permanence à l’employeur l’ensemble des compétences nécessaires pour accompagner les évolutions technologiques, et à l’employé une “employabilité” maintenue.
En ce sens, j’ai régulièrement recouru aux contrats professionnels au sein de mon entreprise de formation et conseil RH, car si cette formule accorde des coûts négociés à l’entreprise, elle injecte surtout dans les effectifs des personnels qui y consacrent 75 % de leur temps avec les compétences acquises au sein d’organismes de formation le quart restant. Ces profils sont réactifs et s’adaptent au poste de travail. Ils mettent en oeuvre leurs savoirs de base dans une approche opérationnelle. Ce n’est pas pour rien que 70 % des alternants restent dans leurs entreprises d’accueil. »
Dossier réalisé par Raphaël Sandraz
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