La réalité est toujours plus têtue que les discours. Quelques semaines après son accession au pouvoir, François Hollande n’avait pas mis longtemps pour s’en apercevoir…
…C’est une chose de se faire applaudir à la tribune d’un meeting de militants, en l’occurrence au Bourget en janvier 2012, en fustigeant la finance, les patrons, les riches, en refusant les règles économiques les plus élémentaires, les équilibres budgétaires les plus sommaires, cela en est une autre d’affronter les réalités de la concurrence mondiale, les contraintes du marché, les logiques de l’innovation, ou tout simplement les ressorts de la nature humaine.
Inéluctablement, les faits l’emportent sur l’idéologie, rarement l’inverse. François Hollande est désormais hors-jeu pour avoir ignoré un phénomène maintes fois prodigué par l’Histoire. Il n’est pas le seul. À l’autre bout de l’échiquier politique et de l’autre côté de l’Océan, on trouve un Président des États-Unis, à la veille de son investiture, qui n’arrête pas, à grands coups de boutoirs verbaux, de vouloir réduire le monde à ses visions.
Si le Président chinois a les épaules assez larges et suffisamment de munitions pour répondre au nouvel artificier de la Maison Blanche, Donald Trump étrille aussi, violemment, les Européens, qu’il juge pusillanimes, peu fiables, voire couards et pingres. Et le milliardaire de s’en prendre directement à la seule puissance qui gêne quelque peu les intérêts américains de par le monde : l’Allemagne, incriminant «la politique catastrophique» d’Angela Merckel. Faisant sien l’adage vieux comme le monde du “diviser pour régner”, il tente d’enfoncer un coin dans l’Union européenne, en faisant mine de croire que l’Europe est dirigée par la chancelière allemande ! Et bien sûr, il flatte l’âme britannique en la félicitant d’avoir choisi le Brexit.
Trump adore l’Europe quand elle se plie à la loi américaine et paye des pénalités par milliards de dollars sans barguigner, mais il n’admet pas l’inverse. Bref, une grande opération de déstabilisation mondiale pour mieux instaurer à l’avenir la primauté américaine, version Trump. Seul Poutine trouve grâce à ses yeux : «nous pouvons faire de belles affaires ensemble !». Faire des bonnes affaires, c’est aussi le souci de Theresa May qui a du mal à trouver une posture acceptable à défaut d’être confortable, sur le Brexit, entre le courant populiste chauffé par la presse tabloïd, et le monde économique beaucoup moins enthousiaste à se détacher du continent et du premier marché mondial.
« UNE CHOSE RESTE CERTAINE, 2017 NE LAISSERA PAS À L’EUROPE LE TEMPS DE TERGIVERSER À LOISIR. »
Affublé du surnom de May be par ses opposants, la Premier ministre a tenté de paraître ferme sur le sujet lors d’une conférence à Lancaster House, précisément là où Margaret Thatcher faisait ses sorties contre la Communauté. Sur la forme, Theresa May s’est donc montrée rigide, dure, à la limite du chantage à l’égard des Européens, les menaçant de représailles comme si c’était le continent qui avait rejeté les îles britanniques vers le large. L’art d’inverser les rôles pour ne pas sembler subir les événements qui l’attendent.
Car sur le fond, rien de nouveau, les Anglais ont choisi de partir, ils s’en vont, on ne peut imaginer qu’ils se délestent des devoirs et des charges pour ne conserver que les droits et les avantages. La théorie du “beurre et de l’argent du beurre” ! L’Europe a bien des défauts, mais elle a aussi des principes et un socle, celui de la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. À cet égard, le mandat confié au nom des 27 à Michel Barnier et son équipe de négociateurs s’avère des plus clairs, ce socle n’est pas divisible, ni négociable, on le prend en bloc ou on le rejette en bloc.
Assez paradoxalement le premier effet du Brexit sera de mettre fin au régime dérogatoire dont bénéficiait la Grande-Bretagne depuis l’ère Thatcher ! Fini aussi le “passeport bancaire” qui permettait à la City d’être chez elle en Europe. Quid de l’Écosse, de l’Irlande du Nord, voire du Pays de Galles ? Un nouveau point d’équilibre va devoir être trouvé, bon ou mauvais pour les uns et les autres, on ne sait pas, mais en tout cas différent. Déjà des départs d’établissements financiers de Londres vers Paris et Francfort se sont fait connaître et Toyota réserve sa décision d’investissement Outre-Manche.
Une chose reste certaine, 2017 ne laissera pas à l’Europe le temps de tergiverser à loisir. Sans réelle direction politique, avec une absence chronique de leadership, avec la montée des populismes nourrie par l’immigration, mais pas seulement, sous les coups de boutoirs du Brexit et les agressions, pas seulement verbales, des consorts Trump, Poutine et Erdogan, l’Europe doit impérativement se ressaisir. Et se recentrer. Avec une Grande-Bretagne sur le départ, avec un Sud malade, ou au mieux en convalescence fragile, avec un Est aux relents nationalistes nauséabonds et à l’égoïsme cynique, avec une France évanescente depuis cinq ans sur ce sujet et une Allemagne en première ligne par défaut, il serait plus que temps de se poser les bonnes questions.
Comme le disait Michel Barnier, il y a quelques semaines à Éco, «l’Europe n’est pas une option, mais une obligation». Soit nous nous réformons, nous resserrons les rangs et la solidarité entre équipiers et nous restons en première division mondiale, soit chacun la joue perso, quittant le maillot étoilé et chacun, hormis peut-être l’Allemagne, ira jouer avec les amateurs en troisième division CFA. À nous d’agir et de réagir. Les circonstances s’y prêtent avec des élections capitales qui peuvent remettre sur la route le moteur franco-allemand, sans lequel le bus européen des 27 reste perpétuellement en réparation. “Diviser pour régner” (ou subir) ou “l’union fait la force”… entre deux adages, à nous de choisir !
Alain Veyret
Directeur de la publication
a.veyret@ecosavoie.fr
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