Funéraire : un secteur des morts bien vivant

par | 05 novembre 2021

Le domaine funéraire, réputé immuable, évolue au fil du temps en Savoie Mont-Blanc, et pas seulement à cause de la covid.

À cause du tabou de la mort et des réticences de la population face à ce qui peut être perçu comme une sorte de “marchandisation” de celle-ci, le secteur funéraire reste, en surface, discret et conservateur. Annonces dans les Pages jaunes, insertions dans les rubriques nécrologiques de la presse quotidienne régionale, sites Internet et quelques publicités télévisées constituent sa principale communication.

Il est bien sûr interdit aux acteurs qui le composent de faire du porte-à- porte, de se rendre au domicile de leurs clients ou futurs clients ou de démarcher dans des lieux comme les mairies, les hôpitaux et les maisons de retraite. Pourtant, les pompes funèbres publiques, PME locales et grands groupes comme PFG (Pompes funèbres générales) ou Roc-Eclerc, qui attirent surtout l’attention à la période de la Toussaint, connaissent en fait des évolutions conjoncturelles et structurelles de forte ampleur.

1 500 à 5 000 euros : c’est ce que doivent débourser les familles pour des obsèques, avec une moyenne qui se situe entre 2 000 et 3 000 euros. Les acteurs du funéraire ont su ajouter de nombreux services au fil du temps.

Secousse covidée de court terme

En moyenne, 550 000 décès surviennent chaque année en France, mais ce nombre a grimpé à 650 000 en temps de pandémie. « Lors de la deuxième vague épidémique de l’automne 2020, nous avons connu une activité trois fois plus importante que la normale et 50 % des décès étaient liés à la Covid », se remémore Jean-Marc Corgier, directeur des pompes funèbres Golliet (2 millions d’euros de CA, 20 personnes), à Annecy. Les délais pour les obsèques ont alors atteint les 10-15 jours, contre 4 à 5 jours en moyenne – pour un délai légal de 6 jours, en France. Les acteurs ont dû gérer l’afflux et les changements d’habitudes.

« Les cérémonies pour les familles se sont tenues avec moins de dix personnes, dans la stricte intimité, puis ont été quasiment supprimées. L’impossibilité de se recueillir auprès des défunts, les mises en bière en 24 heures, puis les obsèques dix/quinze jours après ont été très douloureuses », déplore Jean-Marc Corgier, qui a seulement constaté un vrai retour à la normale fin mars 2021. Un aveu d’impuissance que partage Nicolas Pachoud, directeur adjoint des pompes funèbres publiques de Chambéry, soumis à « un allongement des délais à sept ou huit jours ».

« Un marché devenu moins conservateur, plus concurrentiel et innovant »

Des régions ont été plus touchées que d’autres, mais, sur tout le territoire national, la hausse de 25 % du nombre de décès en novembre-décembre 2020 a secoué le secteur, qui s’attend désormais à une mortalité en baisse dans les mois qui viennent. « La profession s’y prépare et la constate déjà depuis l’été. De nombreuses personnes âgées sont décédées par anticipation à cause de la Covid », note Jean-Marc Corgier.

Lames de fond d’avant Covid

Si l’actualité récente est synonyme d’effet yo-yo et de cérémonies différentes – « Nous constatons un respect des distanciations, moins d’effusions et de poignées de main, moins de monde aussi », décrit Nicolas Pachoud –, ces changements de court terme ne doivent pas occulter les vrais bouleversements sociétaux auxquels doit s’adapter le secteur dans la durée. Premièrement, conséquence du « baby boom » d’après-guerre, les données Insee recensent 10 % de mortalité en plus sur les dernières années. Et les prévisions indiquent une courbe ascendante sur les prochaines, avec un pic à 750 000 décès vers 2030. S’ensuivra une stagnation. Deuxièmement, le détachement des traditions et de la religion change considérablement la donne. Les crémations – moins onéreuses que l’inhumation – montent en puissance de 1 à 2 % par an.

« Les familles aspirent à des cérémonies plus personnalisées »

PFG et Roc-Eclerc (fondé par Michel Leclerc, frère d’Édouard), se sont ajoutés aux acteurs publics et PME familiales, et l’ensemble est devenu moins conservateur, plus concurrentiel et innovant.

« La moitié des familles que nous recevons choisissent cette option, et tout indique que les nouvelles générations vont accroître le phénomène : dans les contrats obsèques où les personnes choisissent et financent les détails par avance, la proportion atteint les 60 % », note Jean-Marc Corgier. Les hommages civils se multiplient aussi. « Les familles, reçues en amont, aspirent ainsi à une plus grande personnalisation des cérémonies », relate Nicolas Pachoud. Autant d’ajouts de services potentiels pour la profession. Troisièmement, un autre élément influence les choix évolutifs des familles : le manque de place dans les cimetières. Elles doivent parfois batailler pour avoir une concession ou libérer de la place dans des concessions anciennes.

Si les clients peuvent désormais plus comparer les offres grâce au numérique, ils sont confrontés à des prix conséquents et très variables, de 1 500 à 5 000 euros et en moyenne de 2 000 à 3 000 euros. « Chez nous, contrairement aux concurrents privés, le tarif est régulé et voté au conseil municipal », rappelle Nicolas Pachoud qui couvre Chambéry et les communes associées.

Secteur plus dynamique que prévu

L’activité funéraire, jusqu’en 1993 monopole des communes, s’est libéralisée avec la loi Sueur, entraînant la marchandisation de prestations qui étaient – et sont encore souvent – considérées comme des services publics. PFG et Roc-Eclerc (fondé par Michel Leclerc, frère d’Édouard), se sont ajoutés aux acteurs publics et PME familiales, et l’ensemble est devenu moins conservateur, plus concurrentiel et innovant. La réduction de l’impact environnemental est un bon exemple. L’urne en carton dans laquelle sont mélangées les cendres du défunt, de la terre et une graine d’arbre, a fait son apparition.

Le cercueil en bois avec poignées biodégradables devient plus courant, ou encore le cercueil à base d’amidon de maïs et de pomme de terre. En cas de crémation, la combustion de ce dernier est moins nocive, et, ce qui ne gâte rien, son coût est très largement inférieur à un cercueil en bois classique. « Nous avons développé une gamme de cercueils sans vernis », illustre encore Jean-Marc Corgier.

Investissements et recrutements

D’autres pratiques funéraires, qui existent déjà à l’étranger, et notamment aux États-Unis, seront vraisemblablement acceptées un jour en France : par exemple l’humusation (la transformation du corps en compost), ou encore l’aquamation, une hydrolyse alcaline pour transformer le corps en matière soluble…

Les investissements et recrutements montent aussi en puissance. « Notre activité est très variable, avec parfois des amplitudes de 50 % d’une semaine à l’autre. Pour être en mesure d’assurer les missions, nous devons prévoir en conséquence des centres funéraires adaptables, ainsi que l’effectif de thanatopracteurs, maîtres de cérémonie, fossoyeurs… Il n’y a pas que les conseillers funéraires mais aussi ceux qui réceptionnent, qui portent le défunt, qui le préparent », décrit Jean-Marc Corgier.

Enfin, d’autres pratiques funéraires, qui existent déjà à l’étranger, et notamment aux États-Unis, seront vraisemblablement acceptées un jour en France : par exemple l’humusation (la transformation du corps en compost), ou encore l’aquamation, une hydrolyse alcaline pour transformer le corps en matière soluble…

Réforme du droit funéraire en vue

La défenseure des droits vient de rendre public un rapport intitulé « Des droits gravés dans le marbre ? La personne défunte et ses proches face au service public funéraire ». Claire Hédon, la défenseure des droits, appelle à une réforme profonde car elle a été saisie de réclamations sur les difficultés rencontrées par l’entourage de morts dans les démarches à accomplir ou la gestion des sépultures.

Lors de ses médiations visant à régler les litiges et éviter des procédures contentieuses longues et coûteuses, elle a constaté une réglementation funéraire archaïque et mal connue des familles comme des collectivités. L’inhumation révèle souvent, dans l’urgence, le régime juridique d’une sépulture, parfois en terrain commun. Les concessions funéraires (tout comme la crémation, d’ailleurs) sont régies par des règles strictes très souvent méconnues.

La défenseure des droits a donc formulé des propositions pour mieux respecter la volonté des personnes défuntes, les droits de leurs proches, et pour mieux lutter contre les inégalités sociales, notamment en assurant aux personnes précaires l’accès à des obsèques dignes.

Cette réglementation, d’inspiration napoléonienne, se révèle peu adaptée aux évolutions de la cellule familiale, et correspond de moins en moins aux attentes des proches du défunt, qui souhaitent voir les services publics “à leur chevet” et à leurs côtés dans leurs démarches, plutôt qu’en simples gestionnaires des cimetières. La défenseure des droits a donc formulé des propositions pour mieux respecter la volonté des personnes défuntes, les droits de leurs proches, et pour mieux lutter contre les inégalités sociales, notamment en assurant aux personnes précaires l’accès à des obsèques dignes.

Elle appelle à une simplification du droit funéraire et à une harmonisation des dispositions du code général des collectivités territoriales afin qu’une seule et même personne soit chargée de prendre les décisions nécessaires au devenir du corps d’un défunt. Elle souhaite mettre, à la charge des communes, une obligation d’information à destination des héritiers ou successeurs pour toutes les opérations touchant à une sépulture en terrain commun.

Elle veut ouvrir plus largement l’accès aux concessions “de famille” aux tiers, actuellement qualifiés d’« étrangers », en autorisant la cotitularité des actes de concession, sans mettre en cause la responsabilité des communes.


Julien Tarby

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