La stratégie de diversification et la gouvernance de la Société des régies de l’Arc (Sorea) font l’objet d’un rapport très sévère de la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes. Les graves irrégularités observées font par ailleurs l’objet d’une enquête préliminaire ouverte par le Parquet d’Albertville.
Victime d’une stratégie de diversification hasardeuse portée par une équipe de direction peu scrupuleuse, la Société des régies de l’Arc (Sorea) a échappé de peu à la cessation de paiement. Le plan de sauvetage mis en œuvre en 2017 avec le tribunal de commerce de Chambéry a conduit l’entreprise locale de distribution d’électricité à se séparer de ses filiales dans les pires conditions, et la laisse très endettée.
Le rapport publié le 11 février 2022 par la chambre régionale des comptes (CRC) Auvergne-Rhône-Alpes a été présenté lors d’une conférence de presse, organisée par la CRC et le tribunal d’Alberville (photo). Il trouve ses racines dans le signalement étayé d’un actionnaire privé minoritaire s’étonnant de certaines dépenses. Le tribunal d’Albertville mandate alors la section de recherche de la gendarmerie de Chambéry d’une enquête préliminaire.
Fin 2018, la CRC inscrit la Sorea au programme de ses contrôles annuels, contrôles étendus début 2020 à la dizaine de filiales lancées au fil des années. « S’il est classique, ce processus de coopération a, dans cette affaire, fonctionné de manière très rapide et efficace », souligne Anne Gaches, la procureure du tribunal judiciaire d’Albertville.
L’enquête préliminaire qui se poursuit porte sur des motifs de soustraction ou détournement de biens par une personne dépositaire de l’autorité publique, blanchiment et abus de confiance. Elle devrait rendre ses conclusions dans quelques mois.
Un usage hasardeux de l’argent public
Née en 2006 du regroupement d’anciennes régies d’électricité, la Sorea distribue 59 millions de kilowattheures à 12 733 clients. Sur son cœur de métier, elle dégage un résultat d’exploitation bénéficiaire de l’ordre de 1 million d’euros (M€) par an. En 2020, son chiffre d’affaires s’est élevé à 11,8 M€ avec 53 salariés, soit moitié moins que l’effectif en poste au plus fort de la diversification.
« Réalisée à partir d’avances de trésorerie, cette diversification s’est faite dans certains cas sans justification économique et juridique au regard de son cœur de métier », souligne Bernard Lejeune, le président de la CRC, en citant l’exemple d’IDWatt.
Positionnée dans le négoce de lampes à Led, cette société effectue entre 2015 et 2017 pour 2 M€ d’achats auprès d’un intermédiaire chinois, alimentant un stock de marchandises obsolètes et restées invendues. Son déficit s’élève à 1,2 M€ sur le premier exercice, 2,1 M€ sur le deuxième, soit à près de deux fois son chiffre d’affaires !
Primes et cartes bleues
Toutes les entités affichent, en 2017, un résultat net négatif et un fort niveau d’endettement, mais les difficultés ne réfrènent pas l’appétit de la direction. En 2015 et 2016, le directeur général et ses deux directeurs des finances se sont versé 150 847 euros de primes exceptionnelles. Alors que le directeur général achète à la Sorea une villa à un prix largement sous-estimé, son directeur des finances cumule pour 41 000 euros d’indemnités de fin de fonction tout en restant salarié du groupe.
S’ajoutent une utilisation injustifiée et excessive des cartes bancaires de l’entreprise, un prêt de 88 777 euros pour l’achat d’une voiture destinée, sans contrepartie, à un fournisseur chinois. D’autres irrégularités sont relevées, comme le paiement d’une formation (43 000 euros) pour un directeur opérationnel resté sept mois dans la société et dont la rémunération nette mensuelle atteint 5 589 euros. Ou la prise en charge, à hauteur de 15 184 euros, de dépenses personnelles de l’associée chinoise du fournisseur d’ID Watt.
Survenues alors que Sorea et ses filiales sont au bord du gouffre, ces dépenses et ces dérives ne font pas sourciller le conseil d’administration dont la CRC souligne la « passivité » et le « manque de vigilance ».
33 : depuis 2008, 33 des 71 signalements effectués en Auvergne-Rhône-Alpes à l’autorité judiciaire concernent des sociétés d’économie mixte locales, alors qu’elles ne représentent que 10 à 15 % des organismes contrôlés. Pour Denis Larribau, le procureur financier près la CRC, cette surreprésentation n’est pas le fruit du hasard mais résulte bien de l’absence de comptable public et de délibérations publiques.
Sophie Boutrelle
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