Interview / Pascal Droux : « Privilégier un tourisme responsable et de qualité »

par | 09 novembre 2018

Guidé par l’intérêt général et le désir de défendre l’hôtellerie-restauration, le président du GNI-Faghit*, qui fut aussi celui de la Faghit Annecy, s’est très tôt impliqué dans la vie syndicale. Il a fait de l’avenir de sa profession et de la formation son combat. Interview.

Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?

Diplômé de l’École hôtelière de Paris, j’ai fait mes classes chez Accor comme réceptionniste avant de finir directeur d’hôtel dans plusieurs marques du groupe. En 1992, lors de l’offre publique d’achat d’Accor sur la Compagnie des Wagons-Lits, j’ai été nommé par les présidents fondateurs pour reprendre la direction commerciale et marketing de la branche ferroviaire. Après plusieurs années passées à Paris, ma femme et moi avions envie de passer à autre chose, de vivre plus près de la nature. C’est à ce momentlà, en 1998, que s’est présentée l’opportunité de reprendre à la barre du tribunal l’hôtel des Trésoms, à Annecy, avec pour seuls bagages nos compétences et l’envie de devenir notre propre employeur.

Vous êtes un homme de conviction et un fervent défenseur de votre profession depuis longtemps déjà ?

En fait, les raisons de mon engagement tiennent à peu de chose et pourrait se résumer au bien-être des autres et à mon sens du service. Comme je suis par nature très investi, j’ai eu envie de faire bouger les choses, de mettre mon énergie au service d’une belle profession qui a besoin d’être dépoussiérée. Si nous voulons que nos valeurs – celles des hôteliers indépendants – perdurent, alors nous devons nous remettre en cause et évoluer avec notre temps. Mais comment emmener cette profession vers l’avenir ? À l’école, j’ai appris à découper une orange avec un couteau et une fourchette… Pensez-vous que c’est le genre d’opération que l’on réitère au quotidien ? Bien sûr que non. Les choses doivent changer.

Votre combat contre les agences de réservation en ligne (OTA) a porté ses fruits. Aujourd’hui, où en êtes-vous ?

Depuis 2015, fort heureusement, la réglementation a beaucoup évolué, mais cela n’a pas été sans peine. Il a fallu aller au combat pour convaincre nos ministres et parlementaires d’instaurer des règles. À l’époque, il suffisait qu’une agence de réservation en ligne décide qu’un hôtel soit référencé pour que cela se fasse, sans que vous en ayez fait la demande et à leurs conditions générales de vente et de distribution. C’était une aberration. Pour pouvoir lutter contre les OTA, nous nous sommes regroupés, avons créé une association, Réservation En Direct, et lancé une plateforme de réservations en ligne, FairBooking, où les clients peuvent réserver dans un hôtel sans intermédiaire. Sous la loi Macron 2, promulguée en août 2015, nous avons obtenu que les tarifs appliqués à nos clients puissent être différents, donc moins chers, de ceux pratiqués par les plateformes pour qu’ils aient tout intérêt à réserver en direct. Mais le bras de fer continue. Dans le même registre, et tout aussi délirant, ces mêmes plateformes volent le nom commercial des hôtels en achetant les mots clés à Google (il en vend au secteur du tourisme pour environ 5 milliards de dollars par an !) De fait, quand l’internaute cherche un hôtel en particulier, il tombe inévitablement sur un OTA, et à 70 % sur Booking.com. Alors nous continuons à nous battre même si un grand pas a été fait.

« L’HÔTELLERIE-RESTAURATION SOUFFRE D’UNE PÉNURIE DE MAIN-D’OEUVRE JAMAIS CONSTATÉE, AVEC 180 000 À 200 000 POSTES NON-POURVUS. »

Depuis, d’autres formes de concurrence ont émergé et déstabilisent le marché ?

À commencer par les plateformes collaboratives de particulier à particulier comme Airbnb. Et l’offensive qu’elles mènent n’est pas neutre. Il y a quatre ans, quand Airbnb est arrivé sur le marché à Annecy, on comptait une centaine d’appartements à la location ; à date, il y en a plus de 1 600. Ce sont autant de logements qui ne sont plus disponibles dans une ville victime de son attractivité, avec bien sûr tout ce que cela implique, à savoir des difficultés à se loger, notamment pour nos salariés. Ces logements détournés à des fins touristiques ont un impact sur notre économie puisqu’il s’agit de concurrence déloyale. Dans la mesure où il n’existe pas d’égalité, voire d’équité, face à la fiscalité, en l’absence de TVA et de normes, l’écart de prix avec une chambre d’hôtel est réel. Il est difficile de rivaliser dans ces conditions.

Que préconisez-vous ?

Les services juridiques du GNI, et nous-mêmes GNI-Fagiht, avons travaillé et collaboré à la rédaction de la loi Elan pour que ces meublés soient régulés. Même démarche à Annecy, avec le maire Jean-Luc Rigaut, pour rendre obligatoire l’enregistrement des meublés dans le cadre des lois Alur et Elan. L’objet n’est pas d’interdire, mais plutôt de fixer un cadre réglementaire pour que nous soyons tous sur un même pied d’égalité. Airbnb a dû s’acquitter de 92 000 euros d’impôt en 2016 et de 168 000 euros en 2017 pour un chiffre d’affaires supérieur à 200 millions d’euros… Nous ne pouvons pas accepter cela. Bercy estime l’optimisation fiscale des Gafa entre 60 et 80 milliards d’euros par an ! Avant on appelait cela de la fraude fiscale, aujourd’hui c’est de l’optimisation ! L’avenir ne peut pas se construire de la sorte. Qu’il s’agisse de fiscalité ou de normes pour ces hébergements alternatifs, celles-ci doivent être appliquées en faveur du consommateur, tant sur le sujet de la sécurité incendie et accessibilité que de la sécurité sanitaire et alimentaire. Nous devons privilégier un tourisme responsable et de qualité plutôt qu’un tourisme de masse.

Quels sont les grands défis à relever ?

Nous continuerons à défendre ces professions du tourisme, à prendre part à l’élaboration de la réglementation et des normes, mais aussi aux évolutions technologiques, environnementales et sociétales… des sujets sur lesquels nous restons très actifs. S’il est un domaine dans lequel nous devons agir, et vite, c’est l’évolution de la profession dans une société en constante mutation. L’hôtellerie monoproduit 1, 2, 3, 4, 5 étoiles n’existe plus, il faut tendre désormais vers des hôtelleries. Il n’y a qu’à regarder tous les concepts qui émergent pour s’en convaincre. Commercialement, cela implique aussi que les professionnels doivent s’adapter, ne serait-ce que sur le plan numérique et digital, pour ne pas devenir les exécutants des multinationales du web, et se retrouver à donner les clés et à faire le ménage. Là encore, il va falloir que le partage se fasse équitablement entre le producteur et le distributeur.

Autre enjeu majeur, la main-d’oeuvre ?

C’est un sujet d’autant plus capital qu’il touche tout le monde. Nous devons aider nos gouvernements successifs à repositionner les demandeurs d’emploi dans le secteur du tourisme. L’hôtellerie-restauration souffre d’une pénurie de main-d’oeuvre jamais constatée, avec 180 000 à 200 000 postes non pourvus, quand dans le même temps le chômage augmente. Nous sommes conscients de notre déficit d’image, lié en partie à des idées préconçues comme quoi ce sont des métiers où l’on travaille tout le temps et mal payés. C’est faux parce que le Code du travail est le même pour tous, avec une rémunération en fonction des compétences. Dans notre profession, il n’y a plus personne au Smic et la branche Hôtels-Cafés-Restaurants est une des premières à avoir mis en place un régime de prévoyance depuis 2005. Cela ne veut pas dire pour autant que tout est beau dans le meilleur des mondes, mais de vrais efforts sont faits.

L’hôtellerie-restauration doit donc redorer son blason si elle veut séduire… Cela passerait par la formation ?

C’est une tâche ardue à laquelle nous nous attelons. Notre profession, contrairement à d’autres, est un formidable ascenseur social. Que ce soit dans l’hôtellerie ou la restauration, vous évoluez en prenant des responsabilités. Par ailleurs, nous devons nous adapter aux futures générations et nous mobiliser pour former des jeunes qui ne le sont pas afin qu’ils deviennent opérationnels rapidement. Je crois beaucoup en une nouvelle organisation où l’entreprise pourrait former tout au long de la vie. Encore faut-il en avoir les moyens et l’hôtelier ne peut pas en être le financeur. Il faut donc trouver des solutions. En clair, instaurer une formation permanente, dont l’entreprise resterait la pierre angulaire de la transmission et du savoir-faire. Dernier sujet brûlant, la hausse de la TVA annoncée par Bruno Lemaire ? Nous avons beau nous battre, cela revient régulièrement sur le tapis. Comme si nous hôteliers-restaurateurs n’étions pas assez taxés, et bien audelà des autres pays de l’Union européenne ! Le président Macron a tranché : pas d’augmentation de la TVA en restauration, mais jusqu’à quand ? Commençons déjà par faire payer la TVA à ceux qui ne la paient pas au lieu de vouloir à tout prix augmenter ceux qui la paient déjà. N’oublions pas que le tourisme représente 8 % du PIB national, loin devant l’automobile et l’aéronautique, mais c’est tellement plus valorisant de dire qu’on a fait décoller la fusée Ariane. Dans l’hôtellerie, il y a certes les chaînes intégrées mais aussi les hôtels indépendants qui représentent 60 % de l’offre. Il faut garder à l’esprit que l’image de la France, c’est aussi l’art de vivre à la française et le bien manger, nous pouvons être fiers que la gastronomie soit inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité.

Comment se porte l’hôtellerie-restauration en Pays de Savoie ?

Le 30 janvier 2017, Pascal Droux succède à Claude Daumas, figure emblématique du syndicalisme, parti à la retraite à 82 ans. Il devient président délégué du GNI aux côtés de Didier Chenet.

Plutôt bien. Même si elle est très météo-dépendante l’hiver et fragilisée par la pénurie de main-d’oeuvre, accentuée du fait de la proximité de la Suisse où les salaires sont plus élevés. Nous en sommes à sacrifier une partie de l’activité ou des services, faute de personnel… alors que la valeur-ajoutée réside dans le service ! Cet été, j’ai du supprimer le service de midi pour ne garder que celui du soir. En soi, c’est une catastrophe pour les chefs d’entreprise que nous sommes. Nous n’avons pas été formatés pour cela. L’hôtellerie est par définition consommatrice de main-d’oeuvre, et les robots dans les cuisines et les chambres, ce n’est pas pour demain. Mais soyons honnête, cette désaffection est aussi de notre responsabilité. C’est pour cela que nous devons préparer les professionnels à tous ces sujets, afin notamment de parvenir à séduire les jeunes et à les fidéliser. Il faut être davantage à leur écoute, et peut-être plus se soucier du bien-être de nos collaborateurs. Le temps où certains patrons mettaient un coup de pied aux fesses de leurs employés pour les faire avancer est révolu.

Pour finir, pourquoi avoir préféré l’hôtellerie-restauration. Un choix par défaut ou par vocation ?

L’hôtellerie correspond à ce que je suis dans la vie. C’est un univers dont je me nourris et qui me permet de m’épanouir, car je suis au contact des gens, de tous les aspects inhérents à l’entreprise [ndlr : ses parents, à la tête d’une société de BTP, l’ont grandement influencé] et de la vie de tous les jours. La gastronomie aussi m’émeut, car je suis un épicurien dans l’âme qui aime bien manger et bien boire. Pour toutes ses raisons, j’ai fait le bon choix.


* Groupement national des indépendants de l’hôtellerie et de la restauration- Fédération autonome générale de l’industrie hôtelière touristique.


Propos recueillis par Patricia Rey


Cet article est paru dans votre magazine ECO Savoie Mont Blanc du 9 novembre 2018. Il vous est exceptionnellement proposé à titre gratuit. Pour retrouver l’intégralité de nos publications papiers et/ou numériques, et pour soutenir la presse, vous pouvez vous abonner ici.

Crédit photo : Savoie Mont Blanc Tourisme.

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