Menacées par l’écroulement du bâtiment qui les héberge, les machines historiques de la filature Pallud filent un mauvais coton. Une pétition circule pour sauver ce patrimoine industriel unique.
Sur le plancher fatigué de la filature Pallud, à Meythet, des renforts de fortune ont été placés ça et là pour que le visiteur occasionnel ne passe pas au travers. Et quand les yeux de ce dernier quittent précautionneusement le bout de ses chaussures pour s’élever le long des murs, ils sont stoppés dans leur élan par une fissure de plusieurs centimètres de large. Une balafre menaçante qui annonce la couleur : l’écroulement du bâtiment est sinon imminent, tout au moins inéluctable. Un constat qui pourrait laisser indifférent si la filature n’abritait pas toujours une vingtaine de machines dont les plus anciennes datent de la fin du XIXe siècle.
Telles de belles endormies, ces grosses dames toutes de fonte vêtues, n’attendent plus qu’une petite étincelle de folie ou de courage pour revivre. Il suffirait d’un peu d’huile dans les rouages pour qu’elles repartent comme en l’an 1987, quand Jean et Sylvain Pallud ont appuyé définitivement sur les boutons « off » pour prendre leur retraite. Après Joseph, fondateur de la filature en 1872, puis Gaspard et Victor, ils représentaient la quatrième génération à avoir vécu de cette activité du filage de la laine.
« La filature récoltait la laine des moutons de la vallée de Thônes, de Maurienne et de Tarentaise, voire au-delà », raconte Jean-Paul Pallud, le fils de Sylvain, qui se bat aujourd’hui pour sauver ce patrimoine. « On allait sur les marchés et les foires de Saint-Jean-de-Maurienne, d’Aime, d’Aiguebelle, de Rumilly… se souvient son cousin Bernard qui y a travaillé pendant deux ans. On partait avec le camion plein d’écheveaux et on rentrait avec le plein de laine brute. Parfois, on ne pouvait pas tout ramener en une seule fois ! »
Vingt kilogrammes de laine brute donnaient 14 kg de laine filée. Entre ces deux états, les monstres d’acier de la filature avaient procédé au louvetage, à l’alignement, au filage et à l’assemblage. Le loup ou batteur faisait tomber cailloux et poussières. Les trois cardes donnaient chacune une forme différente à la matière : couverture, ruban ou fil de 3 mm de diamètre. Avec ses allers-retours incessants, le renvideur filait. La retordeuse assemblait 3 ou 4 fils ensemble. Une autre machine réalisait les écheveaux de 100g ou 50 g.
Dans la pénombre de l’atelier installé jadis au bord du Thiou pour bénéficier de l’énergie hydraulique, ces belles mécaniques, pieusement entretenues depuis qu’elles ont été plongées dans le silence, constituent à n’en pas douter un patrimoine unique en son genre qui est resté « dans son jus ». Le jus risque cependant de tourner au vinaigre si rien n’est fait rapidement pour reloger ces pièces dans un endroit sûr.
« Cela fait des années que nous cherchons une solution pour leur trouver un nouveau toit, explique Jean-Paul Pallud, président de l’association Filature Pallud. Nous nous sommes fixé la fin de 2023 pour y arriver. » Installée sur un terrain classé en zone rouge par le Plan de prévention des risques, elle ne peut en aucun cas être confortée ici. « Il faudrait un local de 400 à 500 mètres carrés, si possible de plain-pied », précise-t-il. Le renvideur, pièce maîtresse de la filature, affiche en effet des mensurations impressionnantes avec ses 15 mètres de long !
Après plusieurs projets de relogement avortés, les héritiers Pallud sont désormais ouverts à toute relocalisation, y compris en dehors de la région. « Ce qui nous importe, disent-ils, c’est que ce patrimoine reste en état et vive. » Ils s’engagent d’ailleurs à faire don des machines si un projet sérieux se présente. Et seront présents, tout au moins au début, pour donner un coup de main au redémarrage. « Nous sommes les deux seuls à savoir comment ça marche et nous ne rajeunissons pas… c’est en cela également qu’il y a urgence », glisse le septuagénaire.
Défrise ton mouton veut carder local
L’association Filature Pallud s’est rapprochée de Défrise ton mouton, dont l’objectif est de récolter et valoriser la laine des Savoie des moutons de race Thônes et Marthod. Auparavant jetée par les éleveurs qui ne bénéficiaient d’aucun débouché, la laine est désormais récupérée puis vendue à des feutriers-(res). 200 kilos ont ainsi été récupérés par l’association Défrise en 2021 et 500 kg en 2022, auprès de six éleveurs. Mais les bénévoles doivent aller jusqu’en Ariège, à Niaux, pour le cardage. Le rêve des deux associations est donc de mettre leurs compétences en commun pour trouver un lieu d’accueil de ces machines, les réanimer et faire profiter le public de ce savoir-faire ancestral.
Pour y parvenir, une pétition circule sur Facebook (www.facebook.com/defrisetonmouton) et a déjà récolté plus de 1 000 signatures.
Bonjour,
Je trouve votre « combat » incroyable et j’aurais tellement envie de vous aider à conserver ce patrimoine.
Je ne peux pas signer votre pétition car je ne suis pas sur Facebook.
Y a t’il un autre moyen de vous soutenir ?
J’ai trouvé votre article en cherchant de la laine produite en Haute Savoie pour un marché artisanal que nous organisons sur la commune de Villy le Bouveret (74350), lors d’une journée de Combat de vache Hérens. C’est le 23 avril prochain. Si vous avez des documents que je pourrais distribuer ce jour là pour sensibiliser la population je le ferais avec plaisir.