Saisi par des élus écologistes, le tribunal administratif a rendu sa décision le 22 mai. Il annule le budget primitif 2016, notamment en raison d’une subvention trop imprécise de 4,7 millions d’euros en faveur du Center Parcs de Roybon.
Par une décision rendue publique le 22 mai, le tribunal administratif (TA) de Lyon a annulé « la délibération n° 369 adoptée les 14 et 15 avril 2016 par l’assemblée plénière de la région Auvergne-Rhône-Alpes (Aura) approuvant le budget primitif 2016 ». Un sérieux désaveu pour Laurent Wauquiez, le président d’Aura, et sa majorité, élus en décembre 2015 et dont c’était le premier budget.
Le tribunal avait été saisi par deux élues écologistes, qui avaient mis en avant plusieurs motifs pour demander cette annulation. Le tribunal n’en a retenu qu’un seul : le droit à l’information des élus du conseil régional a été méconnu.
Demande de précisions sur une enveloppe de 4,7 millions d’euros
Une semaine avant la séance plénière du conseil régional sur le vote du budget primitif (BP), la présidente du groupe Rassemblement citoyens écologistes et solidaires (RCES) adresse à Laurent Wauquiez une liste de trente-trois questions classées par thèmes. Dont celle-ci : « quel est exactement la répartition de l’enveloppe de 4,7 millions d’euros concernant le Center Parcs à Roybon ? ».
«Une partie de la réponse a été apportée en réunions de commission les 7 et 8 avril», répond en substance le président dans un courrier du 12 avril. Et d’autres points seront précisés en cours de gestion, les élus en seront informés à travers le processus normal du fonctionnement de la collectivité, notamment l’inscription et la communication des rapports de commission permanente, promet l’exécutif.
«L’information délivrée n’a pas été suffisante»
Sauf que « cet unique courrier n’apporte pas de réponse satisfaisante à toutes les questions posées », claque le tribunal, notamment sur la répartition de l’enveloppe de 4,7 M€. Les juges relèvent aussi qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que cette question a été abordée en commissions les 7 et 8 avril » et qu’il n’y a pas eu non plus de précisions satisfaisantes apportées lors de la séance du 14 avril.
«Or, cette information était indispensable pour permettre un vote utile par chapitre», martèle le tribunal. «Dans ces conditions l’information délivrée aux membres du conseil régional n’a pas été suffisante pour leur permettre d’exercer leurs attributions et n’a pas satisfait aux exigences de l’article L. 4132-17 du code général des collectivités territoriales. Les requérantes sont, dans ces conditions, fondées à soutenir que leur droit à l’information en leur qualité de membres de l’assemblée délibérante de la région Auvergne-Rhône-Alpes a été méconnu.»
Une première pour une Région, mais pas dans la région
Une telle annulation du budget primitif d’une Région par un tribunal administratif pour défaut d’information des élus est semble-t-il une première en France.
Toutefoisauvergne-Rhône-Alpes que nous avons interrogé, ne se prive pas de rappeler qu’en son temps le premier budget de Gérard Collomb à la tête du Grand Lyon, en 2002, avait lui aussi été annulé par le TA de Lyon, pour le même motif..
Des juges plutôt malins qui évitent la polémique
Après avoir examiné en détail la question du défaut d’information des élus, les juges du tribunal ont donc estimé que les deux requérantes étaient fondées à demander l’annulation de la délibération du vote du BP 2016 «sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête.»
Les «autres moyens» ? En plus du défaut d’information, les deux élues pointaient des entorses au droit d’amendement (lire ci-dessous). Mais, surtout, elles criaient au conflit d’intérêt. En visant Yannick Neuder, vice-président (Enseignement Supérieur & Recherche) de la Région mais aussi président de l’intercommunalité Bièvre-Isère, dont fait partie la commune de Roybon.
Circonstance aggravante, aux yeux des requérantes : Yannick Neuder était intervenu en personne dans le débat, le 14 avril, pour demander le rejet d’un amendement du groupe RCES visant à ce que les fameux 4,7 M€ en faveur du Center Parcs de Roybon soit retirés du budget.
Enfin, les deux élues RCES rappelaient dans leur recours que « le projet de Center Parcs de Roybon a été jugé illégal par le tribunal administratif de Grenoble, de sorte que l’autorisation de programme de 4,7 M€ (…) est également illégale. » C’est un peu raccourci au vu des nombreuses décisions de justice déjà rendues et à venir sur le projet (lire par ailleurs notre article sur le point de situation du projet).
Qu’auraient fait les juges si les deux requérantes n’avaient pas placé le défaut d’information en tête de leurs griefs ? Impossible à dire. Mais force est de constater qu’ils ont su saisir l’aubaine avec une prudente malice pour se tenir éloigné de la polémique.
La Région ne fait pas appel mais réagit
La Région Auvergne-Rhône-Alpes, que nous avons interrogé, précise qu’elle n’interjettera pas appel de cette décision.
Elle explique que «pratiquement, cette décision ne produit aucun effet. Le budget a été exécuté, et validé par les élus lors du vote du compte administratif.» Et rappelle au passage l’argumentaire de la majorité sur le bien fondé d’un budget qui «valide une baisse sans précédent des dépenses de fonctionnement de la collectivité et une non augmentation de la pression fiscale.»
Pour Aura, il s’agit d’une «annulation de pure forme qui ne remet pas en cause la sincérité du budget.» Pas de conséquence donc sur le compte administratif (le document qui valide les dépenses et recettes une fois le budget clos).
Pour tenir compte de l’annulation du vote approuvant le budget primitif 2016, les élus de la Région vont tout de même devoir procéder à un nouveau vote «purement formel». Il aura lieu «lors de la prochaine assemblée plénière du 14 juin.»
Le groupe écologiste « utilise la justice administrative à des fins politiques »
«Le tribunal administratif de Lyon a considéré que la Région n’avait pas suffisant développé une réponse à une question du groupe RCES, écologistes et Parti de Gauche, relative au projet de financement d’un Center Parc sur le site de Roybon, en Isère», poursuit la Région dans sa réponse à nos questions.
«Le groupe RCES, écologistes et Parti de Gauche, demandait la répartition d’une enveloppe de 4,7 M€ destinée à accompagner ce projet pourvoyeur de centaines d’emplois. Cette demande s’inscrivait dans une série de 33 questions. Une méthode dont ce groupe est coutumier. Ce groupe utilise la justice administrative à des fins politiques. Il ne s’intéresse jamais aux dossiers de fond et au quotidien des habitants de la Région», nous écrit encore le service presse d’Aura.
Une annulation pour «1/1000e du budget» seulement
La Région rappelle que les 4,7 M€ destinés au Center Parcs de Roybon étaient «une autorisation de programme, c’est-à-dire une enveloppe réservée à un projet, comme on peut le faire pour un lycée, par exemple. Ce projet n’est par nature pas précisément défini. La région n’était pas en mesure de donner des éléments précis sur un projet qu’elle ne porte pas elle-même.»
Enfin la Région relève que «cette autorisation de programme porte sur 1/1000e du budget de la Région.» Si l’on s’en tient au seul budget primitif 2016 c’est un peu exagéré : 4,7 M€ par rapport à 3 127 M€ donne un ratio de 1/665e. Mais si l’on regarde le budget 2016 complet et définitif tel qu’il apparaît dans le compte administratif, c’est effectivement 1/1000e (1/993e exactement). Une autorisation de programme entachée d’illégalité pour un montant de 4 700 000 euros a in fine provoqué l’annulation d’un budget de 4 670 535 505,82 euros.
Les écologistes satisfaits et toujours remontés
De leur côté, les élus du groupe RCES, à l’origine du recours, se réjouissent. «Le tribunal administratif reconnait ce que dénoncent les élus d’opposition depuis le début de ce mandat : Laurent Wauquiez ne respecte pas la loi ni la démocratie inhérente à l’institution régionale», écrivent-ils sur leur site.
Pour Myriam Laïdouni Denis, principale requérante, ce jugement est «d’une grande importance. Le tribunal reconnaît que le droit des élus a été bafoué. Les élus régionaux, représentants des citoyens doivent pouvoir voter en connaissance de cause. La présentation du budget régional qui traduit les décisions politiques, doit être détaillée et des réponses doivent être apportées aux élus. Laurent Wauquiez devra changer ses pratiques.»
Quant à Corinne Morel Darleux, co-requérante, elle estime que «Notre petit groupe de 9 élus, écologistes et insoumis, est bel et bien en train d’apprendre les bonnes manières à Monsieur Wauquiez.»
Encore plusieurs décisions à venir
Cette première décision du TA et ses commentaires vient rappeler combien le vote du budget primitif 2016 de la Région Auvergne-Rhône-Alpes avait été houleux : la quasi-totalité de l’opposition avait quitté l’hémicycle juste avant le début des débats.
Seuls les élus du Rassemblement citoyen, écologiste et solidaire (RCES) et ceux de la majorité (Les Républicains, divers droite, et centristes) étaient restés. Résultats : 108 votes pour et 8 contre, soit 116 votants sur un total de 204 élus.
Au niveau des amendements aussi, la tension avait été vive. Avant la séance, l’exécutif avait considéré comme irrecevables plusieurs dizaines d’amendements déposés par l’opposition. Mais même les amendements jugés recevables déposés par les groupes qui avaient quitté l’hémicycle au moment du scrutin n’avaient finalement pas été soumis au vote.
Au final, plusieurs recours avaient été déposés par des élus de l’opposition, notamment pour excès de pouvoir : le tribunal administratif devrait donc rendre de nouvelles décisions en lien avec ce vote du BP 2016 de la Région dans les semaines ou les mois qui viennent.
La majorité régionale déjà plusieurs fois sanctionnée par la justice
Adepte d’une stratégie de rupture et de positions très clivantes, Laurent Wauquiez subit en retour les nombreux recours de ces opposants. L’annulation du BP 2016 vient ainsi s’ajouter à deux décisions défavorables au président de la Région qui avaient elles aussi fait grand bruit.
Celle concernant l’installation d’une crèche dans les locaux du siège de la Région, fin 2016. La décision du TA de Lyon dans cette affaire est intervenue… le 5 octobre 2017, alors qu’en décembre 2016 le même tribunal avait refusé, en référé, de faire suspendre l’installation de la crèche. La Région a manifesté son intention de faire appel, avant de contourner cette interdiction fin 2017 en installant… plusieurs crèches dans ses locaux, expliquant qu’il s’agissait d’une exposition sur le savoir-faire artisanal des fabricants régionaux de santons.
La deuxième décision défavorable à Laurent Wauquiez concerne la fameuse « clause Molière » (utilisation de la langue française) dans l’attribution des marchés publics. Par un jugement du 13 décembre 2017 le TA de Lyon a annulé la délibération du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes pour détournement de pouvoir. Il a estimé que «la délibération a été adoptée non pour assurer la protection de la santé et la sécurité des salariés mais pour exclure les travailleurs détachés des marchés publics régionaux et favoriser les entreprises régionales en méconnaissance des principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats. » La Région a décidé de faire appel.
Le meilleur pour la fin ? Les 4,7 M€ litigieux n’ont en fait… pas été dépensés !
Le plus « drôle », si l’on ose dire, c’est que les 4,7 M€ d’autorisation de programme entachée d’illégalité qui ont provoqué l’annulation du BP 2016 de d’Auvergne Rhône-Alpes dans son ensemble n’ont en fait pas été dépensé à ce jour par la Région !
Ce n’est peut-être qu’une question de temps: actuellement le projet est à l’arrêt en raison de plusieurs recours en justice (lire ICI). Mais selon les décisions à venir, ces 4,7 millions pourraient très bien n’être jamais consacrés au Center Parcs de Roybon, car rien ne garantit qu’il pourra in fine voir le jour.
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