Les eaux de fonte de la Mer de Glace alimentent, à Chamonix, une centrale hydroélectrique méconnue. Pour la faire perdurer, EDF envisage des travaux.
Dans un brouhaha dantesque, l’eau asperge les parois de la Mer de Glace et se jette en tourbillons violents dans le captage foré dans le rocher par EDF en 2011. Sous la voûte de glace, à 1560 mètres d’altitude et à l’aplomb du musée qui, au même moment, est peut-être arpenté par des curieux, le torrent glaciaire crache inlassablement ses eaux à une vitesse de 100 litres par seconde. « En été, on atteint 40 à 60 mètres cubes par seconde », précise Guillaume Marchal, chargé d’études et de travaux chez EDF.
De quoi alimenter la centrale hydroélectrique des Bois (Chamonix), située en contrebas, à 1075 mètres d’altitude. Après une chute de 291 mètres dans un puits blindé, l’eau déboule sur le groupe Pelton avec une puissance de 30 bars. Et produit l’équivalent de la consommation annuelle d’une ville de 50 000 habitants, soit 115 kilowattheures (KWh). La Mer de Glace, c’est aussi de l’énergie… verte.
Une production vertueuse qu’EDF compte bien exploiter encore longtemps, nonobstant le recul inéluctable du glacier. Après avoir dû, en 2011, mettre en service un nouveau captage en amont de l’historique de 1973, elle se voit aujourd’hui contrainte de s’adapter encore. Une adaptation qui signifiera la fin des captages sous-glaciaires.
« Nous estimons que d’ici trois à quatre ans, le captage actuel, à 1560 m, va se découvrir faute de glace, explique Loïc Trehiou, responsable de l’aménagement des Bois et de ceux de Passy. Nous avons étudié l’éventualité d’en réaliser un autre en amont, toujours sous la glace, mais d’un point de vue technique et économique, ce n’est pas raisonnable. Nous souhaitons donc réutiliser un ancien captage en aval, à 1520 mètres, qui deviendrait aérien. »
Un investissement de 3 millions d’euros qui serait réalisé en 2023-2024 si toutes les autorisations sont réunies, le site étant classé. « La prise d’eau se limiterait à la présence d’une grille, poursuit-il. L’impact environnement serait très faible, a fortiori dans ce secteur peu visité. » Une solution qui permettrait à EDF de turbiner les eaux de la Mer de Glace pendant « plusieurs décennies encore, quelle que soit la vitesse de fonte du glacier ».
Pour l’heure, l’installation, pensée dans les années soixante et mise en service en 1973, impressionne toujours par sa démesure et sa discrétion. A flanc de falaise, le téléphérique privé d’EDF amène les agents qui effectuent en ce moment les travaux hivernaux d’entretien. La gare d’arrivée s’ouvre sur une béance à la lumière blafarde.
C’est le début d’un dédale de galeries piétonnes creusées à même la roche. Témoins de l’enfer qu’ont dû vivre ceux qui les ont créées, les empreintes des bâtons de dynamite sont encore bien visibles dans la pierre. Au total, près de 8 kilomètres de tunnels – pour l’eau et les hommes – desservent l’équipement.
Au bout de la première galerie, un escalier de 320 marches, qu’on gravit sécurisé par une longe, permet d’accéder au captage qui est naturellement le point le plus haut. C’est là, dans la pénombre et le vacarme du torrent sous-glaciaire, que s’activent une poignée d’hommes sous le contrôle d’un guide de haute montagne. Au fond de la dernière galerie, une pelle mécanique déblaie les blocs charriés par les eaux. Car une des particularités de cette installation souterraine est de devoir faire face à la furie des éléments et à l’abrasion des outils par le sable et autres cailloux.
La roue de la turbine doit être changée tous les ans, malgré les multiples filtres mis en place en amont. Ainsi, des grilles aux barreaux énormes tentent de retenir les rocs bringuebalés comme des allumettes. Un dégraveur de 100 mètres de long, d’une contenance équivalente à deux piscines olympiques (5 400 mètres cubes), ralentit également la course folle du torrent et permet aux impuretés de se poser avant que l’eau ne se jette dans le puits.
« Nous profitons des faibles débits hivernaux pour réaliser l’entretien, indique Loïc Trehiou. En période d’exploitation, personne ne vient ici, la galerie étant fermée par une porte étanche. » La centrale, souterraine également, tourne en moyenne de mars à novembre, quand la fonte est à son maximum. Et l’eau s’en retourne tranquillement dans le lit de l’Arveyron, après qu’on a transformé sa force en courant… électrique.
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