Réunis à Saint-Vulbas, les Canalisateurs du Sud-Est ont traité de différents enjeux autour de la ressource hydrique, notamment son partage et sa réutilisation.
L’annonce du Plan eau par le président de la République en personne, en mars dernier, apparaît comme un symbole fort, mais qui peine à se concrétiser en pratique. « Huit mois plus tard, malgré la volonté de chacun, les projets ont du mal à voir le jour. Paradoxalement, nous sommes actuellement dans une phase de sous-activité », a observé Michel Réguillon, président des Canalisateurs du Sud-Est (qui représentent 124 entreprises et 9 300 salariés en Rhône-Alpes, Paca et Corse), lors des 21es Rencontres régionales de l’eau et de l’assainissement, organisées cette année à Saint-Vulbas, le 17 novembre. Les enjeux ne manquent pourtant pas : détection de fuites, renouvellement et interconnexion des réseaux, réutilisation des eaux usées…
« Le Plan eau prévoit de réduire les prélèvements de 10 % à l’horizon 2030. Or, nous avons aujourd’hui, un taux de fuite moyen de 20 à 25 % en France. Il faut donc renouveler les canalisations et pour cela, faire payer le juste prix de l’eau, plutôt qu’un prix électoral », a encore relevé Michel Réguillon. Nicolas Alban, directeur de la délégation territoriale de Lyon de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse est bien de cet avis.
« Une réforme des redevances vient d’aboutir. À partir de 2025, elles seront basées sur la performance des systèmes et services d’eau et d’assainissement, a-t-il annoncé. C’est une incitation forte, pour pousser les collectivités à améliorer la qualité des réseaux d’assainissement ou d’acheminement de l’eau potable. Le renouvellement et l’entretien des canalisations doivent être financés par le prix de l’eau. Notre agence n’est pas là pour boucher les trous du manque d’investissement. Il n’y aura pas d’aides pour ceux qui bradent l’eau, ceux qui ne connaissent pas leur réseau et n’en évaluent pas le rendement. »
Augmenter le prix de l’eau, la mairie de Vienne l’a fait… à hauteur de 25 %. Selon Thierry Kovacs, vice-président du Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, président de Vienne Condrieu Agglomération et maire de Vienne, elle a pu obtenir ainsi une subvention pour remplacer une canalisation qui perdait annuellement 1 265 000 m3 par an.
À Château-Gaillard, un plan de renouvellement étalé sur trois mandats a permis à la collectivité d’afficher un rendement de 90 %. « La preuve qu’il est possible d’investir, même pour une commune en régie directe », a commenté le maire et conseiller départemental Joël Brunet.
La réforme des redevances ne concerne pas que les collectivités, mais aussi les entreprises et les exploitations agricoles. « Aujourd’hui, les moins mis à contribution », a relevé Nicolas Alban. Cela dit, on assiste à une vraie prise de conscience de la part des industriels, de la nécessité de préserver la ressource, face aux menaces de ruptures.
« Perçue jusqu’alors en termes de coûts, elle apparaît à présent comme un enjeu stratégique. L’an prochain, 20 M€ seront dédiés à l’accompagnement au diagnostic et à l’investissement des entreprises. » En agriculture, la création, entre 2014 et 2018, d’une station de pompage qui prélève dans le Rhône les eaux d’irrigation de la Plaine de l’Ain a été citée en exemple. Elle évite de puiser 4 millions de mètres cubes dans la nappe.
Décarboner le service de l’eau
Au-delà des enjeux de ressource, se pose également la question de la décarbonation du secteur de l’eau. Si l’usage des infrastructures pèse à hauteur de 50 % des émissions, contre 3 % pour les chantiers, les Canalisateurs du Sud-Est planchent sur le recyclage des chutes de canalisations, qui pourrait représenter une économie de 500 kg de CO2 avec quelque 1 100 km de tubes de protection des câbles, tuyaux et gaines récupérables chaque année.
La profession travaille également sur un outil logiciel à destination des bureaux d’études et des collectivités, pour calculer l’emprunte carbone de chaque chantier et envisager les solutions les moins émettrices, par exemple la réhabilitation plutôt que le remplacement des canalisations. Présenté au Carrefour des gestions locales de l’eau, le 30 janvier prochain à Rennes, cet outil se veut une réponse à une évolution du code des marchés publics qui, à partir de 2026, imposera d’estimer les émissions de CO2 des travaux.
La longueur du réseau d’eau potable en Auvergne-Rhône Alpes s’élève à 92 200 km, celle du réseau d’assainissement à 44 200.
La manne des eaux usées
Les Rencontres régionales des Canalisateurs du Sud-Est se sont notamment penchées sur la RéUT, la réutilisation en sortie de station d’épuration, après traitement. Elles représentent un gisement de 8 milliards de mètres cubes, mais moins de 1 % sont réutilisées en France (essentiellement pour l’arrosage des golfs, l’irrigation agricole, parfois des espaces verts urbains), contre 13 à 16 % en Espagne, meilleur élève d’Europe. Elles, ce sont les eaux usées après traitement.
« Pour lever les freins à la RéUT (Réutilisation des eaux usées traitées), il faut agir sur les prix, la réglementation et l’acceptabilité, a souligné Laetitia Simonot, de Syntec Ingénierie. L’État affiche sa volonté de développer 1 000 projets. On en compte 128 aujourd’hui, dont une poignée en Auvergne-Rhône-Alpes. Mais, il faut veiller que la RéUT ne vienne pas impacter les milieux soumis à un étiage sévère. »
« Un décret de 2016 a été abrogé et remplacé par un autre en 2023 pour simplifier les démarches, a indiqué Renaud Dumay, juriste de Sefage et maire de Saint-Didier-sur-Chalaronne. Les dossiers d’autorisation sont supprimés au profit d’un avis simple, de même que le délai d’autorisation et l’obligation de transmettre un rapport annuel au préfet. Et la possibilité a été ouverte d’utiliser les eaux usées d’un département voisin. »
Et celui-ci d’inviter les maîtres d’ouvrage à se lancer sans attendre, les textes changeant de toute façon régulièrement. La Région Auvergne-Rhône-Alpes, elle, envisage de lancer un appel à projets pour financer des démonstrateurs.
À Belleville-en-Beaujolais, on réutilise les eaux usées depuis 2011, pour le nettoyage de la station d’épuration et le traitement des boues. Le premier adjoint de la commune a emmené cette pratique à Châtillon-sur-Chalaronne où il est directeur des services techniques. Il envisage que l’on puisse y étendre la RéUT, avec une difficulté toutefois : en période d’étiage, la station d’épuration alimente la Chalaronne.
Pour Renaud Dumay, la réflexion devrait être élargie à toutes les eaux, qu’elles soient pluviales, issues des vidanges de piscine, etc. Catherine Franck-Neel, directrice de projets Gestion résiliente des hydrosystèmes pour le Céréma Centre-Est (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) approuve : « Nous n’avons qu’une seule ressource. Boucles industrielles, stockage des eaux de pluie par les particuliers ou encore, eaux d’évacuation des sous-sols, tout doit être pris en compte. »
Avec un taux de fuite de 21 %, 117,7 milliards de litres d’eau sont perdus chaque année en Aura. C’est l’équivalent de 29 678 piscines olympiques.
Sébastien Jacquart
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