Les frontaliers ne sont plus tout à fait les mêmes

par | 07 décembre 2018

Selon l’Observatoire des frontaliers, le profil professionnel de cette population est en train d’évoluer.

Présentée à Genève le 5 décembre, la deuxième édition de l’observatoire des frontaliers commandé par le Crédit Agricole des Savoie, le Crédit Agricole next bank et le Groupement transfrontalier européen à l’institut de sondage Ipsos a, comme en 2015, livré un portrait-robot de ceux qui chaque jour vont travailler en Suisse. « Conduire cette étude régulièrement nous permet de suivre les évolutions et de comprendre les besoins des frontaliers », explique Catherine Galvez, directrice générale de Crédit Agricole next bank à Genève.

Motivations salariales

En trois ans, cette population a continué de croître fortement et pèse toujours autant dans l’économie de la Haute- Savoie et de l’Ain. Sans surprise, le salaire reste la première motivation des frontaliers, puisqu’à qualification et poste similaire, le niveau de rémunération peut atteindre de 2 à 5 fois le montant français. De quoi faire quelques sacrifices et, notamment, consentir à passer beaucoup de temps – dans sa voiture le plus souvent – pour se rendre à son travail. 51,5 % des frontaliers travaillent ainsi à plus de 30 kilomètres de leur domicile et 49,9 % mettent plus de 45 minutes à se rendre à leur travail. Comme en 2015, le transport reste la bête noire des frontaliers. Pas seulement d’eux d’ailleurs. Les embouteillages à l’entrée de Genève énervent aussi les Suisses.

« Je suis même persuadé que cette dimension joue dans le développement du sentiment anti-frontaliers », commente Jean-François Besson, secrétaire général du Groupement transfrontalier européen. Dans ce contexte, tout le monde attend avec impatience la mise en service du RER transfrontalier, le Léman Express fin 2019. Si l’observatoire passe en revue tout ce qui fait le quotidien des frontaliers, de l’emploi aux transports en passant par le logement, le rapatriement du salaire ou encore l’épargne, la consommation et la prévoyance, il n’y a pas de changement radical par rapport à 2015. À une grosse exception près : le profil socioprofessionnel des frontaliers.

En 2015, 55,1 % des frontaliers étaient des CSP+, c’est-à-dire des cadres intermédiaires et supérieurs, dirigeants ou indépendants. En 2018, seulement 38,9 % des frontaliers interrogés pour l’enquête relèvent de cette catégorie. Et 61,1 % sont donc des employés ou des ouvriers. Une évolution qui interpelle. Au-delà des éventuelles difficultés d’interprétation dues à la taille de l’échantillon statistique, plusieurs explications sont possibles. « Il y a davantage de frontaliers dans des secteurs comme le commerce et la construction qui offrent moins de postes très qualifiés, note Claudio Bolzman, sociologue et professeur à l’HES SO. Certains frontaliers acceptent peut-être également d’être engagés à un niveau de qualification inférieur pour obtenir un emploi avec un salaire plus élevé qu’en France. »

Sujet qui fâche

Et puis, il y a le sujet qui fâche côté français : l’entrée en vigueur de la « préférence light indigène » avec, côté face, la limitation des postes aux non Suisses et, côté pile, une éventuelle pression exercée sur les frontaliers en poste pour qu’ils viennent s’installer en Suisse. Pour Gabriel Doublet, maire de Saint- Cergues, vice-président d’Annemasse agglo et vice-président délégué à la communication du pôle métropolitain du Genevois français, c’est une évidence.

« C’est la première fois que des chiffres sortent sur ce phénomène et je suis tout de même surpris par leur ampleur, reconnaît- il, mais il y a longtemps que nous avions pris conscience de cette situation. Que ce soit pour des Suisses ou pour des Français, il semble de plus en plus difficile d’accéder à des postes à responsabilité sans résider dans le canton de Genève. » Un constat partagé par Jean-François Besson… mais pas par Blaise Mathey, secrétaire général de la Fédération des entreprises romandes, qui estime que cette pression sur les cadres de haut niveau est très exagérée, même si elle peut exister.

En revanche, il a d’autres explications. Et notamment la démographie avec « de nombreux cadres supérieurs arrivant à l’âge de la retraite et pour les postes desquels on ne va pas embaucher des jeunes inexpérimentés à même niveau. Et puis, l’amélioration de la conjoncture française a probablement joué. » « C’est vrai, confirme Richard Laborie, directeur général adjoint du Crédit Agricole des Savoie, le marché du travail s’est redressé, notamment à Annecy avec un taux de chômage descendu à 5,7 % au deuxième trimestre 2018. »

L’emploi va-t-il stagner, voire baisser durablement ?

Le nombre de frontaliers chute pour la première fois en 20 ans. C’est un pavé dans la mare qu’a jeté l’Office cantonal de la statistique (Ocstat) début novembre. En plein débat sur les conséquences de l’entrée en vigueur de la « préférence indigène light », la montée du sentiment anti-frontaliers et la pression qui serait exercée sur les cadres en poste pour venir habiter à Genève, les chiffres officiels annoncent une baisse de l’emploi frontalier. Diminution très minime certes, avec 314 postes en moins sur 81 226, soit -0,4 %, au troisième trimestre 2018 par rapport au troisième trimestre 2017. On est loin d’un effondrement.

Mais cette diminution est symbolique parce que c’est la première fois en 20 ans, depuis l’été 1998 exactement que le nombre de frontaliers baisse dans le canton de Genève. Et cette baisse était quasiment annoncée puisque les trimestres précédents avaient déjà été marqués par un ralentissement de la croissance des emplois frontaliers. Encore en hausse de 2,9 % au premier trimestre celle-ci était en effet passée à 1,7 % au deuxième trimestre. Dans la foulée, fin novembre, l’Ocstat fait aussi état d’un ralentissement attendu de la croissance de l’économie genevoise.

Les signaux concordent donc alors qu’effectivement des secteurs comme le commerce ou l’industrie manufacturière semblent moins florissants. Ce recul ne concerne pas que le canton de Genève. À l’échelle du pays, il est de 0,8 % sur un total de 312 325 personnes. Au niveau global il faut d’ailleurs préciser que l’emploi des Français (tous cantons confondus) progresse encore de 0,5 % sur cette période alors qu’il baisse de 2,1 % pour les Allemands et de 3,1 % pour les Italiens.


Par Sophie Guillaud


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