Avec « Briser le plafond de glace », publié chez Guérin-Paulsen, l’alpiniste Marion Poitevin raconte son parcours extraordinaire au sein d’un milieu essentiellement masculin, pour ne pas dire machiste.
« Des rêves plein la tête et des étoiles plein les yeux. » Peinte sur le mur du salon, cette petite phrase pourrait passer inaperçue. Mais nous sommes chez Marion Poitevin pour qui les rêves se vivent accrochée à une paroi à regarder les étoiles, couchée sur son portaledge, dans une voie de préférence « extrêmement difficile ».
Première femme à avoir été admise au Groupe militaire de haute montagne (et la seule à ce jour), instructrice à l’Ecole militaire de haute montagne, guide de haute montagne, professeure à l’Ecole nationale de ski et d’alpinisme, première femme secouriste CRS en montagne… l’alpiniste s’est ouvert les portes de toutes les institutions montagnardes de prestige. Non sans mal et non sans blessures, mentales.
Car être femme dans ce monde quasiment exclusivement masculin n’a jamais été un avantage, bien au contraire. De brimades en remarques sexistes, d’agressions morales ou physiques en vengeances par jalousie face à ses refus ou à son talent, Marion Poitevin a dû gravir bien plus de difficultés qu’un homme pour parvenir à ses fins : vivre de la montagne et pouvoir « être payée à grimper ». Un parcours à couper le souffle qu’elle raconte dans son autobiographie intitulée Briser le plafond de glace, et publié chez Guérin.
« Ecrire sur mon expérience m’a libérée, dit-elle. J’ai voulu parler de ces situations qui me mettaient mal à l’aise sans que je sache trop pourquoi. Cela m’a permis de me questionner, de nous questionner nous les femmes. »
A 18 ans, Marion est déjà une forte grimpeuse. Elle court les sommets depuis l’adolescence. La difficulté la motive, l’engagement aussi. Avec ses amis, elle enchaîne les courses d’alpinisme sans se poser de questions. « Je pensais que la discrimination en fonction du sexe était d’un autre âge, se souvient-elle. Cette part de naïveté m’a permis d’avancer : je n’ai pas eu de barrière morale au début. » Elle raconte ces dix ans passés à Chamonix dans une ambiance de « course à la course » qui n’est « pas forcément malsaine car cela pousse à se chercher, à se lancer des défis, à partager avec de chouettes personnes ».
A 20 ans, elle figure parmi les meilleures femmes alpinistes du moment. Si son mental incroyable y est pour beaucoup, ses capacités physiques exceptionnelles y contribuent également. Marion relativise pourtant immédiatement l’importance du physique. « En alpinisme, la physiologie féminine n’est pas un inconvénient. On n’a pas besoin d’une grosse musculature. L’alpinisme allie l’intuition, l’expérience, la technique, la capacité à tenir sur des efforts longs. Seul l’entraînement est un facteur différenciant. » Et dans notre société, une jeune femme est selon elle toujours moins sollicitée, moins encouragée à se dépasser.
Marion, quant à elle, a toujours soif de verticalité, mais a également besoin d’un travail pour vivre à Chamonix. A 23 ans, elle apprend que le GMHM recrute deux alpinistes pour compléter ses effectifs. Elle passe la sélection avec succès et est recrutée, entrant ainsi dans l’histoire de la discipline en devenant la première femme à intégrer le corps d’élite. C’est aussi le début, pour elle, d’une prise de conscience : la discrimination positive a des effets pervers. On insinue qu’elle a été recrutée parce qu’elle est femme et non pour ses capacités. A 23 ans, elle doit aussi affronter les avances déplacées de son supérieur. Si sa passion pour l’aventure montagnarde ne fait que croître, sa spontanéité fond comme glace au soleil.
Marion passe 3,5 ans au GMHM avant de venir instructrice à l’ENHM. Elle y donne des cours d’alpinisme et de ski de randonnée aux militaires. « En 3,5 ans, je n’ai eu qu’une seule femme stagiaire ! », déplore-t-elle. Si ces cours sur le terrain son « un régal », ses relations avec sa hiérarchie – masculine – se gâtent lorsqu’elle demande de progresser. « On m’a dit que je n’avais pas le potentiel. » Une sentence bien plus dure à avaler que les 1800 mètres de la Colton-MacIntyre des Grandes Jorasses. Difficile de crever le « plafond de glace ».
La jeune femme intègre alors la police nationale qui, en 2016, cherche des guides pour faire de la formation. Elle devient la première représentante du sexe dit faible (comme c’est inapproprié !) à la CRS montagne. « Depuis, trois autres filles m’ont rejointe », se félicite-t-elle. Sur 200 secouristes, cela reste peu, mais elle demeure optimiste car la CRS montagne, qui peine à recruter, s’ouvre aux femmes. Une chance que Marion s’attache à promouvoir, notamment auprès des jeunes. « J’ai aussi écrit ce livre pour ça, pour faire savoir aux jeunes filles passionnées de montagne qu’on peut apprendre l’alpinisme avec l’armée ou la police et que ces jobs existent aussi pour elles. »
Affectée depuis trois ans à la CRS montagne d’Albertville, Marion Poitevin est désormais une secouriste comblée. Elle se surprend même à sourire lorsqu’une victime la prend pour le médecin ou l’infirmière – les clichés ont la vie dure ! Bientôt maman pour la deuxième fois, elle formule un autre rêve : l’allongement du congé paternité qui permettrait aux mères d’écourter le leur pour pouvoir progresser dans leur métier, à l’égal des hommes. A n’en pas douter, la voie sera longue et dure pour y parvenir.
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