Patrick Mignola : « Celui qui produit l’information doit pouvoir en tirer une juste rémunération »

par | 04 juin 2018

Le député savoyard porte un texte ambitieux mais nécessaire pour assurer la survie de la presse. Il en explique la nécessité et revient sur ses engagements locaux et nationaux.

Généralement, le député savoyard se fait spécialiste de la montagne et du tourisme, voire des filières économiques locales. Pourquoi vous faire un nom dans le domaine de la presse?Ce qui n’est pas un reproche…

Je suis bien sûr un député savoyard, mais je suis surtout un couteau suisse ! Dans un contexte où siègent à l’Assemblée beaucoup de nouveaux députés, ceux qui comme moi ont été élus locaux et connaissent les institutions peuvent être utiles pour porter des textes. J’ai été très engagé sur les ordonnances travail, je le serai sur la réforme de l’apprentissage.

La presse ? Vingt années d’expérience politique m’ont conduit à m’intéresser à la révolution numérique. Après celles de la vapeur, de l’électricité, de l’informatique, le digital est bel et bien une nouvelle révolution industrielle. Elle ouvre des possibilités nouvelles fantastiques, mais peut également provoquer des inégalités croissantes. Je ne veux pas qu’on attende dix ans avant d’organiser une indispensable régulation.
Cette révolution peut tout simplement déstabiliser la démocratie. Les grands groupes d’Internet sont géniaux pour bouleverser le commerce, diffuser des biens et des informations. La numérisation de la presse a permis un doublement du lectorat. Sauf qu’actuellement, ce sont ces majors qui touchent la majeure partie des royalties, et ce n’est pas normal. Il faut corriger cet état de fait.

Vous avez fait récemment une déclaration remarquée à nos collègues du Figaro soulignant qu’il ne saurait y avoir de démocratie sans presse libre et pluraliste, et pas de presse libre et pluraliste sans business model fiable et pérenne. Car il semble que l’une des principales ressources de la presse d’information, surtout de province, soit mise en cause au travers du régime de publication des annonces légales – sans un sou d’économie pour l’État ! Quel serait votre modèle « fiable et pérenne » ?

Le gouvernement actuel engage des réformes. L’appareil d’État n’est pas empêché par des frilosités politiques, et je suis persuadé que c’est pour le plus grand bien de l’économie française. Mais sur des sujets touchant au local, je crains que les technocrates ne soient trop éloignés de la réalité. C’est le cas sur le dossier des annonces légales. Je connais le discours : supprimons les entraves à la liberté d’entreprendre. À ma connaissance, aucune TPE n’a renoncé à devenir une PME à cause d’un avis à faire passer dans la presse! Si les entreprises ne grandissent pas assez vite, c’est à cause d’une fiscalité confiscatoire et parce qu’elles ne parviennent pas à trouver des collaborateurs motivés et aux compétences adaptées à leurs besoins. C’est à ça qu’il faut s’attaquer, pas à ce qui gravite autour. Le sujet de la suppression des annonces légales est dérisoire pour les entreprises, mais majeur pour la presse. Sachons mener les bons combats.

La presse écrite jusqu’à ce jour relève d’un standard de qualité de l’information, d’authentification de sa véracité, et surtout de la responsabilité y compris pénale des contenus publiés. Or, aujourd’hui, les réseaux investissent ce champ sans contraintes et deviennent un espace de rumeurs, de complotisme, de fake news… voire de manipulations électorales. Comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, n’y a-t-il pas un risque, y compris démocratique, à voir la presse classique disparaître au profit d’un brouhaha ni très professionnel, ni très sain?

La situation actuelle est ubuesque : les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft…) ne paient pas d’impôts, ne vérifient pas leurs sources, mais captent la plus grande partie de la valeur des informations qu’ils diffusent, au détriment de ceux qui les produisent. Cherchez l’erreur. C’est la première fois qu’on accorde plus d’importance au tuyau qu’à son contenu! Je considère que ces entreprises se sont placées hors du champ démocratique. C’est notre devoir de les y faire rentrer, c’est-à-dire de leur faire payer des impôts là où leur richesse est produite, de leur imposer une responsabilité pénale (c’est l’objet de la loi sur les fake news), et de renégocier une meilleure répartition des richesses. Ce combat doit se mener à l’échelle du continent, mais la France doit en être le fer de lance. Si demain les seuls médias mondiaux sont trois groupes américains et trois groupes chinois, il n’y aura plus d’indépendance européenne.

La presse classique subit aussi de plus en plus les assauts des grands réseaux et autres Gafam, qui utilisent et dérivent les contenus dans leurs tuyaux sans rémunérer à leur juste valeur les journaux qui s’en trouvent phagocytés. Comment les amener à mieux partager la richesse créée?

Je travaille sur l’idée d’un “droit voisin”, en l’occurrence voisin du droit d’auteur. Il s’agirait d’un nouveau droit économique qui acterait que l’utilisation d’un contenu de presse doit conduire à une rémunération du journal émetteur. J’ai obtenu l’engagement qu’en novembre, on puisse transposer la directive européenne Copyright ou, à défaut, adopter notre propre droit national. C’est visiblement en bonne voie puisque le comité des représentants permanents des États de l’Union européenne a reconnu le 25 mai la pertinence du droit voisin. Cela augure bien de l’adoption officielle de la directive par le Parlement européen, puis de sa transposition en droit français. Nous restons dans le calendrier!
Il ne s’agit finalement que de faire pour la presse ce qui se fait déjà pour la musique avec la Sacem, ou dans le foot… Toute diffusion d’un article ou d’un extrait doit conduire à une rémunération. Ce qui se joue, c’est la survie de la presse, donc de la démocratie, mais plus globalement il s’agit de corriger les excès de cette révolution digitale. Nous devons pouvoir bénéficier des bienfaits d’Internet sans en payer les défauts au prix fort. Et faire respecter un principe simple : celui qui produit l’information doit pouvoir en tirer une juste rémunération.

Comment réagissent les Gafam à vos propositions?

Ils se sont montrés à la fois inquiets et méprisants. Je crois qu’au fond, ils ont bien compris qu’une forme de normalisation pénale et économique de leur situation est inéluctable. Leur seul objectif est de gagner du temps. Il y a quelques années, Google avait créé un fonds pour “aider” la presse, doté de 200 millions pour l’Europe, dont 60 pour la France. À l’évidence, le compte n’y est pas. Je rappelle que le chiffre d’affaires global de Facebook est de 20 milliards de dollars. Les Gafam sont les premiers à bénéficier de la démocratie…

La date de novembre sera-t-elle respectée ?

Le projet de directive européenne à transcrire date de septembre 2016. On ne peut plus attendre. Depuis cinq ans, 30% des agences de presse ont disparu. Il faut afficher un volontarisme commun face à ces géants numériques. Je crois que l’opinion publique est avec nous : le scandale Cambridge Analytica a saisi le monde entier. Il y a un mois et demi, le comité des représentants permanents n’était pas parvenu à un accord sur la directive Copyright. Mais depuis, la sensibilité populaire a changé, plusieurs parlements se sont saisis d’un sujet qui, de technique, est devenu politique et démocratique.

On a coutume de dire que « lorsque c’est gratuit, c’est vous le produit». Est-ce que tout cela ne remet pas en cause la gratuité d’Internet?

Je suis attaché à ce qu’Internet reste gratuit, pour que chacun puisse continuer à en bénéficier. L’enjeu, c’est simplement que la valeur générée par le trafic d’informations bénéficie à l’ensemble de la chaîne. Le droit voisin permettra une gestion collective et de mieux négocier avec les Gafam.

Quelques questions plus politiques maintenant. Comment le député Modem que vous êtes vit-il sa collaboration avec la majorité gouvernementale?

Je me sens plutôt à l’aise. Le parti unique, la droite et la gauche ont essayé, ça ne marche pas. L’intérêt de notre grande coalition, c’est précisément que des personnalités diverses puissent travailler ensemble. J’assume d’autant mieux mes différences avec La république en marche que je réfute le manichéisme très journalistique qui fait que l’on serait soit « godillot », soit « frondeur ». Il y a de la place entre les deux, et c’est là que se joue à mon sens l’avenir de la majorité. Après un an de travail, cette dernière tient, avec des sensibilités différentes. On commence à avoir des députés indociles, c’est bien !

Vous célébrez les différences, d’autres dénoncent une Assemblée trop monocolore…

Je peux les comprendre, parce que j’ai également le sentiment qu’on se ressemble tous un peu trop, que nous sommes tous issus d’une société civile un peu élitiste. Les différences de revenus et d’années de formation n’ont jamais été si faibles. Il manque des personnalités issues de la base. Voilà pourquoi la mission du Modem me semble d’ouvrir la majorité à gauche et à droite pour l’enrichir et que l’aventure continue. Ce pays a besoin de réformes pendant dix ans et plus. Le Modem apporte sa sensibilité, plus sociale et plus locale.

Vous avez été élu en 2016 à la Région au sein de l’équipe conduite par Laurent Wauquiez, en avez été le vice-président aux transports avant d’abandonner ce poste pour cause de cumul des mandats après les dernières législatives. Comment conciliez-vous votre engagement national dans la majorité avec votre loyauté régionale à Laurent Wauquiez ?

C’est passionnant d’être ainsi aux premières loges de l’affrontement que l’on annonce pour les présidentielles de 2022… En 2015, j’ai fait un choix difficile : accepter une alliance avec Laurent Wauquiez pour remettre en route une région bloquée pendant le précédent mandat par une absence de majorité claire pour Jean-Jack Queyranne, que j’estime. Aujourd’hui, député de la majorité gouvernementale, il pourrait être plus confortable pour moi de démissionner de la Région ou d’y semer la zizanie. Je ne le ferai pas. Je ne reviens pas sur la signature que j’ai donnée et j’accepte l’inconfort de la situation. Je ne serai pas le premier à organiser l’impuissance de la Région. Pour en revenir à Laurent Wauquiez, je souhaite continuer à travailler avec lui aussi longtemps qu’il n’importera pas la politique nationale à l’échelon régional.

Ce n’est pas déjà ce qui se passe?

Une Région doit faire tourner les lycées, les trains, soutenir les entreprises. On peut faire ça et se dispenser de débats nationaux.

Quelle est votre place dans le paysage politique savoyard?

On me prête pour les élections municipales de 2020 des intentions qui m’honorent… mais non, je ne me présenterai pas, nulle part. J’ai assez à faire avec mon mandat de député. Si, au plan local, ma position peut permettre de faciliter des rencontres et des dialogues, tant mieux.

Vous restez chef d’entreprise?

J’aimerais réussir ce pari. J’ai trop vu d’hommes politiques s’éloigner des réalités du terrain. J’essaie de trouver mon utilité dans l’entreprise, où nous avons engagé un nouveau directeur général. Au final, mon travail de député ne me prend pas plus de temps que maire et vice-président de la Région et je continue à suivre les affaires de l’entreprise familiale de carrelage. Je suis préoccupé par la situation dans le BTP, d’ailleurs. Après une décennie de crise et de concurrence de la main-d’œuvre détachée, les prix sont trop bas et les structures fragiles. On en arrive à ce qu’aujourd’hui, soit on ne trouve plus d’entreprise pour les grands projets immobiliers, soit les entreprises ne trouvent plus de personnel. Tout le monde doit s’interroger, y compris les collectivités locales et leurs politiques de prix. Ce n’est pas normal que l’argent public finisse par nourrir la main-d’œuvre détachée. Tout le monde doit se mobiliser, entreprises du BTP comprises, pour réussir les réformes de l’apprentissage et de la formation professionnelle.

 


Propos recueillis par Alain Veyret, avec Philippe Claret


 

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