Le projet de recherche Comon associe des juristes, géographes, sociologues, historiens qui s’intéressent à la propriété collective en montagne.
Comment fonctionnent les propriétés collectives ou partagées en montagne ? Comment ces systèmes hérités du Moyen-Âge, nés avant la République et avant les communes, peuvent-ils être utiles à l’action territoriale ? Ce sont quelques-unes des questions au cœur du projet de recherche , porté par l’Université Savoie Mont Blanc (USMB) et le centre de recherche Antoine-Favre (Jacob-Bellecombette). « Le Code civil a implanté dans les esprits que seule la propriété individuelle compte. Mais, sans les abolir, il a passé sous silence les propriétés collectives. Or, plus on s’intéresse à ces systèmes, plus on perçoit leur richesse », souligne Jean-François Joy, professeur de droit public à la faculté de droit de Chambéry et directeur du programme Comon.
Un élément fort de l’identité rurale
Les “communaux” recouvrent une grande diversité de systèmes par lesquels des communautés humaines, souvent liées à des villages ou hameaux, disposent de droits d’usage et de jouissance collectifs sur des biens qui ne leur appartiennent pas. Ils subsistent principalement en montagne, où la pression foncière est généralement moins forte et où la gestion collective est encore indispensable à l’activité agropastorale. « En 2013, une loi a interdit la création de nouvelle section de commune et de conseil. En 2019, une proposition de loi sénatoriale voulait supprimer (les communaux) au motif qu’ils gênent l’action des communes. Mais même s’ils sont en déclin, les gens y sont attachés de manière viscérale. Ils constituent des éléments forts de l’identité rurale », plaide Jean-François Joy.
L’exemple du Couchant
Un colloque consacré aux communaux s’est déroulé cet automne à Faverges-Seythenex, où la section de commune du Couchant – une personne morale de droit public – se déploie sur près de 940 hectares, entre Savoie et Haute-Savoie. Administré par une commission syndicale élue, son territoire abrite des alpages, bois, forêt, une station de ski et des équipements (chalets, bassins, four banal, citernes…). Si le Couchant affiche les caractéristiques d’une propriété collective publique bien vivante, d’autres sections de communes sont moins animées.
Les cultifs de Saint-Alban-des-Villards
À Saint-Alban-des-Villards (en Maurienne), par exemple, l’une des deux sections, celle du Bouchet, est désormais inactive faute d’habitant. L’autre, Pied-des-Voûtes, a vu son four banal réhabilité par la mairie. S’ajoutent également près de 70 hectares de communaux dit « cultifs ». Il s’agit de terres relevant du domaine privé de la commune, sur lesquelles des habitants possèdent, depuis très longtemps, des droits réels (cultiver, couper du bois….) qui se transmettent de génération en génération.
La Bourgeoisie de Saint-Gingolph
Dans le Chablais, la « bourgeoisie » de Saint-Gingolph a été créée au XVIIe siècle par des familles gingolaises pour mettre fin à de nombreux conflits sur la répartition de certains biens du village. Elle s’étend sur près de 2 500 hectares, couvrant l’essentiel du territoire de Saint-Gingolph France et Saint-Gingolph Suisse, mais également une petite partie de deux autres communes françaises (Novel et Bernex). Elle possède des forêts, chalets, alpages, une église, un château, des rivages, etc., dont les droits à l’usage sont transmis de manière héréditaire aux bourgeois. Ces biens sont gérés par deux « administrations », l’une de droit valaisan (une corporation de droit public), l’autre de droit privé (une société de fait, fonctionnant selon des règles coutumières). Dans un contexte institutionnel et social bien différent de celui qui l’a vue naître – une frontière la traverse désormais –, elle s’interroge aujourd’hui sur l’entretien de son patrimoine et la pérennisation de ses actions.
Modifier la loi ?
Présents sous des formes très variées sur de nombreux territoires, les communaux ont peu à peu disparu ou ont été accaparés par des privés. Leur origine n’est pas toujours connue et ils sont très difficiles à répertorier. Face à des communes qui rencontrent les pires difficultés pour en dresser la liste, les chercheurs de Comon utilisent la porte d’entrée du fichier cadastral pour en remonter la piste. Ils travaillent, au niveau national, à une modification de la loi, pour qu’une place officielle puisse être faite à ces systèmes qui ont le mérite de mettre en avant l’usage et pas la propriété.
Tribune
Dans une tribune publiée dans Le Monde, fin août 2021, un collectif de personnalités – dont les anciennes ministres Corinne Lepage et Delphine Batho – regrette que la France poursuive une politique de rationalisation administrative en éliminant ces propriétés collectives, alors que des pays comme le Royaume‑Uni et l’Italie adaptent leur législation pour les reconnaître.
Des recherches pluridisciplinaires
Destiné à accroître la connaissance du fonctionnement des biens collectifs, Comon donne lieu à la publication d’un ouvrage collectif, « Les communaux au XXIe siècle. Une propriété collective entre histoire et modernité », rédigé sous la direction de Jean-François Joy et publié aux Presses de l’USMB (2021). Il est prolongé par le projet Comete (« Revisiter les communs à l’aune des enjeux territoriaux actuels et futurs », 2021-2022) réalisé dans le cadre de l’Alliance Campus Rhodanien. Il met en réseau des chercheuses et chercheurs des universités Savoie Mont Blanc, Grenoble Alpes et Lausanne, qui travaillent sur des problématiques relatives aux biens communs de différents types (communs fonciers, gestion communautaire de l’eau, nouveaux communs, etc.) et sous différents angles (juridique, politologique, économique, géographique).
Sophie Boutrelle
Crédit photo : Bruno Berthier
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