Reblochon : 60 ans d’AOC

par | 04 août 2018

Anniversaire. Le 7 août 1958, le reblochon devenait une appellation d’origine contrôlée (AOC). Soixante ans plus tard, le fromage est devenu bien davantage, véritable symbole de toute une économie montagnarde.

Soixante ans et pas une ride. Sa peau, bien tendue, est toujours ferme et souple à la fois. Sa chair, douce à souhait, confine au péché de gourmandise. L’appellation d’origine protégée (AOP) reblochon demeure une grande séductrice. Et ce, malgré la dure crise qu’elle a encaissée ce printemps avec des cas de contamination par la bactérie Escherichia coli Stec (lire l’article que nous avions consacré au problème dans notre édition du 18 mai 2018).

Aujourd’hui, la parole de la filière se fait rare sur le sujet. Les professionnels veulent tourner la page et font pour cela confiance au bon sens des consommateurs. « Ils savent que ce qui devait être fait l’a été. Ils comprennent et saluent le principe de précaution adopté, sans que cela ne remette en cause leur comportement futur », commente sobrement Lucile Marton, directrice du Syndicat interprofessionnel du reblochon (Sir). Plus que jamais, la filière est mobilisée autour du thème de la qualité, de la vache jusqu’à la commercialisation finale en passant par la traite, la fabrication et l’affinage. Comme elle l’est depuis sa reconnaissance officielle en appellation d’origine contrôlée (AOC). C’était le 7 août 1958.

La fin des copies

Ce jour-là, le général de Gaulle signait lui-même le décret de délimitation de la zone de production du reblochon. Pour Benjamin Porret, président du syndicat des producteurs de reblochon de l’époque, et pour son secrétaire Fernand Perrissin, cette reconnaissance devait d’abord mettre un terme à des décennies de copies partout en France.

Dès les années 1930 en effet, des ersatz de reblochon apparaissent çà et là. En 1939, Auguste Thévenet, président du syndicat des affineurs de reblochon, poursuit même un producteur de la Côte d’Or en justice, en vain. La guerre interrompt ces démarches. Mais en 1945, les copies resurgissent comme des petits pains : dans le Jura, en Haute- Saône, en Isère et même dans les Charentes. Affineurs et producteurs des Savoie s’en émeuvent et commencent non seulement à réfléchir aux moyens de se protéger, mais également à agir. Benjamin Porret et Fernand Perrissin entament une longue tournée des popotes dans les deux Savoie pour recenser les communes où l’on fabrique du reblochon.

La zone qu’ils définissent est sensiblement identique à celle qui régit l’AOP aujourd’hui : les régions montagneuses de Haute- Savoie et le Val d’Arly (soit actuellement 178 communes haut-savoyardes et 9 savoyardes). Ils y ajoutent Lanslevillard et Lanslebourg-Mont- Cenis qui, en 1999, sont sorties du périmètre. L’objectif est de demander une délimitation géographique. Celle-ci intervient donc en 1958. Le reblochon devient, par ce décret, intimement lié à son territoire.

Petit, mais grand

Consciente toutefois que cela ne suffit pas, la filière affine, au fil des années, un cahier des charges qui édicte les conditions de fabrication et qui doit s’appliquer à l’ensemble des opérateurs. Il s’agit de renforcer l’appellation et de la tirer vers le haut en termes de qualité. L’année 2015 voit l’enrichissement de ce cahier des charges très strict. Il précise l’ensemble des conditions de production : renfort de la place de l’herbe dans la ration, limitation de l’apport de compléments alimentaires de vaches, interdiction des OGM dans l’alimentation, définition des conditions de traite, précisions sur la fabrication, etc.

L’AOC (reconnaissance au niveau national), devenue AOP (reconnaissance au niveau européen) en 1996, a su moderniser la tradition sans rien perdre des savoir-faire ancestraux. Le petit fromage a désormais tout d’un grand. Il s’est d’ailleurs hissé au 3e rang des AOP françaises, derrière le comté et le roquefort. Une notoriété qu’il doit en premier lieu à ses qualités gustatives, mais aussi à une habile politique de régulation de l’offre mise en place par le Sir dès 2013. « Le but est de ne produire que ce que le marché peut accepter, détaille Lucile Marton. Cela nous permet également d’éviter les surstocks et une qualité moindre qui impacterait la filière. »

Au printemps, période où la concurrence des fruits rouges fait des victimes au rayon fromage, le Sir indique à chaque fabricant de reblochon la quantité qu’il est autorisé à produire sans surtaxe. Les plaques de caséine appliquées sur chaque pièce (rouge pour le laitier, vert pour le fermier) et fournies par le Sir, lui permettent d’exercer son contrôle quantitatif. Une régulation à l’année est en outre effectuée. « C’est rarissime qu’il y ait des dépassements, constate-t-elle. Tout le monde a compris combien ce système est positif. » L’AOP reblochon demeure ainsi la deuxième AOP des Pays de Savoie, derrière le beaufort, en termes de prix du lait. Acheté environ 500 euros les 1 000 litres, il permet de faire vivre les 680 opérateurs de la filière, dont 527 producteurs de lait et 124 producteurs de reblochon fermier (principalement situés dans les Aravis).

« Au-delà, le reblochon a un impact sur l’ensemble du territoire, conclut Lucile Marton, il permet d’entretenir nos paysages et de maintenir nos savoir-faire. C’est bien plus qu’un simple fromage. »

Un triple enjeu pour la filière

Trois enjeux vont être déterminants pour l’avenir du reblochon. Premier d’entre eux, la transmission des exploitations. « Le nombre de producteurs de lait à reblochon a tendance à diminuer chaque année, indique Lucile Marton, directrice du Syndicat interprofessionnel du reblochon (Sir), même si cette baisse est moins rapide qu’ailleurs en France. » En cause, des cessations d’activité sans repreneur ou des reprises par des exploitations déjà existantes. En 2016-2017, la filière a ainsi perdu 20 exploitations laitières.

« Le défi est d’assurer la production laitière et le maintien de producteurs. » Depuis 2015, un recensement des exploitations susceptibles d’être bientôt transmises est en cours, de manière à mieux anticiper ces passations. Deuxième dossier d’importance : la place de l’herbe, autrement dit, la capacité à pouvoir alimenter son troupeau avec de l’herbe (sous forme de foin et de pâture). Dans un département comme la Haute-Savoie où l’urbanisation est galopante, les paysans doivent défendre leur pré carré pour pouvoir continuer à produire du reblochon. « Nous devons nous mobiliser fortement pour faire en sorte que cette urbanisation n’impacte pas la filière. Cela signifie participer aux enquêtes publiques et autres élaborations de documents d’urbanisme. Le regroupement des parcelles peut aussi être une solution. Nous travaillons également avec la chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc pour aider les Un triple enjeu pour la filière agriculteurs à mieux gérer la pâture. »

Enfin, le troisième enjeu demeure la qualité du produit, avec un renforcement du suivi de la traite, de la fabrication et de la commercialisation. La production biologique n’est quant à elle pas une priorité pour le syndicat. « C’est une niche qui représente environ 1 % de la production totale », note la directrice. Trois coopératives, un affineur et trois ou quatre producteurs fermiers apposent leur label bio sur le label AOP, lui-même déjà très contraignant et proche du bio.

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