L’économiste Pierre Bentata a dressé pour la CMA de l’Ain, le portrait de la jeune génération et donné des clés pour les intégrer au mieux dans l’entreprise.
« Quand on parle du recrutement des moins de 30 ans, on entend souvent que cette génération pose problème, qu’elle ne veut pas travailler. Si l’on aborde le sujet sous cet angle, on n’y arrivera pas. D’autant que le problème n’est pas national ou sectoriel. Il touche toutes les économies industrielles. Toutes les entreprises peinent à recruter et à fidéliser », constate Pierre Bentata, économiste, enseignant et autour, notamment du livre « Des jeunes sans histoire ». L’homme était invité à clore les débats de la dernière assemblée générale de la Chambre de métiers et de l’artisanat de l’Ain, le 18 juin.
« Trader bouddhiste »
« Toutes les études indiquent que cette génération est hyperconnectée et méfiante vise à vis des institutions, des médias, de la politique et des syndicats, poursuit l’économiste. Ils sont pessimistes pour leur pays, mais optimistes pour le monde, favorables à la mondialisation, mais sévères vis-à-vis du capitalisme, technophiles, mais critiques à l’égard des nouvelles technologies, citoyens, mais ils ne votent pas — en fait, ils s’impliquent dans le milieu associatif, pas dans la politique. Enfin, ils ont une mauvaise image du marché et de l’entreprise, affichant leur scepticisme face au profit, leur refus de la hiérarchie et un relatif mépris pour l’argent. »
Si cette génération déteste le capitalisme, elle en est selon Pierre Bentata, le parfait avatar. « Ces jeunes sont peu fidèles. Les critères de prix, notamment, les font changer très vite, de marque comme d’entreprise. Et ils sont hyperréactifs. Autant de comportements qui rendent le marché plus fluide », note l’économiste qui a baptisé ce phénomène « Le syndrome du trader bouddhiste ». En fait, ils auraient érigé une séparation nette entre leur carrière et leur épanouissement personnel. « Ils rêvent de convivialité dans l’entreprise, mais perçoivent mal les actions de team building qu’ils considèrent comme artificielles. Ce qu’ils veulent, c’est une convivialité choisie. Ils veulent rester libres de leur manière de travailler, notamment en termes d’horaires. Plus qu’un revenu, ils attendent de trouver du sens. Pour cette génération, le silotage et la division du travail sont des méthodes de management à côté de la plaque ! »
Un monde sans alternative
Comment en est-on arrivé là ? Pour Pierre Bentata, cette génération est née dans une période particulière, dans un monde sans alternative au système, depuis la chute du mur de Berlin. « C’est bien pour cela qu’ils sont pessimistes. De crise en crise, on ne cesse de leur dire que le système ne fonctionne pas, mais on n’a rien à leur proposer à la place. Dans un système qui n’a pas de sens, il n’y a aucune raison d’agir. Sans nécessité, il faut un projet. C’est la condition sine qua non pour les garder. »
Nous avons donc des jeunes en quête de sens, demandeurs de convivialité, attirés à la fois par les technologies et l’authenticité. Autant d’atouts pour les entreprises artisanales, structures généralement de taille modeste où la division du travail est moins importante, le management davantage de proximité, la convivialité plus naturelle, l’alliance entre technologie et authenticité plus évidente. « Il va vous falloir créer une sorte d’artisanat technologique, conclut Pierre Bentata. Et en tant que dirigeants, vous devrez faire preuve de davantage de psychologie et d’empathie, donner du sens et expliquer pour motiver. »
Par Sébastien Jacquart
Cet article est paru dans ECO de l’Ain du 5 juillet 2018. Il vous est exceptionnellement proposé à titre GRATUIT. Pour retrouver l’intégralité des articles de notre hebdomadaire mais aussi de nos suppléments et hors-séries, c’est ICI
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