SNCF : une réforme vraiment sur les rails ?

par | 26 mars 2018

Au moment où les syndicats ont déclenché leur premier mouvement de grève pour protester contre le projet de réforme de la SNCF présenté par le gouvernement, deux experts du rail nous livrent leur point de vue sur cette réorganisation envisagée et notamment sur ses deux aspects les plus médiatisés : le statut des cheminots et la dette de la société. Il s’agit de Luc Bérille, secrétaire général de l’Union Nationale des Syndicats Autonomes (Unsa) et d’Arnaud Bichon, maître de conférence à l’Université Savoie Mont Blanc.

 

CONTRE

« Commençons par poser les bonnes questions » Luc Bérille

« Si l’on veut que la SNCF soit en capacité d’affronter des concurrents privés, il faut impérativement avancer sur la question de sa dette. » Luc Bérille, secrétaire général de l’Union Nationale des Syndicats Autonomes. Crédit photo : Unsa.

Luc Bérille, secrétaire général de l’Union Nationale des Syndicats Autonomes (unsa) conteste le projet de réforme gouvernemental et déplore un débat trop focalisé sur le seul statut des cheminots.

L’Unsa s’associe au mouvement unitaire de protestation contre le plan gouvernemental de réforme de la SNCF. Pourquoi ?

Le débat est mal posé. On connaît depuis des années la directive européenne qui impose l’ouverture du marché ferroviaire à la concurrence. À mon sens, elle est inéluctable. Le vrai sujet, c’est de savoir dans quelles conditions le service public pourra participer et gagner des marchés. À l’Unsa, nous sommes clairement favorables au maintien d’une offre de service public, et nous sommes plutôt réformistes, à condition que le débat soit bien posé…

Aujourd’hui, toutes les discussions tournent autour du statut du cheminot alors que, de notre point de vue, le principal problème est bien celui de la dette. Une dette dont la SNCF n’est pour l’essentiel pas responsable puisque c’est l’État qui a décidé des investissements en TGV qui ont mis l’entreprise dans le rouge. Avec plus de 40 milliards d’euros à rembourser, difficile d’être concurrentiel… Les autres griefs adressés à la SNCF découlent pour l’essentiel de cette dette. On déplore souvent une piètre qualité de service, par exemple, mais c’est le contrecoup du choix du tout-TGV qui contraint à faire des économies ailleurs. Si l’on veut que la SNCF soit en capacité d’affronter des concurrents privés, il faut impérativement avancer sur cette question.

Que préconisez-vous ?

Nous ne partons pas de rien puisque la dernière réforme ne date que de 2014, avec la création de trois établissements publics industriels et commerciaux permettant de gérer en même temps les voies et les trains. Nous retrouvions une certaine logique. Le gouvernement d’Emmanuel Macron veut maintenant créer une société anonyme publique, dont les capitaux resteraient détenus par l’État. Mais légalement, une SA ne peut pas être garantie par l’État. Cela change évidemment la donne, eu égard au problème de la dette.

Le marché des transports doit-il être concurrentiel ?

D’évidence, une politique ferroviaire et des transports ne peut pas être construite uniquement sous l’angle du coût. Il faut prendre en compte des enjeux de développement durable – le train reste le moyen de transport le plus décarboné – et d’aménagement du territoire.

L’Unsa est traditionnellement plutôt un syndicat réformiste?

Soyons réalistes : l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire va avoir lieu, alors préparons-la! Mais en maintenant des moyens et une réelle politique de service public, et en se souciant des personnes qui travaillent dans le secteur.

On en revient au statut des cheminots ?

Pas seulement des cheminots. Nous sommes en train de négocier une convention collective pour l’ensemble du secteur ferroviaire. C’est un dossier crucial. Avec l’ouverture à la concurrence, la SNCF va perdre des marchés, forcément. Des salariés SNCF seront transférés au nouvel opérateur. Dans quelles conditions ? La question doit être clarifiée, et pas seulement pour des raisons sociales. Il en va aussi des conditions de sécurité. Le low cost social ne doit pas être le mode de régulation des marchés. Il s’agit de défendre le droit des personnels, mais également la qualité de service aux usagers.

Vous continuez à défendre le statut des cheminots?

Historiquement, il s’est créé parce que les conditions de travail étaient difficiles. Au début du siècle, c’est parce qu’elles n’arrivaient pas à embaucher que les entreprises privées se sont mises d’accord sur des conditions particulières. L’élasticité des horaires de travail, la nécessité de ne pas dormir tout le temps chez soi restent des contraintes fortes à prendre en compte. Si j’en crois certaines annonces, les nouveaux embauchés ne bénéficieraient pas du statut cheminot. Pour éviter les distorsions de concurrence, ils doivent a minima tous bénéficier de la convention collective du ferroviaire.

 


Cet article est paru dans Eco Savoie Mont-Blanc du 23 mars 2018. Il vous est exceptionnellement proposé à titre gratuit. Pour retrouver l’intégralité des articles de notre hebdomadaire mais aussi de nos suppléments et hors-séries, c’est ICI


 

POUR

«Il est urgent de changer de management à la SNCF » Arnaud Bichon

« L’entreprise n’est pas capable de générer par elle-même des fonds. c’est tout de même problématique… »
Arnaud Bichon, maître de conférences en management à l’Université de Savoie. Crédit photo : DR.

Arnaud Bichon, maître de conférences en management à l’Université de Savoie aurait tendance à penser que la réforme de la SNCF ne va pas assez loin.

Comment jugez-vous le projet gouvernemental ?

Supprimer le statut des cheminots me semble une chose importante à faire. Cela aurait dû être fait il y a plusieurs années.

Pourquoi ?

On met trop en avant dans le discours actuel la préservation des privilèges. À mon sens, la réforme permettrait surtout d’apporter plus d’adaptabilité, c’est-à-dire plus de souplesse dans la perspective de l’ouverture à la concurrence. Aujourd’hui, le management de la SNCF est dans l’impossibilité d’ajuster ses effectifs à la réalité du marché, et comme la rémunération est liée au statut et pas à la contribution des salariés, la masse salariale progresse mécaniquement de 2% à 3% par an. En 20 ans, les effectifs ferroviaires ont baissé de 60% au Royaume-Uni, de 45% en Allemagne, et dans le même temps les trafics y ont augmenté de 100% d’un côté et de 150% de l’autre! Voilà pour le volet quantitatif, mais il y a également un volet qualitatif. La gestion des ressources humaines actuelles est forcément focalisée sur le statut. Partout ailleurs, nous n’en sommes plus là ! Les GRH sont plutôt basées sur les contributions des salariés, leurs performances, leurs compétences. Aujourd’hui, la SNCF n’a pas de levier de motivation. Résultat, l’absentéisme y est de 24 jours par an en moyenne, contre 17 en France. Passer à un management par les contributions permettra de gagner en agilité.

Dans un cadre concurrentiel, il sera pourtant encore plus important de doter tous les salariés d’un même cadre légal si l’on veut empêcher le dumping social…

C’est tout à fait possible. L’Union des industries de la métallurgie (UIMM) a réalisé cette mutation il y a quelques années, sans sacrifier les garanties collectives.

Le statut n’est pas le seul problème de l’entreprise. La dette de la SNCF en est un autre…

C’est exact. On ne peut pas mettre sur le dos des cheminots tous les griefs. La SNCF vient d’annoncer des résultats bénéficiaires, mais c’est au prix d’astuces comptables. Dans la réalité, la seule masse salariale de l’entreprise (8 milliards d’euros) est équivalente au chiffre d’affaires généré. Les autres coûts de fonctionnement sont réglés par des contributions publiques, et ces dernières ne couvrent pas toutes les dépenses. Le déficit annuel de financement du système ferroviaire est de l’ordre de 3 milliards, ce qui vient alourdir continuellement la dette. L’entreprise n’est pas capable de générer par elle-même des fonds. C’est tout de même problématique…

N’est-ce pas aussi le résultat de choix politiques?

À l’évidence, la politique du tout-TGV a conduit à réaliser des infrastructures qui seront difficilement rentables, à négliger des lignes régionales, et à conserver des lignes très peu utilisées. La répartition des ressources sur le territoire est mauvaise : selon les lignes, il y a soit trop d’investissements, soit trop peu…

Vous affirmez que la «main invisible du marché» pourrait réguler ce phénomène? Le transport ferroviaire est pourtant également un outil d’aménagement du territoire…

L’ouverture à la concurrence, elle va se faire. Débrouillons-nous pour que la SNCF participe à la compétition sans boulets aux pieds ! Au Royaume-Uni et en Allemagne, les réformes des entreprises ferroviaires ont certes été douloureuses au début, mais aujourd’hui les résultats sont là. Oui, l’ouverture a permis de rationaliser l’offre. Il faut peut-être savoir fermer des lignes lorsque de simples bus suffisent, et se donner les moyens d’investir plus lourdement sur des itinéraires rentables.

À vous entendre, la réforme gouvernementale ne va pas assez loin…

La perspective d’ouverture à la concurrence était connue depuis longtemps, et les milieux politiques ont hésité longtemps avant d’engager les réformes nécessaires. Le gouvernement actuel ouvre le chantier. Il le fait à sa manière, petit à petit, sans tout régler. Le problème des retraites n’est pas abordé, par exemple. L’avenir dira si cette stratégie était la bonne.


Propos recueillis par Philippe Claret


Photo du haut : photo d’illustration – © Karine Payot, ville de Chamonix Mont-Blanc.

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