Solidarité : je donne, tu t’engages, il bénéficie…

par | 28 décembre 2018

C’est à un pan entier de l’économie des Pays de Savoie que nous voulons rendre hommage cette année : aux associations qui viennent en aide aux plus démunis dans nos départements.

Rendre hommage à des bénévoles qui acceptent de donner de leur temps pour des structures qui, de plus en plus, ont des allures d’entreprise. On est loin des oeuvres de charité d’antan. Venir en aide à son prochain, aujourd’hui c’est un vrai métier, ne serait-ce que pour respecter les lois en vigueur en matière de chaîne du froid, d’hygiène, etc. Un vrai métier, et aussi un marché, avec ses contraintes, ses évolutions, ses excès parfois.

Un marché protéiforme, qui intervient aussi bien sur les champs de l’habitation, l’alimentation, l’habillement, la formation, l’éducation, les services financiers… Impossible d’en faire le tour, même en une vingtaine de pages. Nous ne proposons donc qu’une présentation forcément subjective de quelques acteurs de cette économie associative. Au risque d’oublier des entreprises, d’autres associations, voire des problématiques entières. Car parler de la pauvreté, c’est ouvrir une boîte de Pandore.

Moins pauvres qu’ailleurs ?

Si nos départements aisés offrent globalement un niveau de vie supérieur à bien d’autres, la grande pauvreté n’en est pas moins une réalité ici. Objectivement, les Pays de Savoie sont des départements globalement plus riches que les autres. En 2014, le taux de pauvreté (pourcentage de la population vivant avec moins de 60 % du revenu médian par mois, soit un millier d’euros) était à 14,7 % en France métropolitaine (source : Insee et Direction générale des finances publiques). C’était 12,7 % en Auvergne-Rhône-Alpes, contre seulement 10,4 % en Savoie et 9,2 % en Haute-Savoie. L’observatoire de Haute-Savoie cite de son côté un taux à 13,5 %, mais il s’appuie sur des chiffres de la CAF et de Teractem, basés sur les revenus déclarés et non pas sur les revenus disponibles.

Toujours selon l’Insee et la DGI, le niveau de vie a progressé en Haute- Savoie de 35 % entre 2005 et 2015, soit bien plus que la moyenne nationale à 25 %. Les deux départements sont également en queue de classement des taux d’allocataires pour la plupart des minima sociaux. Savoie et Haute-Savoie ne comptent que 5,4 % et 5,3 % de demandeurs d’emploi touchant l’allocation de solidarité spécifique, les taux les plus bas d’Auvergne-Rhône-Alpes, où l’Allier par exemple pointe à 10,6, le Cantal à 9,5… En 2015, seulement 17,3 % (16 309 personnes) des allocataires de prestations sociales de Haute-Savoie, et 19 % en Savoie (11 327), tirent plus de la moitié de leurs ressources de ces mêmes prestations. Là encore, le département est avec la Haute-Savoie, le Nouveau Rhône et l’Ain parmi les départements les moins concernés.

Dormir dans la rue, on peut toujours l’éviter en Pays de Savoie, affirmet- on en préfecture.

Pauvreté ressentie

Toujours en 2015, la part de la population allocataire du revenu de solidarité active (RSA) est à 3,1 % en Haute-Savoie et 3,9 % en Savoie, contre 6,2 % en moyenne régionale et 7,8 % en moyenne nationale. Savoie et Haute-Savoie sont également parmi les départements d’Auvergne-Rhône- Alpes où le taux de personnes âgées (plus de 65 ans) bénéficiant du minimum vieillesse est le plus faible : 2,2 % en Savoie, 2 % en Haute-Savoie. Pour autant, la pauvreté est bel et bien une réalité dans les Pays de Savoie. Elle touchait pas moins de 109 000 personnes en 2015, selon l’observatoire de la Haute-Savoie. Il en va de la pauvreté comme de la température : il y a l’indicateur “objectif”, si tant est que cela veuille dire quelque chose, et il y a le ressenti. Les 1 000 euros ne valent pas la même chose selon que l’on vit au milieu de travailleurs frontaliers qui peuvent en gagner quatre à cinq fois plus, ou que l’on réside dans une zone rurale ou un quartier relevant de la politique de la ville.

Le phénomène est particulièrement criant en Pays de Savoie où les écarts entre hauts et bas revenus peuvent être importants. En Haute-Savoie, c’est 5,5 fois, contre 4,2 fois en Savoie. Mais la valeur départementale cache de profondes disparités territoriales : sur Annemasse, les hauts revenus le sont jusqu’à 9,9 fois plus que les bas revenus ! « C’est la troisième ville de France pour cet indicateur après Paris et Neuilly-sur-Seine », indique Géraud Tardif, directeur adjoint à la direction départementale de la cohésion sociale de la Haute-Savoie. Ce phénomène de pauvreté “ressentie” est encore aggravé par la réalité géographique de nos départements de montagne. « Voir des gens dormir dans la rue est sans doute plus insupportable ici que sur la côte ou même à Paris, où la population s’y est hélas habituée », estime Géraud Tardif.

Le seuil de pauvreté ne dit pas tout du phénomène. Les services préfectoraux de la cohésion sociale se concentrent pour cette part de leur mission (ils intègrent également les anciennes missions de jeunesse et sport, traitent des problématiques logements, du droit des femmes) sur les publics les plus démunis. « Le 115 dirige les gens vers des structures partenaires, avec qui nous avons conventionné, explique le directeur adjoint. La nature même des parcours de vie en errance font que les personnes passent souvent de l’une à l’autre. Lorsqu’elles disparaissent de nos radars, comment savoir si elles sont sorties d’affaire ou au contraire si leur situation a empiré ? »

La clé du logement

Par ailleurs, l’action des services de l’État, des associations et des structures consiste à diriger les personnes vers des parcours d’intégration, et à quel moment décréter que ce travail est terminé ? « Avant d’arriver à un logement autonome ou adapté, chaque bénéficiaire pourra passer par des pensions de famille, des services d’intermédiation locative, des mandats de gestion… » Le logement, porte d’entrée vers l’intégration ? C’est particulièrement vrai en Pays de Savoie, en raison « des tensions sur le marché du logement, constate Géraud Tardif. J’aime citer trois chiffres : le fichier des demandeurs de logements sociaux compte 24 000 noms lorsque l’ensemble des bailleurs en attribuent seulement 4 500 par an, et que le parc global en compte 44 000. »

Donner un toit est bien souvent la première pierre d’une démarche d’intégration.

La richesse des départements attire des populations dont certains trouvent un emploi mais pas de logements, pouvant générer des situations d’exclusion. « Des bidonvilles, des camps illicites se créent, assure Géraud Tardif. Dans celui des Illettes d’Annecy, vingt personnes travaillent bel et bien ! » Le directeur adjoint de la cohésion sociale note une évolution du profil des personnes à la rue. « Auparavant, le public était essentiellement constitué de personnes isolées, en majorité des hommes, c’est moins vrai actuellement. Nous trouvons de plus en plus de familles avec enfants, de plus en plus de jeunes, et, encore plus nouveau, de plus en plus de jeunes filles. » Venir en aide aux plus démunis, est-ce toujours une priorité pour l’État, à un moment où celui-ci contractualise de plus en plus avec les associations ou d’autres collectivités ?

« Aider les plus démunis est forcément l’affaire de tous, corrige Géraud Tardif. Aucune collectivité n’est en mesure de régler seule le problème. L’État fait sa part. En Haute- Savoie, les crédits affectés à l’hébergement et la veille sociale sont passés de 8,5 millions en 2015 à 12,5 millions en 2018, parce que la population de ce département continue d’augmenter, et les besoins aussi. Les autres collectivités (département, communes) sont sollicitées et remplissent leur rôle. Les associations sont des relais indispensables sur le terrain, et nous avons noué avec elles des partenariats de bonne qualité. Tout le monde doit s’y mettre, y compris le simple citoyen. La pauvreté, c’est l’affaire de tous ! »

Interview de Françoise Camusso : « c’est plus dur d’être pauvre ici »

La première Vice-Présidente de la Haute-Savoie en charge de l’action sociale salue le travail départemental, mais constate que tous les besoins
ne sont pas satisfaits.

La Haute-Savoie est un département riche. Il est plus facile d’y être pauvre ?

C’est plus dur qu’ailleurs au contraire ! 12 000 personnes arrivent chaque année chez nous, certaines ont un travail, d’autres non. Certaines trouvent un logement, d’autres non. Les loyers sont tellement chers, parfois excessivement ! Mais le salaire minimum en revanche est bien le même partout. Un pauvre ici est plus pauvre qu’ailleurs, d’autant plus qu’ici, on le voit aujourd’hui, les hivers sont de vrais hivers ! Si au moins nous étions réellement classés en zone riche, cela permettrait de réévaluer ces salaires minimums, donc de mieux accompagner les employés les plus modestes. Nous demandons cette mesure depuis des années, mais l’État ne veut hélas rien savoir. Il existe dans le département des situations anormales, où les gens vivent trop nombreux dans de petits appartements… parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement !

Comment évolue la situation depuis dix ans ?

Notre population augmentant régulièrement, le nombre de cas que nous avons à traiter s’accroît aussi. En dix ans, la population vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté de 52 % en Haute-Savoie. Nous sommes maintenant confrontés à la problématique des mineurs non accompagnés, ils sont 400 en cette fin d’année. Nous faisons en sorte de les accompagner du mieux que nous pouvons. Tous les services travaillent dur pour que chacun retrouve le minimum de ce qu’on est en droit de demander. Nous voudrions avoir plus de possibilités d’hébergement. Cela aiderait certains à trouver du travail, et donc à s’insérer.

La Haute-Savoie a un faible nombre d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) ?

Ils sont tout de même quelque 8 000 et cela représente un budget de 50 millions d’euros. Le nombre évolue peu, mais on les garde moins longtemps qu’avant dans nos fichiers. Le marché de l’emploi est dynamique ici. Nous pouvons nous appuyer également sur un précieux réseau d’entreprises d’insertion et sur des initiatives locales intéressantes. Je suis toujours heureuse d’ouvrir une épicerie solidaire… tout en regrettant d’avoir à le faire.

Où se niche la pauvreté en Haute-Savoie ?

Les centres urbains sont très sollicités. Ceux d’Annecy comme d’Annemasse, Thonon-les-Bains, Cluses.

Que peut faire le Département ?

Je suis fière de notre engagement sur ces sujets. Nous agissons tous azimuts et nous allons souvent au-delà de nos compétences propres. Nous consacrons 7,5 millions aux actions d’insertion (contrats aidés, ateliers et chantiers d’insertion, accueils de jour, remobilisation des personnes…), près de 800 000 euros pour les jeunes (soutien aux missions locales, fonds d’aide spécifique), 2 millions pour lutter contre l’exclusion des publics les plus fragiles, 4,8 millions dans la prévention spécialisée. Par ailleurs nos aides pour le logement social s’élèvent à 9,2 millions, notre fonds de solidarité logement à 1,5 million, nos actions pour le Grand Âge à 15,2 millions. Mais il faudrait faire encore plus, il reste encore tellement de gens en grande souffrance !

Perspective : la couleur de la pauvreté ordinaire

Avouons-le, l’actualité a fait vieillir d’un coup le thème de notre rétro. Début novembre, lorsque nous fixions le thème, il s’agissait de présenter la vitalité du tissu associatif intervenant sur le champ de l’aide aux plus démunis. Depuis, le mouvement des gilets jaunes a changé la perception que l’on a de la pauvreté et de la précarité. Il y a, certes, la misère extrême, celle des gens qui n’ont plus de toit, plus d’emploi, qui vivent dans la rue, et c’est plutôt de celle-ci dont nous parlons dans cet article… mais il y a aussi la pauvreté ordinaire, celle des petites gens aux fins de mois difficiles, contraints d’utiliser une voiture de plus en plus taxée, confrontés au retrait des services publics, au temps partiel, à la cherté du foncier, des logements, de l’énergie…

2019, année jaune ?

Sont-ils pour autant pauvres ? Pas au sens propre, non. Certains sont sans doute des travailleurs pauvres, c’est-à-dire qu’ils ont un emploi mais gagnent quand même moins de la moitié (850 euros par mois, un million de personnes en France), ou moins de 60 % (autour de 1 000 euros, deux millions en France) du revenu médian. Mais la plupart sont bel et bien salariés et pourtant ne s’en sortent pas, ou s’en sortent mal. Ils n’en accusent pas leurs employeurs, ne font pas grève contre eux et évitent même de les gêner – certains le sont eux-mêmes – mais se tournent contre l’État, accusé de tous les maux, et surtout peut-être de ne pas écouter cette frange de la population… Quelles suites pour le mouvement ? Il est trop tôt pour le dire. Il a en tout cas révélé une France qui travaille… et qui souffre.

Après la fin, la suite

Le mouvement des gilets jaunes semble tirer à sa fin. Si nos départements n’ont pas été parmi les leaders, il n’ont pas non plus été à la traîne. Reste à voir comment la soif de parole qui s’est révélée va se poursuivre.


Philippe Claret et la rédaction

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