Le haut-savoyard Claude de Bourguignon cosigne, avec le professeur Patrice Queneau, un plaidoyer intitulé Sauver le médecin généraliste. Radioscopie.
Plus de 40 années à enchaîner les journées sans fin et les semaines sans repos n’ont pas entamé son dynamisme et sa passion. Médecin généraliste, «par choix et non par défaut, comme trop d’étudiants aujourd’hui», Claude de Bourguignon a effectué la majorité de sa carrière en Haute-Savoie, à Chamonix et à Annecy (Cran-Gevrier).
Il en a gardé une myriade d’anecdotes, qui enrichissent sa contribution à Sauver le médecin généraliste (318 pages ; éditions Odile Jacob ; postface de Bernard Accoyer), qu’il cosigne avec le professeur Patrice Queneau. L’idée est de montrer, à travers l’expérience, la richesse de la médecine généraliste et la nécessité de la revaloriser et de la reconsidérer.
« Le malaise des médecins généralistes n’est pas nouveau. En 2002, un sondage l’avait déjà mis en évidence, ce qui avait abouti à la création d’une commission à l’Académie de médecine (NDLR : aux travaux de laquelle il participe), se souvient-il. Condition de travail, rémunération, relation avec la médecine hospitalière, formation… les points de discussion sont nombreux. »
« J'espère aussi que ce livre contribuera à susciter des vocations car, malgré tout, médecin généraliste c’est un formidable métier. »
Claude Bourguignon
Contraintes et manque de reconnaissance
Selon le médecin, le problème remonte même aux années 1970. Il pointe du doigt en premier lieu les économistes et… les médecins spécialistes. «Tous y allaient de leur couplet destructeur; insuffisance de formation, incompétence, erreurs diverses, retard des diagnostics. Un professeur de médecine très médiatisé déclara en direct au cours d’une émission télévisée que les malades cancéreux mourraient de l’incompétence diagnostique « des généralistes » La suite ? Tous les médecins généralistes la connaissent.»
Et le toubib en retraite d’égrener la liste des atteintes à la profession de généraliste : blocages d’honoraires, expérimentations souvent peu concluantes (médecin référent, nouveau carnet de santé, amendes…), manque de possibilité d’évolution de carrière, «paperasse invasive et contraintes administratives toujours plus présentes», multiples ratés de l’informatisation, gardes imposées à répétition, approche statistique des autorités aux dépens de la prise en compte des réalités du terrain, «consumérisme médical favorisé voire encouragé par une rémunération unique de la consultation»… Difficile de résumer en quelques lignes des pages d’analyses critiques.
Propositions et espoirs
Mais l’intérêt de l’ouvrage réside aussi dans le fait que, justement, il ne s’arrête pas à une rafale de critiques et de constats attristés. Pour inciter les autorités à agir (c’est l’un des objectifs avoués de l’ouvrage), les deux auteurs y vont aussi de leurs propositions. Elles sont parfois iconoclastes : moins de maths théoriques et plus d’oral et d’épreuves en lien direct avec la pratique médicale dans la sélection. Ou même «compte tenu de la gravité de la pénurie, créer une filière spécifique de médecine générale au concours d’entrée».
Dans la formation, «axer sur la compétence diversifiée exigible d’un futur généraliste», en donnant notamment plus d’importance aux stages et aux études de cas cliniques. En ce qui concerne les conditions d’exercice du métier, les deux auteurs plaident, entre autres, pour un soutien aux maisons de santé pluridisciplinaires.
Ils se montrent ouverts aux évolutions technologiques, mais avec vigilance. « La télémédecine peut apporter beaucoup, y compris au niveau de la formation. Mais gare à ne pas « ubériser » la médecine et à ne pas faire du traitement par algorithmes, prévient Claude de Bourguignon. La relation humaine et individuelle avec le patient doit rester centrale. »
Partice Queneau et Claude de Bourguignon plaident pour une médecine généraliste conjuguant «efficacité et humanisme» : qui sache prendre le temps avec le patient ce qui in fine «évite de nombreux bilans et traitements inutiles, couteux, voire dangereux» (petit renvoi d’ascenseur au spécialistes…). Ils proposent de raisonner en «temps médical disponible et non plus en nombre absolu de praticiens par bassin».Intéressant. Cela veut dire décharger les médecins des tâches non médicales. Pour l’administratif, facile d’imaginer qu’à condition d’en avoir les moyens les généralistes seraient tous pour. Mais seraient-ils prêts à renoncer à certains tâches de soins qui ne relèvent pas purement du médical (au profit des infirmières, des kinés…) ? Une question à explorer dans un prochain ouvrage ?
Importance de la médecine clinique
Claude de Bourguignon insiste : l’examen clinique lors de la consultation est déterminant. Il englobe à la fois l’examen par instruments plus ou moins sophistiqués (stéthoscope, électrocardiogramme, marteau à réflexes, Dopler veineux…) et le contact avec le patient. Contact physique (toucher pour constater une douleur, une rigidité anormale…) et plus généralement sensoriel : la vision et l’audition sont aussi importantes. Regarder le patient, l’écouter, cela fait également partie de la consultation. Dans le diagnostic que pose le médecin se mêlent alors connaissance théorique (forcément impérative !) mais aussi expérience et même, parfois, une subtile alchimie entre le principe de précaution et l’intuition.
«Pourquoi ai-je un doute?», s’interroge-t-il en évoquant le cas de ce patient qui l’a appelé pour « une gastro ». En pleine épidémie, l’examen clinique puis une prise de sang semblent confirmer l’hypothèse. Et pourtant, «méfiant, je décide quand même de l’hospitaliser.» Résultat, peu après ce patient est opéré pour un abcès appendiculaire (appendicite aigüe). Un exemple parmi d’autres utilisé pour rappeler que «la médecine générale est un magnifique engagement de la prise en charge de l’être dans sa globalité». Et qu’elle doit être assise sur une solide formation et continuellement enrichie par l’expérience.
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