Alors que la loi dite “Macron” est en train de remodeler la justice entrepreneuriale, les institutions, qui accompagnent la création, la reprise et la fin de vie des entreprises constatent que «ça va mieux».
Soutenus par l’économie touristique, industrielle et agroalimentaire, par la proximité toujours bénéfique de la Suisse, les Pays de Savoie ont enregistré une démographie d’entreprise plutôt favorable, en 2016. En Savoie, les statistiques du tribunal de commerce de Chambéry confirment une amélioration de la conjoncture départementale. La régression de 23 % du nombre de procédures collectives, synonymes de licenciements, conforte le constat. Moins de salariés ont été confrontés à cette procédure, l’an dernier (- 41 %).
Des dérives entrepreneuriales demeurent néanmoins. En témoignent les 52 jugements rendus par l’institution chambérienne à l’encontre de dirigeants indélicats (+ 30 % en un an). Sur l’autre plateau de la balance, la création de 692 sociétés civiles montre une reprise de l’immobilier (+ 14 %). Avec 1 511 créations de sociétés commerciales (+ 4 %), et des investissements qui bondissent de 24 % en matière de matériels et outillages, le nouveau président du tribunal de commerce de Chambéry, Gil Sonzogni (il a succédé début 2017 à Jean-Pierre Oliva qui, avec huit années de présidence, détient le record de longévité dans la fonction), s’autorise même à parler d’amélioration.
En Haute-Savoie perce aussi l’optimisme. C’est le cas à Annecy. La diminution des procédures collectives continue une régression constatée depuis deux ans. Sur un an, elle atteint 9,5 % et descend en deçà du seuil des 400 affaires. Seul regret : les procédures préventives peinent encore à compter dans les réflexes des chefs d’entreprise hautsavoyards. Avec une quinzaine de procédures de sauvegarde engagées l’an dernier, le tribunal de commerce annécien fait juste mieux qu’en 2014 (13 saisines). Pire, les mandats ad hoc et les conciliations diminuent de 2,5 % tandis que 230 liquidations judiciaires et 153 redressements ont été prononcés. Le constat prévaut aussi pour les injonctions à payer. Elles progressent de 11 points sur un an (il y en a eu 1 173 en 2015). Jean- Louis Perrin, président du tribunal de commerce d’Annecy, perçoit dans ces résultats, le bénéfice de l’expérience «malgré une certaine complication du cadre législatif due à l’application de la loi Macron».
Le Chablais exemplaire ?
L’accalmie est aussi perceptible dans le Chablais où le nombre d’ouvertures de procédures collectives a régressé en 2016. «Cela traduit un impact atténué de la crise dans le nord du département de la Haute-Savoie», analyse Philippe Toccanier, le procureur du tribunal de Thonon. Un sentiment que confirme la hausse des immatriculations au registre des commerces et des sociétés, en particulier dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration et des services. «Les progressions des plans de continuation et des cessions d’entreprises sont également des indicateurs favorables», ajoute-t-il. Pour autant, l’activité du tribunal de commerce ne s’infléchit que peu avec 209 décisions rendues, soit 15 de plus que l’année précédente.
Et ces jugements font foi. «Nous avons un taux d’appel de 4,32 %, alors que la moyenne nationale se situe à 14,7 %. C’est l’expression de la pertinence de nos décisions», pointe Pierre Bertrand, président du tribunal de commerce de Thonon, depuis six ans. L’un de ces jugements aura d’ailleurs fait grand bruit, en décembre dernier, avec la liquidation judiciaire du club de foot Évian-Thonon- Gaillard, prononcée sur la base d’un passif de 17 millions d’euros. À l’opposé de tels exemples, Chablais Léman développement pointe des éléments favorables à l’économie locale. En 2015, l’association d’accompagnement à la création et reprise d’entreprises a financé 30 projets favorisant la naissance sinon le maintien de 88 emplois. Elle a, pour ce faire, versé 319 000 euros d’aides financières favorisant, par effet levier auprès des banques, un investissement de 4,7 millions d’euros sur ce territoire.
Prud’hommes désengorgés
Dans le bassin de Bonneville, l’ambiance économique et sociale s’améliore également. Le tribunal des Prud’hommes y note une diminution du nombre d’affaires de l’ordre de 15 %. «La généralisation de la rupture conventionnelle désengorge nos tribunaux et privilégie l’accord plutôt que le conflit», souligne Patrice De Loz, son président. De fait, les 250 contestations enregistrées en 2016 ciblent davantage les licenciements pour faute, les suites de liquidations judiciaires et des licenciements pour incapacités, surtout dans les secteurs du commerce et de l’industrie. Dans le même temps, la section agricole n’a enregistré aucune saisine.
Prévention : des outils peu exploités
Toutes les institutions économiques des Pays de Savoie le pointent, chaque année : les chefs d’entreprise tardent à s’orienter vers les dispositifs de prévention des difficultés. L’arsenal existe pourtant. Outre les dispositifs des tribunaux de commerce, l’association Savoie Sauvegarde, fondée par Philippe Piot, ancien président du tribunal de commerce, est un exemple unique en France. Ce service gratuit, mobilisable au numéro vert 0 800 800 130, a soutenu 94 dirigeants en 2015. «Nous notons quand même en 2016 davantage de sollicitations, plus hâtives dès l’apparition des difficultés. Les dirigeants connaissent sans doute mieux notre structure», se félicite Jean-Pierre Hugueniot (photo), président de Savoie Sauvegarde (et ancien président de la CCI Savoie). Intervenant dans 80 % des cas avant la sixième année d’exercice, à quasi-égalité dans le secteur artisanal ou industriel-service, les saisines concernent des entrepreneurs souvent en solo (59 %). Ils bénéficient d’entretiens confidentiels et individuels lors desquels des bénévoles, chefs d’entreprise, ou juristes, apportent gratuitement conseils et outils d’aide à la décision.
Accompagner et orienter
Dans le même esprit, la Banque de France a décidé, en octobre 2016, de dépasser le stade de la seule cotation des entreprises. Cette note utilisée par le monde bancaire pour analyser les risques sur crédit, les garanties et les bilans n’est plus le seul item que l’institution veut valoriser. Son nouveau gouverneur, François Villeroy de Galhau, entend accompagner le développement des TPE dont le CA ou le total bilan n’excède pas 2 millions d’euros et dont le nombre de salariés reste inférieur à dix. «Nous nous positionnons comme une plateforme d’orientation vers les organismes ad hoc : banques, business angels, Bpifrance ou associations d’appui» explique Jean-Louis Fiquet, directeur de l’antenne départementale de la Banque de France, à Chambéry. À travers le numéro 0800 08 32 08 (gratuit), les dirigeants sont accueillis, écoutés et dirigés vers l’interlocuteur approprié à leur situation, qu’il s’agisse d’une question de financement, de fragilité d’activité ou d’investissement.
Par Raphaël Sandraz
0 commentaires