Tandis que l’on se bat dans les rayons des supermarchés pour quelques pots de Nutella à -70 %, la rentabilité agricole est au plus bas.
Lors de son discours de clôture des états généraux de l’alimentation, le 21 décembre, le premier Ministre Édouard Philippe a évoqué la « crise sanitaire » des œufs contaminés à l’insecticide Fipronil, survenue au cours des débats, comme illustration de la nécessité pour toute la chaîne de production alimentaire, de faire preuve de transparence et de traçabilité pour « rétablir la confiance avec le consommateur ».
Il pourrait citer en outre, aujourd’hui, l’affaire du lait maternisé contaminé aux salmonelles chez Lactalis et plus encore, les récentes « émeutes » dans les magasins Intermarché, autour de pots de pâte à tartiner en promotion à -70 %. Car si ces états généraux avaient effectivement pour objectif de répondre aux enjeux sociétaux, de qualité, de traçabilité, etc., ils visaient surtout à une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre les différents acteurs.
Agriculteurs proactifs
« Le monde agricole a été particulièrement moteur dans cette démarche, affirme d’ailleurs Michel Joux, président de la chambre d’agriculture de l’Ain. La rentabilité agricole est insuffisante depuis trois ou quatre ans, entre des normes et réglementations qui enchérissent les coûts de production — avec cette spécificité franco-française d’être toujours les mieux disant dans la transcription du droit européen — et des prix de vente qui font souvent le yo-yo à la baisse. Nous avions déjà alerté le gouvernement de François Hollande pour demander une régulation des prix, très libres depuis 2008 et la Loi de modernisation de l’économie (LME).
Nous réclamons de longue date des rapports commerciaux plus équilibrés sur le marché intérieur, le vote d’une loi visant à une meilleure répartition de la valeur ajoutée. Nous tirons le signal d’alarme depuis un moment, sur le risque de disparition des exploitations familiales au profit de mastodontes de l’agriculture dont les Français ne veulent pas. En France, on veut des exploitations à taille humaine, où les exploitants sont propriétaires de leur outil. » Conduites de juillet à décembre, les discussions ont été, selon le président de la chambre d’agriculture de l’Ain, très constructives, « même de la part des industriels ou des distributeurs ». Les objectifs semblent globalement partagés. « Quand il s’agit de savoir quoi mettre en place, c’est différent. »
Grands principes
À l’issue de ces états généraux, le Gouvernement a proposé différentes mesures, comme le contrôle des promotions et une révision à la hausse des seuils de vente à perte (lire le détail, ci-dessous). En attendant une loi, les discussions ont donné lieu à la signature d’une charte.
Signée par tous, les distributeurs, les producteurs, les coopératives agricoles…, elle « n’est pas une succession de concepts généraux qui, à force de vouloir tout dire, finissent par ne plus rien dire », s’est félicité le Premier ministre. « Celle-ci est extrêmement précise. Très concrète aussi. On y parle de « construction de prix à partir de l’amont », « d’intégration des coûts de production des produits agricoles », de « montée en gamme de l’offre alimentaire ». On y parle surtout des vrais sujets, ceux qui fâchaient avant qu’on décide de se parler et qui aujourd’hui, ressemblent de plus en plus à des objectifs communs. Pour moi, c’est plus qu’une charte, c’est une stratégie », avait-il lancé. Michel Joux et Thierry Thenoz, président de l’interprofession porcine de Rhône-Alpes, constatent pourtant l’un et l’autre que la grande distribution s’est montrée particulièrement agressive, dans les négociations de ce début d’année. Déjà oubliés les grands principes ?
« Nous espérons que la loi sera bien écrite et obligera les différents opérateurs à se mettre autour de la table », souffle le président de la chambre d’agriculture qui demande aux industriels et à la grande distribution, une plus grande transparence sur les marges.
Des mesures annoncées
Pour mettre fin à la « guerre des prix » à laquelle s’est livrée la grande distribution ces dernières années, le Premier ministre a annoncé pour la fin de ce premier semestre, une loi fixant à 10 % le seuil de revente à perte sur les produits alimentaires. Il prévoit également d’encadrer les promotions à 34 % en valeur et à 25 % en volumes. Ces mesures sont associées à une refonte de la contractualisation qui tiendra compte des coûts de production.
« Si les industriels et les distributeurs jouent le jeu, l’inflation générée par ces textes devrait être limitée, autour de 1 % selon les estimations », assure Michel Joux, président de la chambre d’agriculture de l’Ain. Et celui-ci d’argumenter : « Sur les marchés agricoles, nous devrions sortir du droit de la concurrence, non pas pour une entente sur les prix, mais sur des indices fiables de construction des prix. »
Chiffres
156 037 : c'est le nombre de personnes qui ont visité le site internet dédié à la consultation lancée dans le cadre des états généraux de l'alimentation. Ils sont 25 409 à s'être inscrits pour 16 918 contributions.
11 % : la consultation en ligne a enregistré 163 453 votes. Parmi les participants, 11 % provenaient d'Auvergne-Rhône-Alpes, deuxième région derrière l'Île-de-France (37 % des visiteurs).
La filière porcine des intentions à la réalité
Des discours aux actes, l’interprofession constate quelques décalages. Agriculteur à Lescheroux, président de l’interprofession porcine de Rhône-Alpes, Thierry Thenoz a évidemment participé aux débats dans le cadre des états généraux de l’alimentation. Pour lui, les annonces du Gouvernement traduisent un pas en avant conséquent. « Reste à savoir comment ces intentions seront traduites dans la loi et comment celle-ci sera mise en pratique, tempère-t-il cependant. Le projet de loi est en cours d’élaboration. Nous serons rapidement fixés. »
Et celui-ci de noter : « Les débats ont permis d’aboutir avec la grande distribution sur un accord de principe en vue d’intégrer les notions de coûts de production dans l’établissement des prix et d’une juste répartition de la valeur ajoutée. Pourtant, les négociations de ce début d’année se sont révélées particulièrement agressives avec une demande de baisse des prix de l’ordre de 15 %. La dernière embellie sur les prix de la viande de porc n’est due qu’à la demande internationale, particulièrement chinoise. Or, c’est un risque pour la filière que de dépendre principalement d’un débouché. »
"LA PRODUCTION DE VIANDE EST LOIN D’ÊTRE SUFFISANTE POUR RÉPONDRE AU BESOIN DES TRANSFORMATEURS D’AUVERGNE-RHÔNEALPES."
La faiblesse des prix de vente par rapport aux coûts de production a un impact direct sur les enjeux sociétaux de l’alimentation. « Auvergne-Rhône-Alpes est un bassin de consommation important, avec une tradition ancienne de salaisons. Mais, la production de viande est loin d’être suffisante pour répondre au besoin des transformateurs », note le président régional de l’interprofession.
À l’issue des états généraux, chaque filière devait remettre son projet de filière au ministère de l’Agriculture. Celui de l’interprofession porcine prévoit de renforcer la compétitivité du secteur, de proposer une nouvelle segmentation du marché du porc, d’améliorer l’offre, de consolider l’excellence de la filière française et de développer un plan stratégique export. Au regard du droit de la concurrence, elle prévoit une étude sur la formation du prix du porc et d’organiser l’amont. De quoi proposer un mécanisme de régulation des prix et une stratégie de contractualisation.
Par Sébastien Jacquart
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