Comment les marques s’adaptent à la Suisse

par | 16 octobre 2017

Bon nombre de succès ou d’échecs commerciaux peuvent s’expliquer par des problèmes au niveau de la stratégie de marque. Comment par exemple faire établir une marque de surgelés dont le nom est associé à une famille d’explorateurs (malgré une petite différence d’orthographe)?
C’est le défi auquel a été confronté Valérie Kunstmann, dont le family office a importé plusieurs marques, pour distribuer en Suisse les produits du français Picard en tant que CEO de l’entité suisse. «Il ne faut pas rester fixé sur ce qu’on est, en tant que concessionnaire de la marque Picard.
Proposer aussi des produits locaux
C’est une erreur de se concentrer d’abord sur la Suisse romande, simplement parce que les gens y parlent la même langue. Picard est la marque préférée des Français, mais en Suisse, l’aviation et les voyages viennent à l’esprit bien avant les surgelés. Il faut être proche des consommateurs, afin d’identifier les portes d’entrée. Aujourd’hui, nous communiquons en Suisse sur «Picard – Les surgelés». La marque, ça crée certes une force, mais il ne faut jamais perdre l’humilité à l’égard des consommateurs qui sont sur place», a-t-elle raconté dans le cadre d’une table ronde lors du Forum des affaires franco-suisses 2017.
Ce qui veut dire, dans le cas de Picard, qu’il faut également proposer des produits locaux. «Il y a des produits que nous ne référençons pas en Suisse, mais nous proposons aussi 30% de produits suisses agréés par Picard.»
Et le fait que le groupe français soit détenu à hauteur de 49% par un groupe domicilié en Suisse, Aryzta, est très probablement trop peu connu du grand public pour faire une différence.
Il existe d’autres exemples où la nationalité perçue d’une marque ne correspond pas à celle de son propriétaire, comme Lacoste, passant toujours pour française. «Le côté capitalistique n’est pas un problème en soi, mais il faut savoir le gérer», estime le président de l’agence Gaultier Colette René-Georges Gaultier.
La tentative de Carrefour de s’établir en Suisse avec plusieurs succursales reste dans l’histoire comme l’un des échecs les plus cuisants. Car elle est une sorte d’exemple-type d’une tentative de copié-collé du concept français en Suisse, comptant sur la force de la marque, condamnée à l’échec d’après la professeure Michelle Bergadaa. Mais selon René-Georges Gaultier, «cette expérience est tout de même assez spécifique. Il est très difficile de s’implanter en Suisse dans le domaine alimentaire. La Suisse est le pays le plus fortement dominé par des marques de distribution, celles de Coop et de Migros, soit à hauteur de 55%. En France, ce taux n’est que d’un peu plus de 30%. Dans le domaine du retail, il faut arriver avec un produit typique, spécifique, avec une véritable identité.»
Respecter les us et coutumes
L’ajout d’une certaine identité suisse à une marque bien établie dans un ou plusieurs autres pays paraît donc indispensable. «Il ne faut pas être vu envahisseur le jour de l’arrviée en Suisse, respecter les us et coutumes. Il faut cibler très précisément la Suisse, non pas la considérer séparée en trois régions linguistiques», insiste René-Georges Gaultier. Les chaînes allemandes d’alimentation à bas prix Aldi et Lidl, dont les ambitions en Suisse ont été commentées à leurs débuts avec beaucoup de scepticisme (aussi face à l’expérience de Carrefour), l’ont bien compris. Dans le cadre de plusieurs campagnes, elles ont mis en évidence leur ancrage en Suisse.
Les tentatives ratées de copié-collé ne concernent pas que les chaînes françaises. «Les six premiers mois de Vapiano (une chaîne de restaurants fondée à Hambourg, ndlr) à Lausanne étaient dramatiques. Nous sommes arrivés comme des prétentieux. Les affaires ne se sont améliorées que lorsque nous nous étions mis à faire du frais avec des produits locaux, avec de nouvelles recettes.
Aujourd’hui, nous y servons plus de 1200 clients par jour. Lausanne est le seul restaurant de la chaîne à proposer de la chasse, et ça marche», selon Valérie Kunstmann. Pour elle, l’approche en Suisse alémanique est bel et bien encore différente de celle en Suisse romande: «il y a plusieurs Suisses.
La réaction vis-à-vis d’entreprises françaises diffère selon les cantons. Si cela se passe beaucoup mieux à Bâle au niveau relationnel, il ne faut pas oublier le fait que le problème des prix se pose de manière beaucoup plus aiguë dans les régions limitrophes.»
Ce n’est peut-être même pas si différent des personnes physiques: «en Suisse, en tant que Français venant s’y installer, il faut faire comprendre aux interlocuteurs qu’on s’est fixé, qu’on s’y attache. Créer une entreprise en Suisse, cela ne suffit pas. Il faut être assez précis, par exemple dire qu’on est propriétaire de sa maison en Suisse. Il s’agit de faire ressentir qu’on a épousé la Suisse, pour surmonter la suspicion de n’être là que pour profiter», explique René-Georges Gaultier. La professeure Michelle Bergadaa met encore le doigt sur une autre différence importante: «chers Français, soyez à l’heure à vos rendez-vous!» Le respect de cette directive est d’autant plus important que le relationnel joue un rôle capital dans le développement d’une activité en Suisse.
Le cas particulier du concept naissant de marque territoriale
La deuxième métropole française a un déficit de notoriété par rapport à son poids économique et démographique. La coordinatrice du programme OnlyLyon Emmanuelle Sysoyev cherche à le corriger. «La marque représente un vrai outil de pilotage. Toutes les villes sont en train d’y venir. Dans ce qui ressemble toujours plus à une compétition entre territoires, même si leurs limites sont souvent mouvantes, il faut faire rêver les jeunes classes créatives», souligne-t-elle. La conception d’une stratégie permettant de se démarquer passe par la création d’une identité, qui répond à la question des profils qu’un territoire souhaite attirer. Comme l’a relevé la vice-présidente de la Chambre de commerce et de l’industrie France-Suisse Marie Wattez, «la marque est un concept qu’on possède dans l’esprit de clients potentiels». Quant à la professeure Michelle Bergadaa, elle invite à distinguer: «la marque, c’est votre ADN, votre personnalité, que vous ne changerez pas. En revanche, ce qui va changer, c’est l’expression que vous en avez.» Dans le cas de Lyon, l’approche est fortement basée sur la notion de métropole. Au vu des capacités d’attraction des aéroports, où Cointrin enregistre des fréquences deux fois supérieures à celles de Lyon St-Exupéry, Emmanuelle Sysoyev constate que «sur certains aspects, Genève et Lyon sont concurrents plutôt que partenaires».
Parler la même langue peut donner l’illusion de partager exactement le même espace culturel, et donc les mêmes habitudes, les mêmes références. Mais les marques françaises qui ont ainsi tenté de simplement s’étendre en Suisse romande ont essuyé des échecs cuisants. Le refus de s’adapter aboutit à un retrait douloureux. Les entreprises cherchant à établir une marque sur un nouveau marché doivent garder une attitude modeste. Parfois, elles doivent clarifier leur identité, afin d’éliminer un danger de confusion. La famille d’explorateurs Piccard est si présente dans l’esprit des Suisses que seule une marque adaptée «Picard – Les surgelés» permet d’occuper une nouvelle place. Il est encore moins connu que les surgelés Picard appartiennent à 49% à un groupe suisse, Aryzta.
Christian Affolter
L’Agefi, lundi 16 octobre 2017

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