Dans son édito, Myriam Denis analyse la prochaine révision constitutionnelle sous le prisme du Meilleur des Mondes, d’Aldous Huxley.
J’aime bien la science-fiction, pas vous ? Mon ouvrage de référence, mais vraiment en mode livre de chevet serait Le Meilleur des Mondes, d’Aldous Huxley, un mix entre une vision prophétique, certains diraient utopique même, et complètement effrayante car pétrie d’une potentielle véracité, de l’avènement d’une société annihilée par la pensée unique (et qui, en ce sens, rejoint quelque peu le Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, en 1953).
Le meilleur des mondes, c’est l’aporie de notre société actuelle, qui d’un côté cherche éperdument un sens à toute chose et dans un autre, se laisse continuellement mettre sous le diktat de la pensée dominante, sans montrer de volonté à sortir des clous. Cet ouvrage, rédigé en 1931, “prône”, sinon décrit l’avènement d’une civilisation sans défaut ni grumeau, sans odeur ni saveur, une société eugéniste où l’humain est entre les mains des scientifiques, chargés de répartir les gens dans des castes. Le but est de pousser les individus à aimer leur statut, à s’inscrire dans une société extrêmement stable d’où disparaît la réflexion par soi-même, les passions et évidemment, où toute idée de révolte serait tuée dans l’œuf, si par grand hasard, elle se manifestait. Dans cette société utopique, l’éducation sert naturellement à façonner les esprits. Et surtout, la libre-pensée, la réflexion et les états d’âme sont perçus comme des ennemis du bonheur. Il serait pourtant relativement hypocrite de considérer que cette vision d’une civilisation serait entièrement mauvaise, certains points – l’absence de vieillesse, de souffrance ou de pauvreté, par exemple – peuvent séduire, quand le gommage des différences entre les éléments d’une même caste interroge. Mais la division de la société en castes et l’improbabilité d’une réflexion individuelle effraient, même si l’on comprend que l’évolution humaine décrite est essentiellement portée par les révolutions scientifiques et technologiques…
« LE MEILLEUR DES MONDES, C’EST L’APORIE DE NOTRE SOCIÉTÉ ACTUELLE, QUI D’UN CÔTÉ CHERCHE UN SENS À TOUTE CHOSE ET DANS UN AUTRE, SE LAISSE METTRE SOUS LE DIKTAT DE LA PENSÉE DOMINANTE. »
Pourquoi se pencher aussi longuement sur une analyse littéraire dans une publication économique ? Vouloir construire une civilisation parfaite est un leurre et l’on pourrait le lancer dans d’interminables diatribes sur la société de plus en plus hygiéniste dans laquelle nous évoluons. Au-delà des considérations philosophiques et pour en revenir à des circonspections plus prosaïques, on peut imaginer que certains faits politiques actuels ressemblent à des miettes jetées en pâtures à une armée de pigeons affamés, lesdites miettes se nommant par exemple révision constitutionnelle. Cette réforme sans doute nécessaire de nos institutions, ne paraît – largement pas – être le dossier le plus sexy traité ces derniers temps, et pourtant, elle est symptomatique de la politique globale conduite à l’heure actuelle. En effet, si l’on se penche sur la forme, le projet de révision constitutionnelle doit normalement être adopté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat, avant d’être approuvé par référendum. C’est là précisément que le bât blesse : le président de la République a décidé de sauter allègrement cette étape, en soumettant le texte au parlement réuni en congrès. Pour qu’il soit validé en l’état, le texte doit être approuvé par les trois cinquièmes des suffrages. Et pour atteindre cet objectif, pas question de fâcher les sénateurs : le projet a donc été soigneusement toiletté.
Une révision constitutionnelle vise un impact sur nos institutions : il aurait pu être intéressant que le peuple puisse s’exprimer. À l’évidence, la vox populi devra se taire. Pour le meilleur ?
Myriam Denis
Rédactrice en chef
m.denis@eco-ain.fr

0 commentaires