L’État serait-il schizophrène ? D’un côté, on nous assure, avec force conviction(s), vouloir réaffirmer l’intérêt de consommer / faire travailler français. Le made in France est devenu tendance, nombre d’entreprises l’affichent fièrement, revendiquant le savoir-faire local comme gage de qualité et de cycle vertueux via la proximité des acteurs qu’il impose. D’un côté, donc, vive le made in France. De l’autre, lorsqu’une région souhaite faire appliquer une clause de langue française sur ses chantiers, on s’offusque comme une vierge effarouchée.
C’est exactement ce qu’il se passe à l’heure où plusieurs territoires – dont Auvergne Rhône-Alpes – ont décidé de mettre en œuvre la clause Molière sur les chantiers publics. L’objectif revendiqué, notamment par Laurent Wauquiez, est double… Faire en sorte que les salariés des entreprises présentes sur lesdits chantiers parlent français, est une façon de pratiquer une préférence régionale assumée… Dans le viseur, les travailleurs détachés. De plus, il est rejoint par Valérie Pécresse (région Ile-de-France) sur l’aspect sécuritaire : parler français dans les métiers du BTP relèverait d’une question de sécurité eu égard à la compréhension des consignes.
Mais l’ancien préfet de région Rhône-Alpes, Michel Delpuech, ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, « cette clause, susceptible de créer une discrimination fondée sur la nationalité des entreprises candidates, est contraire aux principes constitutionnels de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats ». Il a donc demandé, avant de rejoindre la région Ile-de-France, l’annulation de cette délibération. Mais c’était sans compter sur Laurent Wauquiez. Bien décidé à protéger « ses » entreprises, non seulement maintient son dispositif, mais pousse l’initiative jusqu’à la création d’une brigade de cinq personnes à temps plein, chargées de contrôler les cartes professionnelles des salariés présents sur les chantiers, ainsi que leur bonne pratique de la langue. L’histoire ne dit pas si ce sont des créations nettes d’emplois. Ni où placer le curseur d’une pratique « correcte » de la langue. Si le test est également écrit, l’Éducation Nationale va devoir mettre les bouchées doubles, tant on sait que nombre d’enfants arrivent au collège sans savoir aligner trois mots par écrit exempts de faute.
« FAIRE EN SORTE QUE LES SALARIES DES ENTREPRISES PRÉSENTES SUR LESDITS CHANTIERS PARLENT FRANÇAIS, EST UNE FAÇON DE PRATIQUER UNE PRÉFÉRENCE RÉGIONALE ASSUMÉE… DANS LE VISEUR, LES TRAVAILLEURS DÉTACHÉS. »
Alors naturellement, dès lors qu’une mesure aborde la thématique de la préférence régionale – fusse-t-elle dans un contexte purement économique – elle est immédiatement et irrémédiablement fustigée. Car oui, certains salariés présents sur les chantiers sont effectivement issus d’une immigration tout à fait légale et leur emploi est un véritable levier d’intégration sociale. Cette mesure tente de freiner la dérive du travail détaché, qui n’est pas illégal en soi, comme chacun sait. Mais les entreprises peinent à faire front face à ce qu’elles considèrent généralement comme de la concurrence déloyale, avec des personnes qui ne viennent pas de Roumanie pour s’astreindre aux 35 heures, soyons réalistes. Dans le même temps, la France est le troisième pays d’origine de travailleurs détachés en Europe : va-t-on les obliger à apprendre la langue du pays où ils travaillent ? Force est de constater que la directive européenne portant sur le détachement date de… 1992. À l’époque, l’Europe, c’était 15 État membres, avec un écart de salaires inscrits sur le rapport de 1 à 3. C’est plutôt 1 à 10 actuellement… La Commission européenne planche sur une nouvelle mouture, tandis que les juristes français s’échinent à déterminer si la clause Molière peut être applicable et appliquée. Il aura quand même fallu attendre un « coup médiatique » pour se pencher sur la question…
Myriam Denis
Rédactrice en chef adjointe
m.denis@eco-ain.fr
0 commentaires