Dans son édito, Myriam Denis s’interroge sur le traitement réservé, dans l’actualité, au coronavirus chinois. La machine se serait-elle emballée ?
Je ne sais pas vous, mais j’aurais rêvé de pouvoir posséder une boule de cristal – fiable, si possible. Une boule de cristal qui m’aurait permis de découvrir l’avenir, le vôtre, le mien, celui de l’humanité, le grand truc. Pourtant rétive aux achats sur internet (cf. édito de fin d’année dernière), si j’en avais trouvé une, je l’aurais peut-être commandée, rien que pour comprendre si je m’illusionne ou si le monde devient un peu fou. Depuis plusieurs jours, le vacarme assourdissant du battage médiatique autour du coronavirus chinois ne cesse d’aller crescendo. Je ne dis pas qu’il ne faut pas prendre au sérieux cette menace sans nul doute et hélas bien réelle. Mais lorsque je vois sur le site internet de BFM TV le sondage suivant : « Coronavirus, les médias et les responsables politiques en font-ils trop », franchement, je m’interroge… Les chaînes d’info en continu sont les premières à se délecter du sensationnel, à faire tourner en boucle des images toutes plus anxiogènes les unes que les autres, assorties de sous-titres du genre : « Un colis en provenance de Chine peut-il transporter le coronavirus »… Je me dis que l’on marche sur la tête. Ou que l’on devient addict à un certain voyeurisme. Ou les deux. Peut-être même, sommes-nous en train de nous laisser “intoxiquer” le cerveau par ce flot d’infos prémâchées, du prêt-à-penser exempt de recul et d’analyse.
« PEUT-ÊTRE MÊME, SOMMES-NOUS EN TRAIN DE NOUS LAISSER “INTOXIQUER” LE CERVEAU PAR CE FLOT D’INFOS PRÉMÂCHÉES, DU PRÊT-À-PENSER EXEMPT DE RECUL ET D’ANALYSE.. »
« Il n’y a plus la moindre connexion entre l’information et la réalité du risque », estime le professeur Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerranée infection. Une phrase qui mérite, je crois, réflexion.
Dans le même ordre d’idée, je parcourrais le magazine du Monde, lequel a consacré sa Une et un dossier de sept pages, à l’affaire d’un jeune chef d’orchestre de 24 ans, mis en examen pour viols aggravés, dans le Morbihan. Surtout, le magazine, au terme d’un reportage de longue haleine, veut démontrer “l’omerta” qui a entouré l’affaire, révélée ni par la presse locale, ni par les élus, ni les victimes, ni les musiciens, etc. « Rien n’avait filtré », peut-on lire dans le chapô. « Inexplicable mutisme », pointe l’article. Manifestement, les Bretons voulaient laver leur linge en privé, comme le dit l’expression.
Le journaliste écrit : « Le doute nous a alors saisis. À quel prix faut-il informer nos lecteurs, d’Auray ou d’ailleurs, sur ce qui s’est passé dans cette petite ville ? Révéler cette affaire sera-t-il plus néfaste que de la maintenir sous silence ? » De mon humble avis, les rédacteurs auraient sans doute gagné à se poser la question un peu plus en profondeur.
Une citation du célèbre Albert Londres me revient en mémoire : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».
Je crois que notre profession gagnerait à s’interroger d’un peu plus près : à partir de quel moment, verse-t-on du côté du racolage ? À partir de quel moment, nous sortons de notre vocation d’information et d’analyse, pour être plus vendeur ? Les journalistes du Monde font un travail remarquable. Ils concluent leur dossier par une longue citation, exprimant les bienfaits de leur enquête : elle devrait permettre à des langues de se délier. Peut-être…
Myriam Denis
Rédactrice en chef
m.denis@eco-ain.fr

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