Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les eaux minérales publié le 14 mai a plus de saveur qu’un verre d’eau microfiltrée. On y découvre quelques “scoops” locaux.

Le préfet de la Haute-Savoie se voit reprocher son attentisme en termes de contrôles (sans conséquence : la situation à Thonon et Évian est, semble-t-il, saine). L’exploitant des eaux d’Aix-les-Bains a été mis en demeure, fin janvier « de retirer tous les microfiltres inférieurs à 0,45 micron – non mentionnés dans l’arrêté d’autorisation – et de justifier l’utilisation de filtrations inférieures à 0,8 micron (1) »…
Pour autant, la véritable saveur du rapport ne concerne pas notre territoire. Et même pas non plus les autres régions productrices d’eau en bouteille.
Car même si l’on en apprend encore plus sur les agissements frauduleux de certains minéraliers, l’essentiel avait déjà été révélé par les médias, en premier lieu par Le Monde et Radio France. Non, ce qui donne sa saveur au rapport, c’est la manière directe dont il pointe les dysfonctionnements globaux.
Le titre de la partie 1 est éloquent : « Contrôles mis en échec, lobbying décomplexé, les pratiques de certains industriels et leur dissimulation par l’État ont mis à mal la confiance dans le secteur ». Et le titre d’un des chapitres va encore plus loin : « Les liaisons dangereuses État- Nestlé, ou comment édulcorer un rapport officiel à la demande d’un industriel ». On croirait plutôt lire Mediapart (qui, à ce jour, a consacré un dossier de 31 articles depuis 2018 au sujet de Nestlé) qu’un document sénatorial.
« Appelons cela le Watergate français. La marque emblématique d’eau minérale française Perrier [groupe Nestlé] est au centre d’un nouveau scandale qui menace de déborder et d’atteindre les plus hauts niveaux du gouvernement », écrit alors la version anglophone de Politico.eu, en allusion, évidemment, au scandale du Watergate, qui poussa le président américain Nixon à démissionner, en 1974 (2).
Cinquante ans plus tard, sommes-nous à la veille d’un tel scandale et d’un tel dénouement ? Je n’y crois guère. Le rapport ne pointe l’intervention que des cabinets ministériels (Santé, Industrie et Premier ministre) et du secrétariat général de l’Élysée, pas des ministres eux-mêmes et encore moins du président.
Et puis, la France est quand même un pays (sans doute l’un des rares parmi les démocraties) où deux anciens présidents et deux anciens Premiers ministres (respectivement Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon) ont, au XXIe siècle, été condamnés définitivement en justice… Mais, à chaque fois, bien après la fin de leurs mandats !
Alors d’ici à ce qu’il y ait des démissions en cours d’exercice pour “simples” accusations… Si l’on peut toujours espérer qu’en termes de protection du consommateur (santé ou pouvoir d’achat…) ce rapport ait des retombées positives, politiquement parlant, je ne vois qu’une seule issue : il va passer d’une éphémère lumière médiatique à une durable poussière dans un placard. Et la confiance entre les Français et les élites va continuer… de prendre l’eau.
(1) La réglementation n’autorise pas la filtration inférieure à 0,8 micron pour préserver la pureté naturelle de l’eau minérale.
(2) Ce Watergate-là, n’avait qu’un lien très ténu avec l’eau : c’était, à Washington, le nom d’un immeuble, situé près d’une ancienne écluse. Mais vu l’ampleur de l’affaire, le terme (ou seulement son suffixe -gate) est, depuis, couramment utilisé pour signifier un scandale d’État.
Éric Renevier
Photo à la une : © AFP
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