En route pour le Tour !

par | 15 juillet 2018

Comment fonctionne une équipe cycliste pro ? Que coûte et que rapporte un passage de la Grande boucle dans votre ville ? Alors que le Tour de France débarque en Pays de Savoie, réponses avec avec Vincent Lavenu, le patron de l’équipe savoyarde AG2R-La Mondiale dans une interview exclusive ; et avec des élus des territoires concernés.


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Vincent Lavenu :
« Je n’ai pas eu peur d’aller au bout de mes envies ! »

Le patron de l’équipe cycliste AG2R-La Mondiale, dont le siège est à Chambéry (La Motte-Servolex) revient pour Eco sur son parcours personnel et sur le fonctionnement de la PME sportive qu’il dirige.

 

Comment êtes-vous arrivé au vélo ?

Je suis originaire de Briançon, une ville de hockey et de ski. C’est d’ailleurs par ces sports que j’ai commencé. J’ai même été deuxième lors d’un championnat départemental de slalom géant : j’avais gagné un gros gâteau ! J’ai découvert le vélo à la faveur d’une étape du Tour à Briançon. Ce passage de la Grande boucle, c’est d’ailleurs mon plus vieux souvenir d’enfance. Mais n’étant pas issu d’une famille de cyclistes, je ne suis venu au vélo que bien plus tard, quand un de mes voisins a créé un club et que mon frère s’y est inscrit.

Et vous êtes vous-même devenu cycliste professionnel…

Oui. J’ai gagné mes premières courses en cadets. Après le service national, j’ai vraiment donné la priorité au vélo et j’ai réalisé de bonnes performances chez les amateurs. Mais je n’avais pas les bons contacts et je suis passé pro sur le tard, à 27 ans (1983).

 

Pourquoi avez-vous monté votre propre équipe ?

En 1991, une équipe suisse m’a proposé de la rejoindre… à condition que j’apporte un sponsor avec moi. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Alain Chazal [ndlr : dirigeant des boucheries Chazal] et qu’est né le projet d’une équipe française avec davantage de jeunes. L’année suivante, j’ai arrêté de courir et nous avons lancé l’équipe Chazal. Ce n’était pas évident de convaincre : je n’étais pas une star du peloton et le modèle proposé était nouveau. Mais ça a marché.

 

« LE MODÈLE ÉCONOMIQUE D’UNE ÉQUIPE CYCLISTE PROFESSIONNELLE REPOSE UNIQUEMENT SUR LES SPONSORS. IL EST DONC TRÈS FRAGILE. »

 

Comment passe-t-on d’une petite équipe à l’une des 15 plus grosses écuries mondiales ?

C’est une question de personnes, de confiance et un peu de chance aussi. Après Chazal, Georges Plassat, alors patron de Casino, nous a suivis avec “Petit Casino, c’est votre équipe”, en 1996. Après quelques mois d’évaluation, épaté par le niveau d’engagement des coureurs et de l’équipe, mais déçu de voir qu’elle n’était pas retenue pour participer au Tour de France, il est allé voir Jean-Marie Leblanc, le directeur de l’épreuve. J’étais avec lui. On a traversé la France pour 5 minutes de rencontre. Jean-Marie Leblanc lui a dit : « Vous voulez une équipe qui puisse figurer sur le Tour ? Mettez-y les moyens ! » Et c’était terminé. Dans la foulée, notre budget a été multiplié par cinq et nous avons commencé à engranger des succès plus nombreux et plus significatifs.

Dans un sport régulièrement entaché par les affaires de dopage, votre propre équipe a été touchée. Comment avez-vous réagi ?

Nous avons eu des cas isolés, c’est vrai. Le dernier, c’était en 2015 et j’ai failli tout arrêter sans même finir la course. Tant de boulot, tant d’efforts qui peuvent être anéantis par le comportement d’un seul individu, alors que tous les coureurs de l’équipe sont très suivis médicalement et très sensibilisés au fait que de leur comportement dépend le sort de toute l’équipe, c’est décourageant. Mais bon, quand on dirige une entreprise qui fait vivre 70 familles [ndlr : 29 cyclistes et tout l’entourage médical, technique et administratif], on n’a pas le droit de baisser les bras.

Après Chazal puis le groupe Casino, Vincent Lavenu est parvenu à convaincre AG2R (aujourd’hui AG2R La Mondiale) de le suivre. Une relation qui dure depuis plus de 20 ans. Crédit photo : Eric Renevier.

Votre sponsor principal, AG2R (aujourd’hui AG2R-La Mondiale), vous suit depuis 1997. Comment obtenez-vous une telle fidélité ?

Il y a du rationnel et du non-rationnel. Toutes les études montrent que le cyclisme reste le sport qui procure aux sponsors le meilleur retour sur investissement. À notre niveau, les retombées médiatiques pour AG2R-La Mondiale [ndlr : converties en équivalent d’achats publicitaires] dépassent les 100 millions d’euros par an, pour un investissement de 15 millions. Sans parler du lien de proximité établi avec le public, qui est très fort dans le cyclisme.

Et pour le « non-rationnel » ?

Nous vivons des moments incroyables dans une saison, et les sponsors sont souvent là avec nous, au coeur des courses. Il y a des creux et des journées dures, mais aussi des succès exceptionnels : j’ai vu des sponsors pleurer de bonheur lors de victoires sur des étapes du Tour de France. Tout ce vécu, ces émotions, cimentent la relation. Avec AG2R-La Mondiale, et notamment son directeur général André Renaudin et Yvon Breton qui était jusqu’à cette année directeur du sponsoring, nous entretenons une relation solide et ancienne qui se traduit, entre autres, par des contrats de partenariat pluriannuels (l’actuel cours jusqu’en 2020) qui atténuent aussi les effets des éventuelles crises médiatiques.

 

Quel est le modèle économique d’une équipe cycliste professionnelle ?

Il repose uniquement sur les sponsors. Dans le cyclisme professionnel, il n’y a pas de droits télé, pas de recettes de billetteries, pas de subventions publiques. Et les produits dérivés (textile, accessoires…) restent quasi anecdotiques dans le budget. Il s’agit donc d’un modèle très fragile : si le sponsor se retire, l’équipe peut disparaître.

 

L’équipe est une filiale du groupe AG2R-La Mondiale ?

Pas du tout. Nous sommes une EUSRL (entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée), France Cyclisme, totalement indépendante. La société est détenue à 100 % par une association : un montage que j’avais imaginé il y a près d’une vingtaine d’années pour pérenniser la structure après une année déficitaire. Ce qui, au passage, signifie que je ne pourrais même pas revendre la société que j’ai bâti et fait grandir en presque trois décennies vu qu’elle ne m’appartient pas !

 

Vincent Lavenu, en pleine préparation d’étape avec Romain Bardet, leader de l’équipe et l’une des superstars du peloton. Crédit photo : Yves Perret – www.ypmedias.com

Est-ce difficile de gérer des cyclistes professionnels, personnalités parfois très médiatiques ?

Non. En tout cas pas plus que de gérer les autres salariés de l’entreprise ! Sans généraliser, je pense que c’est beaucoup moins difficile que de gérer des stars du foot : les salaires en jeu ne sont pas les mêmes et le cyclisme impose une rigueur à l’entraînement qu’aucune technique ne peut venir compenser. Ça rend obligatoirement humble. Mais devoir dire à un coureur qu’il n’est pas conservé dans l’équipe l’année suivante ou simplement qu’il n’est pas retenu sur telle ou telle grande course, c’est difficile… Il n’a pas forcément démérité, il a fait le boulot sérieusement, mais il faut faire des choix. Ce qu’il faut alors, c’est être juste et ne pas avoir peur d’aller dans l’explication.

 

Une bonne partie de l’équipe professionnelle AG2R-La Mondiale est maintenant issue de Chambéry cyclisme formation. C’est une satisfaction ?

Oui, c’est une vraie réussite. Il faut surtout rendre hommage à Loïc Varnet, le directeur de CCF : c’est lui qui est venu me voir pour monter le projet. L’équipe pro apporte 50 % du budget, le reste émane des collectivités et des autres partenaires. Au final, c’est un succès à tous les niveaux : pour les jeunes qui arrivent à passer pro ; pour l’équipe AG2R-La Mondiale, parce que nous voyons arriver des jeunes dont on connaît les capacités sportives mais aussi la dimension humaine ; et même pour ceux qui n’arrivent pas à devenir professionnels, car ils ont quand même de quoi se retourner dans la vie grâce aux études qu’ils suivent obligatoirement en parallèle.

 

Et vous, en matière d’études, quel a été votre cursus pour devenir patron de PME ?

Il a été court ! J’ai un BEP de comptabilité. C’est peu, mais cela m’a été bien utile au moment de monter mes premiers budgets. Les premiers temps ont été compliqués, vu que je n’y connaissais rien. Je me souviens qu’au début j’avais un enregistreur sur la table de nuit, au cas où un truc important me réveille. J’ai vite arrêté : je ne dormais plus du tout ! Et puis j’ai appris au fur et à mesure. J’y ai mis du travail, de la conviction et de la sincérité, ça fait beaucoup je pense.

 

Une équipe pro comme la vôtre joue une bonne partie de la saison sur le Tour de France. Ça ne met pas trop la pression ?

Si, ça met la pression, mais on s’y habitue. La pression, je l’ai d’abord connue en tant que coureur professionnel et ça m’a permis de m’habituer à la précarité. La peur, c’est le premier facteur limitant. Moi, au moment de monter ma première équipe, je n’ai pas eu peur. J’ai été au bout de mes envies. Je suis tenace, c’est sans doute ma première qualité. Après, il y a aussi une question de chance quand il s’agit de faire les bonnes rencontres. Mais quoi qu’il en soit, la vie n’est jamais un long fleuve tranquille, alors il ne faut pas avoir peur de se lancer.

Propos recueillis par Eric Renevier
Photo haut de page : l’équipe AG2R-La Mondiale lors d’un entraînement _ Yves Perret – www.ypmedias.com

La Grande Boucle, outil de promotion efficace et jackpot à la clé

Accueillir le Tour de France coûte cher. Mais rapporte aussi beaucoup selon les collectivités concernées.

Le 17 juillet, le peloton du Tour de France traversera le Plateau des Glières, à 1 435 mètres d’altitude. Ce sera une première pour la Grande Boucle. Cette étape de 159 kilomètres, reliant Annecy au Grand-Bornand, sera assurément un temps fort du Tour 2018 avec force animations, découverte des produits locaux et respect de l’environnement. Cette première étape de montagne aura également un air d’autrefois, avec un passage sur 1,8 kilomètre de chemin non goudronné, une première depuis plus de 50 ans.

« Ce passage du Tour sur le plateau des Glières sera à la fois une épreuve sportive, mais également une vitrine pour nos alpages et notre patrimoine historique, explique Christian Monteil, président du conseil départemental de Haute-Savoie. Le Tour de France est relayé par plus de 500 médias dans 200 pays dans le monde. Chaque étape est une invitation à venir dans nos départements. »

Le département a engagé 1,5 million d’euros pour la remise en état des routes permettant l’accès au Plateau des Glières, la réfection des enrobés des parkings et de certaines portions de la descente des Glières, entre le Plateau et Usillon. Au total, pour cette dixième étape, 50 kilomètres de routes départementales ont été remis en état pour un montant de 4,5 millions d’euros.

 

Au Grand-Bornand, l’accueil d’une arrivée du Tour ainsi que de sa réplique populaire l’Etape du tour revêt des enjeux très important qui s’affichent jusque sur les télécabines de la station. Crédit Photo : Augustin Losserand.

ACCÉLÉRATEUR DE NOTORIÉTÉ

Chaque année, près de 200 villes sont candidates pour accueillir le Tour de France, et une trentaine seulement est sélectionnée. Le ticket d’entrée est pourtant non négligeable : 70 000 euros à verser à l’organisateur ASO (Amaury sport organisation) pour être ville de départ et 110 000 euros pour être ville d’arrivée. Pour le Tour 2017, Düsseldorf (Allemagne) a même signé un chèque de 4,5 millions d’euros pour être la ville du grand départ !

Mais les retombées économiques sont supérieures aux dépenses initiales. Chaque euro investi par la collectivité organisatrice lui rapporterait 1,5 euro. Mais, le retour sur investissement se traduit surtout en termes de notoriété et d’image, en raison de la médiatisation de l’événement et de l’effet séduction sur les primo-visitants attirés à l’origine par l’événement. Même si la plupart des spectateurs viennent pour la journée regarder la course au bord de la route, les hôtels et les restaurants accueillent le peloton et les professionnels accompagnant les coureurs, qui dépensent davantage qu’un touriste “classique”.

Albertville, pour la première fois ville-étage, compte sur cet effet-notoriété. Le Grand-Bornand accueille pour la septième fois le Tour de France, le troisième événement sportif le plus médiatisé au monde, et pour la première fois l’étape du Tour amateur le 8 juillet : 15 000 cyclistes vont emprunter le même parcours entre Annecy et le Grand-Bornand. Ce sont autant de sportifs et de visiteurs qu’il faudra loger et nourrir. Le village enregistre des réservations depuis le printemps car de nombreux cyclistes viennent s’entraîner.

« Ce sont des visiteurs potentiels pour l’avenir, car ils auront découvert notre territoire, insiste Isabelle Pochat- Cottilloux, directrice de l’office de tourisme du Grand- Bornand. Nous travaillons avec nos commerçants et nos hébergeurs pour leur demander d’être des relais d’informations auprès des visiteurs pour les accès, les heures de fermeture des routes, les sites à visiter. » Le Grand-Bornand enregistre un million de nuitées par an, dont 38 % sont réalisés l’été. Cette saison, avec le Tour de France, le 15 août et le festival Au Bonheur des Mômes, il compte dépasser les 400 000 nuitées.

 

L’équipe de France espoir de cyclisme sur route prend la pose devant l’Opinel géant de Saint-Jean-de-Maurienne, lors d’un récent stage dans la vallée. Crédit photo : Maurienne Tourisme – Alternative Media.

MAURIENNE, LE VÉLO TOUTE L’ANNÉE

Des taux de remplissage en bonne santé grâce au Tour de France, c’est aussi ce que connaît la vallée de la Maurienne, terre bénie des cyclistes. « Les hébergeurs sont attentifs à la clientèle cycliste et à celle des motards, pendant le Tour mais également durant l’été, précise Patrick Provost, vice-président au tourisme au Syndicat du Pays de Maurienne. La semaine du passage du Tour de France voit les réservations monter de 20 % à 30 % et toute l’activité économique du fond de vallée en bénéficie. » Et le cyclisme dynamise la Maurienne toute l’année, notamment avec une dizaine de stages des équipes de France de cyclisme dans toutes les disciplines.

Dorothée Thénot

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