Industrie et délocalisation : le prix à payer

par | 14 décembre 2016

RESTER OU PARTIR ? C’EST LE DILEMME DE BEAUCOUP D’ENTREPRISES EN HAUTE-SAVOIE. CERTAINES ONT FAIT LE CHOIX DE DÉLOCALISER EN ASIE OU EN EUROPE DE L’EST. UN PARCOURS DU COMBATTANT PAS FORCÉMENT GAGNANT.

Les raisons pour lesquelles certaines entreprises décident de s’installer à l’étranger sont diverses, et comprennent notamment des considérations financières et logistiques. Mais délocaliser n’est pas forcément synonyme d’économies. En Haute-Savoie, certaines entreprises ont fait le choix de partir, alors que d’autres maintiennent leurs sièges et leurs usines au sein du département.

DÉLOCALISER POUR SUIVRE SES CLIENTS

Roger Pernat, PDG de Pernat Indutrie.

Bien évidemment, il existe des raisons objectives pour délocaliser des volumes de production. À commencer par la nécessité pour les entreprises d’implanter leurs activités à proximité de leurs clients. C’est cette raison qui a poussé Pernat Industrie, qui fournit des pièces décolletées de précision aux constructeurs automobiles, à délocaliser une partie de sa production. Le groupe vient notamment de bénéficier d’un investissement de 13 millions d’euros du Fonds avenir automobile, qui va compenser la sortie de certains actionnaires minoritaires du groupe, mais aussi financer sa stratégie de développement international, notamment pour accompagner Renault. L’entreprise a ouvert un site de production en Roumanie en 2014 et un site industriel est aussi en cours d’installation en Turquie.

«Le Fonds avenir automobile, qui est notamment abondé par Renault et Peugeot, cherchait à investir parmi les membres de la filière automobile, notamment leurs fournisseurs. Étant fournisseur principal de Renault, nous étions une cible principale pour cet investissement», explique Roger Pernat, Pdg du groupe. Renault a poussé le géant haut-savoyard à le suivre à l’international dans le cadre de son expansion en Turquie et en Roumanie. «Il fallait nous développer à l’international, car nous étions quasiment saturés en ce qui concerne le développement en France. Renault nous a demandé de trouver une solution.»

En plus d’accompagner Renault, il s’agissait pour Pernat Industrie de s’assurer un accès à des marchés stratégiquement importants. «Des pays comme la Roumanie et la Turquie, qui grandissent en tant que marché automobile, veulent développer leur réseau industriel dans leur territoire, pour alimenter les sites industriels territoriaux. Si on ne va pas là-bas, ce sont des marchés qui nous échapperont. En revanche, ils nous donnent une force commerciale qui est grande et nous permet d’obtenir d’autres marchés avec un savoir-faire français. La plupart des pièces que l’on va fabriquer en Roumanie et en Turquie sont développées en France et ensuite transférées pour les besoins locaux en Turquie et en Roumanie», explique-t-il.

De nombreuses entreprises ont ainsi fait le choix de rester en Haute-Savoie plutôt que de tout délocaliser. Certaines entreprises ont même décidé de relocaliser leur activité de l’étranger vers la Haute-Savoie.

LA FIN DE L’ELDORADO CHINOIS

En délocalisant, de nombreuses entreprises cherchent également à réduire leurs coûts de production, avec notamment une main-d’œuvre bon marché. Cependant, les choses sont en train de changer. Alors que dans les années 2000, les coûts salariaux constituaient encore l’argument majeur des entreprises étrangères qui s’établissaient en Chine, aujourd’hui, selon le dernier rapport du Bureau of Labor Statistics, le salaire horaire en dollars a triplé entre 2002 et 2009. Et selon les estimations de Natixis, le coût salarial unitaire en Chine pourrait rejoindre le coût salarial unitaire des pays de la zone euro d’ici 2020.

De plus, comparé à une usine haut-savoyarde, certains sites étrangers ont une productivité relativement faible, ce qui a un impact négatif sur les coûts. Au-delà des salaires, la délocalisation entraîne de nombreuses difficultés et les entreprises candidates devront également prendre en compte certains facteurs, tels que la distance culturelle et linguistique, la flexibilité des horaires de travail sur place ou encore la disponibilité d’une main-d’œuvre compétente. De plus, la délocalisation entraîne des coûts souvent importants en matière de transport et de logistique, et qui le seront probablement de plus en plus à l’avenir, en raison de leur impact croissant sur l’environnement.

À cela s’ajoutent des problèmes de qualité et des délais de livraison trop longs depuis le site délocalisé. «Je peux vous citer de nombreuses difficultés que l’on a rencontrées lors du déménagement en Roumanie. Ce n’est pas simple de travailler dans ce pays, car il y a de grosses contraintes et de grosses lacunes. Dans les Pays de l’Est, il y a des problèmes de main d’œuvre qualifiée, il faut former. Ce n’est pas un parcours de santé de délocaliser», se souvient Roger Pernat.

LA VALLÉE DE L’ARVE, UN ÉCRIN POUR L’INDUSTRIE

De nombreuses entreprises ont ainsi fait le choix de rester en Haute-Savoie plutôt que de tout délocaliser. Certaines entreprises ont même décidé de relocaliser leur activité de l’étranger vers la Haute-Savoie. Alain Parmentier, le dirigeant de FA Gerbelot, et son équipe se sont lancés dans la création d’une nouvelle fonderie à Marnaz, rapatriant une activité jusqu’ici basée en Allemagne, où un partenaire avait annoncé la fermeture d’une fonderie. «Soit on vendait toute l’activité et on faisait partir notre savoir-faire et notre personnel, soit on construisait une autre fonderie ici pour garder tout le monde et créer une nouvelle activité dans la vallée de l’Arve, car une fonderie, c’est une première dans la région. On a même créé huit emplois supplémentaires», détaille Alain Parmentier.

La Fonderie du Mont-Blanc voit le jour, le 6 juillet 2013, sur un terrain de 3 500 m2. L’opération permet au groupe d’avoir plus de contrôle : «Je voulais avoir une société de proximité pour gérer l’ensemble de la chaîne», souligne le dirigent. Mais il s’agit aussi de faire des économies : «À terme, les frais de transport vont devenir tels qu’on va avoir beaucoup de surcoûts. Nous réalisons des cages assez importantes, et devons transporter environ 200 tonnes de laiton par an. Ça a quand même un coût !». Et ceux qui partent gardent un pied et le bon dans la vallée.

Malgré son fort développement national et international, Pernat Industrie a maintenu son siège et une partie de sa production dans la région. «La vallée de l’Arve a encore ce savoir, ce renom, sa compétence. Ce n’est pas quelque chose que l’on retrouve facilement à l’étranger», explique Roger Pernat. La Technic Vallée semble posséder de nombreux atouts. «On a un tissu indus- triel qui est indéniable et sur lequel s’appuient la plupart des entreprises, et ce tissu-là, on ne le retrouve quasiment nulle part ailleurs. La vallée représente un atout exceptionnel au sein de notre industrie. À l’étranger, on s’appuie fortement sur son image de marque, qui est très forte. Il faut la développer, la maintenir, former des jeunes», conclut Roger Pernat.


Par Romain Fournier


Crédit photo : Holding Fag.


 

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