Plongée dans l’univers de Volvo Compact Equipment, à Belley, pour mieux comprendre les enjeux d’une entreprise industrielle et, à travers ce prisme, de tout un secteur d’activité.
Dominique Gertner, comment évaluez-vous la santé du marché français dans votre secteur d’activité ?
Il se porte plutôt bien. Si le marché français a subi un coup de frein important en début d’année 2015, il a repris des couleurs en 2016, notamment grâce à la loi Macron et plus précisément, l’article relatif à l’investissement. L’inconvénient pour nous, c’est que cette loi prévoyait dans un premier temps, avant d’être modifiée, des mesures de défiscalisation sur l’investissement sur ce type d’équipement… Mais avec une date butoir au 15 avril. Ainsi, tous nos clients voulaient leurs machines en même temps. Il nous a été nécessaire de nous organiser soigneusement en conséquence. Notre activité est déjà, par nature, particulièrement saisonnière (corollaire de celle des travaux publics), et il n’est pas toujours évident de gérer ces cycles. Par exemple, en un trimestre nous pouvons être amenés à réaliser 50 % du volume de l’année complète. Nous avons notamment travaillé avec nos commerciaux, afin d’anticiper au maximum ce phénomène de montée en production. Nous avons réalisé des stocks, en prenant soin de vérifier que nous avions les carnets de commandes à l’issue. Cette année, la loi ayant été modifiée, les choses sont différentes : la date du 15 avril est toujours applicable mais en cas de versement anticipé de 10% avant cette date, la livraison peut être effectuée jusqu’en 2018, voire 2019. L’annonce a hélas été un peu tardive… Nous pouvions craindre que cette loi soit un effet d’aubaine, et que nos clients achètent pour bénéficier de la loi Macron. Ce serait autant de machines dont ils ne feraient pas l’acquisition dans le temps. Mais cet effet d’aubaine devrait finalement être amorti. Et nous gagnons en visibilité sur les deux prochaines années, ce qui est pratiquement inespéré : depuis la crise de 2008-2009, on navigue à vue. Nous avons appris à vivre avec un carnet de commandes et des prévisions plus court-termistes.
Quel est le visage de Volvo Compact Equipment ?
Le site de Belley existe depuis le début des années 50 (entreprise de grues à tour), et pour notre part nous sommes installés depuis 1984.
Nous concevons et fabriquons des mini-pelles jusqu’à 10 tonnes, des petites chargeuses (jusqu’à 100 chevaux), dans la gamme compact. Nous sommes inscrits sur un marché extrêmement concurrentiel, avec des machines qui sont les plus vendues dans le monde entier pour l’activité des travaux publics. En Europe, nous pouvons compter une quarantaine de concurrents, plus d’une cinquantaine à l’échelle mondiale. Dans le groupe, nous sommes les seuls à disposer de notre propre service recherche et développement sur le site.
Notre entreprise (CA : 100 millions d’euros cette année) retrouve des volumes et des niveaux de chiffres d’affaires que nous ne connaissions plus depuis dix ans. Nous employons plus de 400 personnes, dont une centaine d’intérimaires, et entre 15 à 18 % de femmes. Notre objectif est d’en accueillir en logistique, où elles sont absentes actuellement. Cela fait partie de la culture de Volvo : tendre vers la diversité. Nous sommes certifiés Iso 9001, 14001 et 18000. Quant au lean… On ne parle pas de lean, mais plutôt de système de production propre à Volvo, et applicable à l’ensemble des sites de production du groupe, en adéquation avec la philosophie du groupe. La qualité, la prise en compte de l’environnement et la sécurité font partie de notre ADN. Quant à nos valeurs, elles se nomment succès de nos clients, amélioration continue, passion, performance et confiance.
La crise a-t-elle été une façon de se repenser, de se remettre en cause pour amorcer une phase nouvelle ?
Mon mandat en tant qu’élu régional, Oui, beaucoup. Le coup de frein de la crise, personne ne l’avait anticipé. Au contraire, nous étions dans une logique de croissance supplémentaire, dans la droite ligne des années précédentes. Finalement, on ne se souciait pas autant de notre compétitivité qu’aujourd’hui. Cette crise nous a clairement rappelés à l’ordre. Certains produits n’y ont pas survécu. D’autres, ont su rebondir. Nous avons réfléchi à une offre produits que nos clients souhaitent acquérir et avons renouvelé notre gamme. Nous cherchons à les concevoir de manière efficace. Nous avons réalisé de gros efforts de R&D pour nous caler au mieux avec la demande. Au final, nous nous sommes remis en cause et avons réalisé les ajustements nécessaires. Même si nous sommes encore inscrits sur un marché extrêmement volatil. Le terme d’agilité, ce n’est pas un buzz ou un concept ésotérique. C’est du concret, c’est une réalité et un avantage qui participe à ce que l’on imagine pour l’usine de demain.
« LES MÉTIERS D’AUJOURD’HUI NE SONT PAS CEUX DE DEMAIN »
Et comment vous représentez-vous cette usine du futur ?
Elle serait encore plus agile qu’aujourd’hui, donc capable de s’adapter rapidement à la demande du client, qu’elle soit à la hausse ou à la baisse. Cette réactivité se traduit également par des circuits plus courts, sans passer par des composants majeurs qui proviennent de l’autre bout du monde. La personnalisation des produits est également un élément à prendre en compte.
Quel est votre regard sur le phénomène de désindustrialisation en France ?
Je n’avais aucun espoir de victoire. On Pour réindustrialiser, la problématique majeure est celle de l’emploi et de la formation. Si vous avez un business case qui vous permet d’obtenir un chèque pour investir dans un site industriel, des robots et des centres d’usinage, c’est parfait et finalement, il s’agit presque de la partie la plus facile. Mais il faut des gens pour faire tourner les robots, pour souder, pour l’usinage… On a connu une problématique de filière, c’était un véritable chemin de croix pour réussir à trouver du monde. Nous savons tous que le chômage est trop important actuellement, mais créer des emplois, c’est compliqué. On se retrouve confrontés à la problématique des compétences, et elle devient de plus en plus essentielle. En outre, les besoins en compétences des entreprises évoluent extrêmement rapidement. Le rôle de la formation continue devient essentiel.
Par ailleurs, il est nécessaire dans un environnement concurrentiel comme celui que nous connaissons, d’être créatif. La robotique, les nouvelles technologies s’imposent peu à peu dans le quotidien de nos entreprises.
On connaît aussi un décalage entre l’idée que les gens se font des métiers industriels, et ce qu’ils sont dans la réalité. Quand certains pensent industrie, ils imaginent Germinal ! Nos métiers évoluent en permanence, et les métiers industriels d’aujourd’hui ne sont encore pas ceux de demain ! L’industrie 4.0 offre la possibilité de connaître de véritables ruptures technologiques, c’est l’opportunité que l’on doit saisir. La crainte ne doit pas être de considérer que les robots vont prendre le travail des gens.
S’inscrire dans une dynamique prospective réclame des partenariats, notamment avec les grandes écoles…
On travaille sur des concepts de machines entièrement électriques, par exemple, plus respectueuses de l’environnement. On a un démonstrateur qui fonctionne, nous sommes en phase de pré-étude. Pour parvenir à ce résultat, nous collaborons avec l’EM Lyon, rencontrée via l’UIMM de l’Ain. Cette école nous accompagne notamment sur l’appréhension du marché. Nous nous associons régulièrement avec les grandes écoles comme l’Insa et INP de Grenoble. Cela nous permet d’être ouverts vers l’extérieur, de nous projeter vers le futur.
Propos recueillis par Myriam Denis
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