Interview / Philippe Julita : «une entreprise qui ne dépose pas ses comptes attire l’attention sur elle»

par | 26 février 2019

Ne pas publier ses comptes reste illégal, même si les petites sociétés ont des options de confidentialité.

Selon des estimations, moins de 30 % des entreprises déposeraient leurs comptes.

Cela me paraît très exagéré. En Savoie Mont Blanc, je pense plutôt que la plupart des sociétés sont dans les clous et respectent l’obligation de dépôt des comptes annuels. En outre, les greffes n’acceptent pas de laxisme en la matière et certains n’hésitent pas à envoyer les gendarmes aux récalcitrants. J’ai l’exemple récent d’un restaurant dont le patron a vu débarquer la police en plein service du déjeuner. Il y a mieux pour soigner son image ! Par ailleurs, le non dépôt entraîne une amende de 1 500 euros, portée à 3 000 en cas de récidive alors que le dépôt coûte 45 euros. Ces amendes restent cependant insignifiantes pour des sociétés importantes et certaines, effectivement, s’affranchissent de leurs obligations.

PHILIPPE JULITA
Expert-comptable, commissaire aux comptes et associé du groupe Eurex

Pour quelles raisons ?

Il y a plusieurs cas de figure. Une entreprise peut hésiter ponctuellement à déposer ses comptes en raison d’une baisse d’activité et de résultats négatifs. Mais ne pas déposer va probablement attirer l’attention du tribunal de commerce dont une partie du travail consiste à prévenir les risques de défaillance. La non publication peut s’expliquer par la guerre commerciale pour ne pas dévoiler ses performances et se faire “piquer” des marchés. Une baisse d’activité peut aussi donner l’idée à un concurrent d’aller débaucher des personnes clés de l’entreprise. Les jeunes sociétés hésitent aussi parfois lorsqu’elles sont sur de nouveaux marchés ou des niches d’activité pour gagner du temps et consolider leurs positions.

Mais les obligations légales ont été allégées.

Effectivement depuis 2014, les micro entreprises et les petites entreprises bénéficient d’allègements en matière d’obligations comptables. Elles doivent toujours déposer leurs comptes mais peuvent demander une option de confidentialité (non opposable aux autorités judiciaires, administratives ou encore à la Banque de France). Et de fait, énormément de sociétés ont sauté sur l’occasion. D’autres évolutions sont en cours. Ainsi la loi Pacte en cours d’examen par le Parlement prévoit-elle un rehaussement des seuils nécessaires à la nomination d’un commissaire aux comptes. C’est moins de contraintes pour l’entreprise, mais d’un autre côté, le commissaire aux comptes est garant de la certification des comptes.

Nous sommes dans une région où beaucoup d’entreprises travaillent en sous-traitance pour des donneurs d’ordre. Déposer ses comptes c’est un atout comme une norme iso ?

C’est plutôt le contraire en fait. Dans certains cas, des donneurs d’ordre font pression sur leurs sous-traitants pour une révision à la baisse de leurs prix après avoir pris connaissance de leurs bilans et de leurs niveaux de marge ! D’un autre côté il y a aussi des patrons qui utilisent le dépôt des comptes comme un outil de communication pour montrer qu’ils n’ont pas peur de la concurrence et qu’ils n’ont rien à cacher.


Qui doit rendre des comptes ?

Les comptes sociaux annuels sont composés du bilan, du compte de résultat et de l’annexe (informations significatives sur la vie de la société). Les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés par actions, certaines sociétés en nom collectif et coopératives agricoles, ainsi que les sociétés étrangères doivent déposer leurs comptes annuels au Registre du commerce et des sociétés près du Tribunal de commerce dont elles dépendent dans le mois suivant la tenue de l’assemblée générale les ayant approuvés, ou 7 mois maximum après clôture de l’exercice (un mois de délai supplémentaire en cas de dépôt de comptes en ligne).

Depuis 2014, les micro entreprises peuvent demander la confidentialité des comptes annuels. Pour les petites entreprises, cette confidentialité est limitée au compte de résultat, le bilan et l’annexe devant être publiés et accessibles aux tiers. Les micro entreprises ne doivent pas dépasser deux des trois seuils suivants : total de bilan de 350 000 euros, montant net de chiffre d’affaires de 700 000 euros, nombre moyen de 10 salariés employés au cours de l’année.

Pour les petites entreprises, les trois seuils sont respectivement de 4 millions d’euros, 8 millions d’euros et 50 salariés. La confidentialité n’est pas autorisée pour les sociétés d’assurance et réassurance, les établissements de crédit ou de financement, les sociétés gérant des titres, ou encore les entreprises appartenant à un groupe.


Propos recueillis par Sophie Guillaud


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