Interview / Thomas Daudré-Vignier « Rendre ses lettres de noblesse aux métiers de la logistique »

par | 11 avril 2018

Le président du Pôle d’Intelligence Logistique rhônalpin regrette que les métiers de la logistique soient encore méconnus et dévalorisés, alors qu’ils sont stratégiques et porteurs d’emplois.

Qui êtes-vous, Thomas Daudré-Vignier?

Depuis janvier 2016, je suis le président du Pôle d’Intelligence Logistique (PIL’ES) basé Parc de Chesnes, entre St-Quentin-Fallavier et Satolas-et-Bonce, par ailleurs, responsable d’un site logistique dans la distribution spécialisée.

Qu’est-ce que le PIL’ES?

C’est une association loi 1901 qui a vu le jour il y a dix ans et qui regroupe près de 150 membres représentant à eux seuls entre 5000 et 6000 salariés. Ses adhérents sont en majorité des logisticiens, mais on dénombre aussi des sociétés de service, des agences d’intérim, des promoteurs immobiliers, etc. La vocation du PIL’ES est de promouvoir les métiers de la logistique et le territoire sur lequel il œuvre.

Qui en est à l’origine?

Tous ceux ici qui voulaient promouvoir cette filière ont lancé, il y a dix ans, une sorte de club de réflexion. Tous ressentaient en effet le besoin d’échanger sur les différentes problématiques de la logistique : manutention, logiciels, personnels, recrutement, fonctionnement, etc. Chacun a amené son expertise et son expérience dans un dialogue franc et sans tabou. Personne ne pouvait se douter que le PIL’ES allait prendre, dix ans plus tard, une telle ampleur.

Malgré vos efforts, les métiers de la logistique demeurent méconnus ?

C’est un peu moins le cas aujourd’hui parce que le e-commerce est arrivé et qu’il a tout révolutionné. Mais il est vrai que notre vœu le plus cher, c’est de rendre ses lettres de noblesse aux métiers de la logistique, une branche hyper stratégique, quelles que soient les entreprises. L’ADN du PIL’ES, c’est de promouvoir les différents métiers qui peuvent composer la logistique en général, et, en même temps, ce territoire, qui représente, en la matière, la zone la plus grande de France. Paris a plus de mètres carrés, mais pas aussi concentrés sur un même lieu.

Parc de Chesnes, on semble être parvenu aujourd’hui à saturation. Il sera bientôt impossible d’accueillir de nouvelles plateformes…

C’est vrai pour les plateformes de plus de 60000 m2. Néanmoins, il reste des territoires qui, pour le moment, ne sont pas encore exploitables au niveau industriel. Le PIL’ES a beaucoup œuvré pour rendre nos métiers et notre territoire attractifs. C’est, comme on dit, la rançon du succès! On mènera donc des réflexions sur le sujet. C’est même tout l’intérêt du PIL’ES que de phosphorer.

De quelles ressources vit l’association ?

Nos deux partenaires principaux, la CCI Nord Isère et la Communauté d’Agglomération Porte de l’Isère (CAPI) nous soutiennent financièrement, mais les deux tiers de nos recettes proviennent de ressources propres, notamment les cotisations de nos adhérents. Ce n’est pas toujours évident, mais le fait d’avoir de l’auto financement fait que l’on jouit d’une certaine liberté quant aux projets que l’on veut mener.

REPÈRES

  • 23 février 1966 : Naissance à Soissons (Aisne).
  • 1994: Il fait son entrée dans le monde de la logistique en devenant responsable de la société SONEPAR (Ile-de-France).
  • 2004 : Il rejoint la région lyonnaise en devenant responsable du site logistique ROHE spécialisé dans la maintenance et l’installation de stations-services.
  • 2012 : Il devient directeur d’un site logistique spécialisé dans la grande distribution dans le Nord-Isère.
  • 2016 : En janvier, il est nommé président du Pôle d’Intelligence Logistique rhônalpin.

Est-il vrai que les entreprises du Parc de Chesnes ont beaucoup de mal à recruter?

C’est même le problème numéro 1, bien que cela semble moins significatif ici que dans la Plaine de l’Ain ou en région parisienne! Il faut dire que le métier est resté méconnu pendant longtemps et qu’il a développé une image négative. Pourtant, on constate tous les jours qu’il permet d’évoluer très vite vers des postes à responsabilité et qu’il a des passerelles vers l’administratif. Il s’adresse aussi à des ingénieurs, des concepteurs… Face à cette tension de l’emploi, il faut nous réinventer en permanence. En cela, le PIL’es organise depuis 2012 « Logistic Expo », un salon 100 % dédié à la logistique et à ses métiers. Cet événement s’intègre désormais dans la Biennale de la Logistique qui réunit près de 1500 personnes sur trois jours. Un événement d’envergure pour mieux faire connaître ce secteur qui recrute auprès de publics scolaires, demandeurs d’emplois et acteurs du territoire.

À votre avis, d’où vient le succès du Parc de Chesnes ?

Avant tout, du savoir-faire des salariés! Des gens de tous niveaux! Du simple magasinier à l’ingénieur ; pas mal d’informaticiens, aussi. Ensuite, il a donné la possibilité de construire des entrepôts de très grande taille. Surtout, il y a toutes les infrastructures routières et autoroutières, sans oublier la proximité de l’aéroport St Exupéry.

Thomas Daudré-Vignier : « Ce sont des métiers durs ! Il faut avoir une certaine reconnaissance de l’investissement des gens ! »

Ces plateformes sont fort dévoreuses de mètres carrés… pour pas tant de personnels que cela !

Sur 60000 m2, parfois que 200 personnes, c’est vrai! Mais stocker des meubles, du matériel de sport, du matériel de construction ou que sais-je encore, demande de la place!

Aussi, comment rendre cette zone un peu moins austère?

Avec le temps, cela s’améliore! Des entrepôts comme celui de SPI Logistic bâti récemment ont pris en compte l’humain. On commence à prendre conscience que ce ne sont pas des machines humaines qui travaillent. Il faut penser au quotidien et aux conditions de travail des employés. On assiste à un changement de mentalité et le PIL’ES, qui a une vraie compétence en matière de ressources humaines et de développement des compétences, est précurseur. Cela fait des années qu’il travaille sur l’amélioration des conditions de travail. Ce sont des métiers durs et il faut avoir une certaine reconnaissance de l’inves- tissement de tous ces gens. Parfois, il leur a fallu réapprendre le milieu quand le e-commerce est arrivé. De plus en plus, on a besoin de traçabilité, on envoie des colis et on veut suivre leur déplacement. S’adapter à la demande a été parfois difficile dans des entreprises où l’ancienneté était importante, où changer la mentalité était compliqué.

Les métiers de la logistique, pour les gens qui sont en rupture de scolarité, ne sont-ils pas une bouée de secours?

Mieux que ça! La logistique est faite de trois types de salariés : un, des gens qui l’aiment et qui l’ont choisie. Deux, des accidentés de la vie qui ont perdu leur métier et qui savent ce que le mot travail veut dire. Trois, des personnes qui ont peu de formation et qui ont besoin de mettre le pied à l’étrier. De nombreux salariés en logistique n’ont aucun diplôme et peuvent avoir de belles carrières. Nos métiers peuvent ouvrir des pistes vers un nouveau monde en aidant des gens à s’en sortir et grimper dans la hiérarchie sociale.

On dit que la zone de Chesnes s’avère très attractive aussi pour la délinquance…

C’est même pour elle un énorme terrain de jeu! C’est pour ça que nous avons fortement appuyé l’installation de la vidéoprotection financée par la CAPI. On a aussi créé des passerelles avec les gendarmeries des territoires voisins car les voleurs ne connaissent pas les frontières administratives. Depuis 2015, nous avons mis en place Pil’Secure, un service de rondier mutualisé qui tourne toute la nuit et qui est en lien avec la gendarmerie. Ces efforts pour une meilleure sécurité étaient nécessaires. Plus de trois milliards en valeurs marchandises sont stockés sur cette zone qui couvre près 2,5 millions de m2.

Pour finir, vous évoquez le PIL’ES comme le Pôle d’Intelligence Logistique… mais que représentent les E et S à la n de votre sigle?

Tout simplement « Europe du Sud » ! Notre zone logistique située dans le quart sud-est de la France regarde naturellement du côté de l’Europe du sud où l’activité en matière de transports de marchandises est très intense.

Par Eliséo Mucciante

Cet article est paru dans ECO Nord Isère du 13 avril 2018. Pour retrouver l’intégralité des articles de notre hebdomadaire mais aussi de nos suppléments et hors-séries, c’est ICI

0 commentaires

Découvrez également :

Votre magazine EcoMeca Mai 2025

100% en ligne, feuilletez directement votre magazine EcoMeca n°109 de mai 2025 sur ordinateur, tablette ou smartphone. Édition Savoie Mont Blanc : Édition Ain : Le saviez-vous ?Vous pouvez afficher la publication en plein écran, télécharger le document en .pdf,...

LIRE LA SUITE

Publicité