Des loisirs à la sécurité, en passant par l’agriculture de précision, le tracking de containers ou encore les drones : les applications spatiales font leurs apparitions dans tous les secteurs de l’économie.
Il existe plus de 150 start-up et entreprises actives dans ce domaine en Suisse, ce qui représente un millier d’emplois. Si la Suisse reste un acteur modeste, avec 160 millions de francs investis annuellement dans le secteur, le pays se distingue néanmoins sur la scène internationale grâce à des innovations mondialement reconnues. «La Suisse est présente de façon critique dans un certain nombre de programmes internationaux», explique José Achache, directeur général d’AP-Swiss, la plateforme ambassadrice de l’Agence spatiale européenne (ESA). «La présence la plus emblématique est l’entreprise bernoise Ruag, qui réalise les coiffes de toutes les fusées Ariane. La Suisse sait trouver des niches dans lesquelles elle fournit des expertises uniques.» Selon lui, il existe un écosystème d’innovation très propice au développement de start-up dans les technologies et les applications spatiales. Il revient, dans une interview, sur le soutien de l’ESA et d’AP-Swiss à cet écosystème et présente les pépites qui en ont émergé.
José Achache est le directeur général d’AP-Swiss. Auparavant, il était directeur des programmes d’observation de la Terre à l’Agence spatiale européenne (ESA)?et directeur général adjoint du CNES, l’agence spatiale française. Il est l’architecte de COPERNICUS, le programme mondial de surveillance de l’environnement et de la sécurité de l’Union européenne.
Quel est le rôle d’AP-Swiss ?
AP-Swiss a été créée en 2012, suite au lancement d’un programme de l’Agence spatiale européenne (ESA) visant à promouvoir les applications du spatial, dans le but de développer une économie européenne autour de ce secteur. D’importants investissements ont été faits en Europe, entre 2000 et 2012, avec le développement d’infrastructures spatiales de télécommunications, de positionnement avec Galileo et d’observation de la Terre avec Copernicus. L’idée a donc été d’encourager les milieux économiques traditionnels à utiliser davantage ces dispositifs; dans des domaines aussi variés que l’aménagement du territoire, les assurances ou encore la géolocalisation. Pour se faire, des plateformes ambassadrices (AP en anglais) ont été créées dans chacun des pays membres de l’ESA afin d’aider et d’encourager les entreprises à utiliser le spatial dans leurs applications ou à développer de nouvelles applications du spatial. AP-Swiss est la plateforme suisse.
Comment cet écosystème a-t-il évolué en Suisse ?
Ça s’est très bien développé. Nous avons dans notre pays – avec l’EPFL, l’ETHZ ainsi que les hautes écoles – un excellent système de formation qui donne naissance à des ingénieurs particulièrement compétents. De plus, il y a un contexte très dynamique qui encourage l’entrepreneuriat et le développement de start-up, avec des investisseurs prêts à soutenir ces entreprises (surtout dans les premiers tours de financement). Enfin, AP-Swiss est arrivé au moment où l’engouement pour le «Space Tech» était en pleine croissance. Il faut savoir que si le développement des applications spatiales se fait, aujourd’hui, dans des domaines aussi variés (des loisirs à la sécurité, en passant par l’agriculture de précision, le tracking de containers ou encore les drones, volants comme roulants), cela n’a pas toujours été le cas. La plupart des applications développées auparavant (observation de l’environnement ou encore gestion des catastrophes naturelles) avaient une forte valeur sociétale, mais peu d’intérêt commercial. Il y a eu une mutation dans l’industrie de l’espace, qui est devenue un secteur économique très dynamique.
Comment l’ESA soutient-elle cet écosystème ?
L’industrie suisse, comme celles de tous les États membres de l’ESA, bénéficie des programmes de l’ESA. Pour les applications et les services, AP-Swiss soutient cinq projets tous les ans. Et pour favoriser l’émergence de nouvelles start-up, un incubateur (ESA BIC Switzerland) a été lancé fin 2016. Basé à Zurich, il est actif dans toute la Suisse. À travers AP-Swiss, nous offrons deux types de financement. Le premier pour prouver la faisabilité des projets dépasse rarement les 500.000 francs (dont l’ESA prend en charge 50%). Lorsque la technologie et le modèle d’affaires sont validés, AP-Swiss aide les projets à passer en phase de démonstration, avec des financements pouvant aller jusqu’à trois millions (là encore financés à 50%).
L’ESA BIC Switzerland a déjà soutenu dix start-up depuis sa création et le but est d’en soutenir dix chaque année. Contrairement à AP-Swiss, l’incubateur prend également en charge des entreprises qui développent des technologies spatiales (infrarouge optique ou encore antennes satellitaires) et pas uniquement des applications. De plus, l’ESA soutient, depuis de nombreuses années, les industriels suisses actifs dans le domaine spatial, tels que les entreprises Ruag ou encore Swissto12 (lire L’Agefi du lundi 16 octobre). Au total, 150 sociétés sont aujourd’hui actives dans ce secteur, ce qui représente près d’un millier d’emplois.
Quelle place occupe la Suisse dans l’industrie spatiale ?
Avec 160 millions de francs investis annuellement dans ce secteur, la Suisse reste un acteur modeste en comparaison de la France, l’Allemagne, l’Italie ou encore le Royaume-Uni, qui injectent plusieurs milliards dans le secteur. Cependant, avec de belles réussites à son actif, le pays est présent de façon critique dans un certain nombre de programmes internationaux. La présence la plus emblématique est l’entreprise bernoise Ruag, qui réalise – entre autres – les coiffes de toutes les fusées Ariane. Le canton de Neuchâtel possède une expertise internationalement reconnue dans la construction d’horloges atomiques, avec des firmes telles que Spectratime,qui a équipé le système de géopositionnement européen Galileo. La Suisse sait trouver des niches dans lesquelles elle fournit des expertises uniques. La société jurassienne Geosatis est en train de bouleverser le marché mondial des bracelets électroniques (lire L’Agefi du vendredi 8 septembre) et Swissto12, celui des antennes satellitaires. La Suisse se positionne désormais aussi dans la distribution de clés quantiques par satellites, un nouveau domaine très prometteur et en plein essor. La Suisse peut se vanter de réels succès, à la mesure de ses ambitions, avec des approches extrêmement innovantes.
Quelles sont les autres pépites ?
Il en existe de nombreuses, à travers toute la Suisse. Arviem, à Baar, a développé un système de tracking de containers qui intéressent les industriels du suivi de la chaîne d’approvisionnement. Teleretail, à Sierre, développe un petit véhicule autonome de transport de marchandises. Geosat, à Sion, travaille avec Verbier sur un système de gestion des stations de ski. Gamaya, une start-up de l’EPFL et Sarmap, une société tessinoise, utilisent l’imagerie spatiale pour l’agriculture avec un réel succès. Geosatis, aujourd’hui valorisée à 40 millions de francs, est un autre bel exemple. La société jurassienne vient, initialement, d’un univers qui n’a rien à voir avec le spatial, mélangeant horlogerie, mécanique de précision et électronique high-tech. Aujourd’hui, la firme est en pleine croissance au niveau mondial, car elle a inclus un système GPS / Galileo dans les bracelets électroniques qu’elle développe. Voilà comment, en mettant «du spatial» dans une application terrestre existante, on peut créer un différentiel et donner de la compétitivité à une société. Astrocast, avec sa constellation de microsatellites – qui ambitionne de fournir des services pour l’internet des objets à travers le monde – est un autre exemple de pépite (lire L’Agefi du mercredi 16 août).
Toutes ont été soutenues par l’ESA via AP-Swiss. Et de nombreux autres projets sont en gestation pour prendre la relève.
Leila Ueberschlag
L’Agefi, mercredi 8 novembre 2017
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