Les annonces de la ministre Nicole Belloubet sur la réforme de la justice sont imminentes. En Pays de Savoie l’inquiétude grandit. Mais la mobilisation s’organise, avec l’Histoire et le traité d’annexion de 1860 au menu de la plaidoirie.
Les premiers présidents et les procureurs généraux des cours d’appel (CA) de France, dont ceux de la CA de Chambéry ont été reçus par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, le 9 février. La Gardes des Sceaux n’a laissé filtrer que peu d’informations sur ce que pourrai contenir son projet de réforme de la justice. Mais cela suffit à maintenir voire à faire grandir l’inquiétude.
«Nous avons pu rencontrer le premier président et le procureur général dans les jours qui ont suivi. Plusieurs parlementaires et des élus locaux étaient également présents, explique l’avocate chambérienne Catherine Anxionnaz, porte-parole des cinq barreaux du ressort de la CA savoyarde (Albertville, Annecy, Bonneville, Chambéry, Thonon). Le peu que la ministre a laissé filtrer semble encore plus redoutable que les préconisations présentées, mi-janvier, par les rapporteurs de la concertation. »
Le risque de voir la cour d’appel de Chambéry ravalée au rang de CA de second ordre semble se confirmer. Quand à la ré-organisation des juridictions de premières instances, elle serait encore plus radicale qu’envisagée par les rapporteurs : les Tribunaux judiciaires «simples» (TJ ; qui remplaceraient les actuels TGI), pourraient être directement placés sous la coupe du tribunal judiciaire départemental (TJD).
En clair, les TJ de Bonneville et Thonon deviendraient plus ou moins des annexes du TJD d’Annecy et idem pour Albertville vis-à-vis de Chambéry. «Il n’y aurait même plus de président ni de procureur dans les TJ simples. C’est la chronique d’une mort annoncée», pronostique Catherine Anxionnaz.
Pour mémoire:
https://eco-savoie-mont-blanc.com/reforme-de-justice-2-quil-y-a-tuyaux/
Moins de 15 jours de concertation pour « une révolution »
Mais tout cela reste encore hypothétique. « Les rapporteurs laissaient entendre qu’il pourrait y avoir des exceptions en fonctions des spécificités de tel ou tel territoire. La ministre n’a pas précisé lesquels, poursuit l’avocate. En fait on ne connaîtra vraiment ses intentions que lorsqu’elle les aura formulé par écrit : elle a promis un courrier aux premiers présidents et aux procureurs généraux avant la fin du mois. »
C’est donc pour très bientôt. Ensuite ? « Le calendrier est maintenu : présentation du projet de loi de programmation mi-mars pour un examen par les parlement à partir du mois de juin. Entre fin février et mi-mars cela laisse donc à peine 15 jours pour ce que la ministre ose encore appeler de la concertation. Moins de 15 jours alors que c’est une véritable révolution qui se prépare avec cette réforme. »
"IL NE FAUT PAS SE LEURRER : DÉSHABILLER AINSI LES COURS D’APPEL, C’EST PRESQUE COMME LES FERMER."
Catherine Anxionnaz, porte-parole des cinq barreaux
Union sacrée
La porte-parole des robes noires des Pays de Savoie conserve toutefois un certain optimisme. D’abord parce qu’au niveau des magistrats, des avocats et des élus « l’union sacrée se met en place, tous bords politiques confondus pour ce qui est des élus. »
Echange fructueux entre parlementaires @MartialSaddier @loichervepublic @F_Lardet JP Vial, Vincent Rolland @roserenxavier @XDullin Martine Berthet et les 5 bâtonniers 73 et 74 avec 1er Pdt et Proc Général de #CourdAppelChambéry sur l’avenir des juridictions des pays de Savoie pic.twitter.com/Ux4PzsD3AW
— Ajuste communication (@Ajuste_Com) 16 février 2018
Ensuite parce que Catherine Anxionnaz a dans sa toque un atout spécial : l’Histoire.
Dans les petits papiers du Traité de Turin de 1860
« Ici, à Chambéry, nous sommes dans une situation très particulière : l’Histoire parle pour nous », insiste la porte-parole des cinq barreaux.
L’Histoire, avec un grand H ? Oui. Et plus particulièrement l’histoire de la Savoie et de son rattachement à la France via le Traité de Paris de 1860. «Un comité de vigie a mené des recherches pendant plus de trois mois. Et nous avons pu réunir toutes les pièces qui prouvent que le maintien de la juridiction de Chambéry était une des conditions préalables majeures à la signature du traité [NDLR : par la famille de Savoie, qui régnait à l’époque sur le Piémont-Sardaigne]», assène l’avocate.
Plus de 250 pièces ont été ainsi dénichées dans les archives et les bibliothèques puis copiées, inventoriées et classées dans un épais dossier dont la porte-parole des barreaux a remis un exemplaire au cabinet de la Garde des Sceaux mais aussi à celui du Premier ministre. «J’espérais pouvoir le rencontrer lors de sa visite en Savoie [NDLR : le 19 janvier, notamment pour la visite de la nouvelle usine Poma] mais l’agenda était trop serré, conclut l’avocate. Mais son cabinet m’a assuré, depuis, avoir bien reçu le dossier et l’avoir lu avec intérêt.»
En savoir plus sur le traité d’Annexion et sur les négociations ayant précédé : http://www.savoie.fr/archives73/expo_annexion/pano_4_/thumb.html
Les grandes dates de la mobilisation
14 décembre 2017
Grande manifestation des avocats devant le Palais de Justice de Chambéry. Cette première démonstration de force réussie met sur le devant de la scène médiatique la réforme de la justice et ses potentielles conséquences en Pays de Savoie.
22 janvier 2018
En marge de l’audience de rentrée solennelle de la cour d’appel de Chambéry les robes noires mobilisent à nouveau avec une table-ronde à laquelle ils ont convié les magistrats mais aussi les élus, parlementaires et élus locaux.
«Huit parlementaires étaient présents aux côtés de nombreux élus locaux. Nous avons pu leur expliquer ce qui se cachait derrière les mots utilisés par la ministre pour son projet de réforme de la justice », commente alors l’avocate chambérienne Catherine Anxionnaz, porte-parole des cinq barreaux. Les élus se sont montrés « très attentifs. Et ceux qui sont directement concernés par la réforme sont très inquiets.»
« Il faut comprendre que si le projet voit le jour tel qu’il est présenté, il y aura une ʺhauteʺ cour d’appel, qui aura le statut de cour d’appel régionale, avec à côté ce qu’il convient d’appeler des ʺbasses coursʺ, des cours qui n’auront plus toutes les prérogatives. Il ne faut pas se leurrer : déshabiller ainsi les cours d’appel, c’est presque comme les fermer. »
27 janvier
Rencontre entre les bâtonniers des différents barreaux de France, réunis en conférence nationale, et la ministre de la Justice. Catherine Anxionnaz en profite pour interpeller publique ment la Garde des Sceaux sur sa réforme. Les réponses de Nicole Belloubet ne la satisfont pas vraiment...
5 février
Le conseil départemental de Haute-Savoie adopte, à l’unanimité, une motion à propos de la réforme.
Il y est d’abord rappelé que la réforme de 2007 a conduit à la suppression de près du tiers des juridictions. Mais «les économies escomptées et la rationalisation recherchée n’ont pas été atteintes ; l’objectif comptable s’est imposé, au détriment du fonctionnement des tribunaux, sans amélioration du service au justiciable. Les délais de traitement se sont allongés et l’accès au juge a même reculé avec l’éloignement géographique (baisse du nombre de saisines).»
Si bien que dans la motion l’assemblée du Département «exprime sa vive désapprobation à la réforme envisagée, condamne le démantèlement du service public de la Justice dans les Savoie, [et] exige le maintien des implantations actuelles, cohérentes et efficientes.»
16 février
Le 1er président et le procureur général de la cour d’appel rencontrent une nouvelle fois avocats et élus. Ils relaient les intentions affichées par la ministre une semaine plus tôt. Les réactions sont unanimes pour défendre la cour d’appel et les juridictions des Pays de Savoie.
A lire aussi, pour bien comprendre la réforme de la justice :
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