Restaurer des voitures, un métier d’avenir

par | 21 juillet 2018

Sitôt la porte du garage Massot franchie, tout est figé, hors du temps : un parfum de vieux cuir, des carrosseries galbées, le martèlement d’une main d’apprenti pour démonter un moyeu. Le secret d’une réussite ?

Cette ambiance de vieil atelier de nos souvenirs d’enfant contribue t-elle à votre succès?

Tout dépend de notre âge (rires)! Je travaillais dans un garage traditionnel BMW jusqu’en 1989, et face aux nouveautés bardées d’électronique, j’ai refusé d’évoluer, voyant venir le piège : le mécanicien traditionnel que j’étais allait se fourvoyer dans une direction qui ne me convenait pas : je deviendrais au mieux technicien programmeur, au pire incompétent mécanique. J’ai donc volontairement bloqué le compteur dans les années 80 !
Les voitures modernes ne correspondent pas à ma conception du métier de garagiste ; j’aime
démonter, réparer, remonter. En ouvrant mon propre garage cette année-là, j’ai lâché la voie royale des formations proposées au rythme des évolutions techniques. En revanche, ma spécialisation des modèles BMW des années 60 à 90 m’a permis une valorisation de cette débrouillardise dont il faut faire preuve envers la mécanique “ancienne”. Le champ de mes compétences s’est élargi. Les performances de ma petite équipe m’ont rapidement offert une reconnaissance internationale.

Quelle clientèle est attirée ici?

Dans les années 70 à 80, acheter une BMW était gage de robustesse, même si son prix dépassait celui de la concurrence. Ces voitures étaient extrêmement robustes, et leurs propriétaires en gardent un souvenir ému. Je vois entrer à l’atelier des petits garçons devenus grands, fils de clients du siècle dernier, propriétaires du modèle … de leur papa. Ils sont fans de la marque, adorent discuter de leur passion, roulent au quotidien dans une vieille BMW série 3, série 5 ou série 7, avec plus de 150 000 kilomètres au compteur, ils ressentent le bonheur de conduire une voiture un peu plus “vivante” que les monospaces, SUV, utilitaires d’aujourd’hui. L’entretien est peu onéreux, car ces vieux modèles sont increvables, s’ils ont été bien restaurés ou bien suivis. Ma réputation de féru de BMW s’est accrue, les clients ont afflué chez moi, dont le BMW Club de France, grâce au bouche à oreille et à ma présence sur les courses de Véhicules Historiques… Le budget mobilité atteint des proportions énormes en France, rouler tous les jours en BMW ancienne est finalement économique; si le modèle est rare ou magnifique, ça peut même être rentable.

(L’apprenti passe la tête par la porte de ce qui tient lieu de bureau au maître de céans, genre caverne d’Ali Baba : « je ne trouve pas les étriers de la 30 CS. – Regarde sur l’établi dans le gros carton Motul. – Ils n’y sont pas… – Attends, j’arrive. Vous permettez une seconde ? »)

ZOOM : LA VOITURE DE COLLECTION

  • 4000 professionnels en France, dont une centaine en Rhône Alpes
  • La voiture la plus chère vendue aux enchères : Ferrari 250 GTO – 38115 000 $ en 2014.
  • 800.000 voitures anciennes (de + de 30 ans) en France
    C.A. de l’activité : 4 milliards d’euros
  • 230.000 collectionneurs français Les voitures anciennes forment 1,5% du parc auto français
  • 71% des ménages collectionneurs disposent d’un revenu annuel < 60 000 euros
  • Les voitures anciennes échappent au calcul de l’ISF.
  • 1.200 clubs recensés à la FFVE et 130 collectionneurs en moyenne par club

Source : Fédération Française des Véhicules d’Epoque

… Est-ce à dire qu’une vieille voiture peut rapporter gros?

Je m’occupe depuis peu d’un parc automobile pour des collectionneurs qui spéculent : les ventes aux enchères automobiles ont été très médiatisées depuis 15 ans. Les séries limitées, les voitures de prestige, à gros moteur, options rares ou les voitures de course à palmarès sont l’enjeu d’une surenchère. Tout est histoire de mode : au lancement du BMW Z1, son bon de commande était aussitôt remis en vente, bien plus cher que son prix d’origine! Sa rareté valait de l’or… jusqu’à ce que Mazda sorte la Miata, premier roadster bon marché d’une longue série. Une BMW 635 groupe A à palmarès en course, qui s’est illustrée 3 fois en championnat d’Europe aux mains de pilotes connus, achetée 80000 euros, fut remise en état chez moi, revendue 150000 euros un an plus tard. Elle vient de passer de main pour la somme de 300000 euros, 3 ans après son achat initial ! Les marges sont énormes rapidement, convoitées par le monde de l’immobilier, de l’art et même les banques. Mais cette ivresse ne durera pas.

Comment pénétrer ce monde fabuleux de la voiture de collection?

C’est un peu le miroir aux alouettes : mieux vaut connaître les modèles prisés et avoir des compétences mécaniques. Quelques malins peu scrupuleux peuvent remettre en état esthétique et revendre à prix d’or une voiture ancienne qui a été martyrisée, d’autant plus qu’au cours des années 80, les radars n’existaient pas, on roulait vite et les mécaniques s’usaient bien plus rapidement qu’aujourd’hui. Mais ce fut une période de très grosse production, il est donc assez simple de trouver une bonne base de BMW série 3 : il en existe un million d’exemplaires. L’idéal est de dénicher une voiture première main, au fond d’un garage, dont la peinture est terne mais d’origine, qui proposera une mécanique très saine, qu’importent sa cylindrée et son moteur. Pour faire un bon achat : observez le carnet d’entretien et examinez les organes mécaniques! Je soupçonne toujours une voiture qui brille trop… Exit les 325i bricolées et celles qui ne sont pas dans leur jus.

Faut-il préférer une BMW M3 à une 528i?

Une M3 E30 (1987) coûte 50000 euros, c’est déraisonnable ! Une 525i E34 (1990) affichant 200000 km coûte moins de 5000 euros. Après un bon contrôle mécanique, elle assumera le rôle de 2e voiture au sein d’une famille à moindres frais : entretien, assurances… Seul le poste carburant en pâtira, par rapport à un monospace diesel actuel. Au final, cette “ voiture ancienne ” roulera tous les jours sans ennuis, effectuera le même travail qu’une voiture moderne, mais sans dévaluer.

(Le téléphone ne s’est jamais tu. C’est un vieux téléphone strident, comme il y avait chez mes grands-parents. Excédé, Thierry s’excuse encore : «Ah oui, René, désolé, je ne t’ai pas oublié, mais à l’usine ils n’en ont plus. J’ai demandé un devis à mon électricien, je te tiens au courant …» Je lorgne mon café refroidi, mais ne veux surtout pas laisser filer l’artiste vers d’autres horizons, sinon j’y passe la nuit) …

Sous-traitez-vous localement certains postes?

Le carrossier voisin est très compétent, et la sellerie est restaurée localement aussi. Cette proximité m’assure un suivi sur place : on ne refait pas une banquette arrière de 2002 comme un siège moderne! Je travaille en étroite collaboration avec ces sous-traitants; malheureusement, j’ai perdu mon rectifieur de roue, trop âgé. Il n’en reste qu’un seul sur la région lyonnaise. J’envoie maintenant mes roues au Portugal. Les pièces moteur sont également rectifiées sur des machines très pointues que les jeunes ne savent pas utiliser. Je pressens quelques pertes de compétences dans un avenir proche… Où est la relève?

Comment être reconnu quand on n’affiche pas une « vraie » enseigne ?

C’est bien le problème de nos petits garages, très dévalorisés par manque de statut (en nom propre, artisan ou auto-entrepreneur), notamment face à la concurrence européenne. Mes sous-traitants portugais travaillent énormément et pour moins cher : de 08.00 à 18.00 heures, souvent non stop, et le terme “non stop” n’est pas usurpé : ils ne pianotent pas sur leur smartphone entre 2 démontages d’écrous, ne lisent pas leurs mails en démontant un carburateur, ne gèrent pas leur notoriété sur Facebook en cours de journée. Les jeunes allemands reçoivent des formations plus complètes qu’en France : même les futurs ingénieurs commencent par tourner des boulons dès 14 ans, une journée par semaine sur la
chaîne de montage. Les jeunes français ne travaillent plus autant, ils s’installent comme auto-entrepreneur pour éviter les écueils de gestion.
On perd en rendement, d’autant que les mécaniques anciennes ne figurent plus dans les programmes d’enseignement. Pour mon activité, recruter est quasi impossible. Et quand je m’arrêterai, qui reprendra le flambeau pour régler un carburateur double corps Weber45?

IDENTITÉ THIERRY MASSOT GARAGE MASSOT

Spécialiste entretien et restauration

Voitures BMW du XXè siècle

Tourisme

Collection

Préparation

Restauration

Reconstruction

Course VHC

Sté en nom propre

2 salariés Atelier à Balan (01)

Restaurateur depuis 1989

Peut-on vivre de cette passion dévorante ?

En maîtrisant tous les métiers périphériques et s’entourant de bons sous-traitants locaux. Il faut être capable de rechercher des pièces qui n’existent plus, les refaire fabriquer à l’unité, connaître les carburateurs, allumages, joints, durits et la compétition … Une cinquantaine d’épaves jouxte l’atelier : je les cannibalise. Et quand l’envie m’en prend, j’en sauve une pour la restaurer. L’objectif est d’être très spécialisé pour quelques modèles ou une marque, ce qui attire les passionnés, qui ne veulent pas être un numéro dans un salon d’attente au sein d’une concession moderne. Ils préfèrent toucher les voitures dans l’atelier à mes côtés. Ces clients « Premium » désirent un contact authentique. Mon tarif horaire en pâtit, car je suis très bavard (rires); à l’inverse, l’intérêt de mon métier s’en trouve préservé. N’est ce pas là l’essentiel?

(On m’a offert à déjeuner, dans la salle de séjour au-dessus du garage. J’avais apporté saucisson et fromage pour me confronter aux spécialités de l’Ain. Idée : et si l’on proposait à Dominique Badet, chez Technopolys d’ouvrir une option d’apprentissage “ voitures anciennes ” ?… Découvrir le monde des voitures de collection et sa convivialité m’a replongée avec délice dans cet univers familier d’ailes cabossées, de sièges de cuir avachis, de remugles d’huile de boîte : tout un pan de souvenirs bâtis sur une petite enfance insouciante, quand mon papa m’apprenait à rouler dans sa vieille 2CV)…

Par Anne Chantal Pauwels

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