Quelles sont déjà, et quelles seront demain, les conséquences du réchauffement climatique sur le pastoralisme ? La Société d’économie alpestre de Savoie tente de répondre.
Des alpages verdoyants, de l’herbe à volonté, de l’eau fraîche à disposition permanente des troupeaux, des températures ni trop élevées ni trop froides : les alpages des deux Savoie ont longtemps conjugué tous ces facteurs favorables à une production laitière de qualité. Le temps de l’abondance est-il révolu ?
« On sent que ce mot est un peu chahuté », constatait récemment Emmanuel Huguet, président de la Société d’économie mixte de la Savoie (SEA 73), lors de l’assemblée générale de l’institution, qui consacrait une table ronde au changement climatique et ses conséquences en alpage. « Chahuté » semble un euphémisme pour cet éleveur ovin de Lauzière, contraint, depuis six ans, de diviser par deux son cheptel estivé.
« C’est très sec depuis plusieurs années, témoignait-il. Et la végétation a changé, avec beaucoup moins de légumineuses – voire plus du tout – et énormément d’indésirables. » Si l’ensemble des alpages n’en est pas encore arrivé là, force est de constater que tous sont plus ou moins impactés.
Claire Deléglise, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), rappelait que les Alpes ont gagné deux degrés depuis la période préindustrielle, ce qui se traduit, en montagne, par moins 15 à 25 % de stock de neige, et par une modification de la croissance de l’herbe, avec un pic au printemps, un creux estival et une éventuelle repousse à l’automne.
« En 2050, détaillait-elle, le scénario le plus pessimiste table sur un réchauffement de 2,5 à 3° C en été. Cela aura pour conséquences une fragilisation encore plus importante de l’enneigement – et donc des stocks d’eau disponibles –, et des manques d’herbe encore plus prégnants en été. En Tarentaise, on atteindra les bilans hydriques moyens relevés aujourd’hui dans le Mercantour. »
Obligé de rafraîchir le lait
C’est justement en Haute-Tarentaise que Pierre Poccard monte en alpage depuis quarante ans. Un laps de temps suffisant pour observer de réels changements. Comme beaucoup d’autres, il fut contraint, durant la sécheresse estivale de 2022, d’écourter sa saison et de redescendre son troupeau plus tôt que prévu. L’herbe ne repoussait plus. Il se voit désormais confronté à un nouveau problème : la température du lait lorsqu’il parvient au chalet.
« Celui du soir arrive parfois à 37 degrés, ce qui est vraiment trop chaud pour la fabrication du beaufort. On est obligé de le rafraîchir… » Un souci majeur pour l’alpagiste comme pour les coopératives. Yvon Bochet, président du Syndicat de défense du beaufort, n’en faisait pas mystère.
« Les coopératives ont des outils pour réchauffer le lait, mais pas pour le refroidir. Or, nous sommes désormais obligés de le rafraîchir, ce qui, en outre, n’a pas été prévu dans le cahier des charges de l’AOP Beaufort. » Un cahier des charges qu’il faudra sans doute modifier dans un futur proche, pour coller à la réalité du climat.
« Nous travaillons à une ouverture éventuelle de ce cahier, mais rien n’est encore acté », a annoncé le président. « L’idée serait d’avoir, en décembre, les grands principes d’évolution souhaités, pour voir ensuite si c’est plausible. » Car, outre les questions de température du lait, les normes d’alimentation des animaux – telles qu’elles figurent dans les règles de l’AOP – ne « sont aujourd’hui plus applicables ».
Limiter la production ?
« Peut-être qu’il faudra modérer le nombre de vaches », lançait Pierre Poccard. Limiter la production ; redescendre en vallée en plein été pour remonter en montagne à l’automne, quand l’herbe a repoussé ; entretenir soigneusement ses pelouses d’altitude, gage d’une meilleure résistance ; garder des secteurs de secours ; réaliser des stockages d’eau ; trouver les marqueurs de résilience au sein des races bovines tarentaise et abondance… sont quelques-unes des pistes qui ont été évoquées pour réinventer le pastoralisme de demain.
Sylvie Bollard
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