Avis d’expert | Bail à construction & reconstitution de l’immobilier d’entreprise chez le bailleur : l’accroissement d’impôt peut-il frapper l’accroissement de patrimoine ?

par | 22 août 2022

De quoi parle-t-on ? De toutes ces situations dans lesquelles, pendant un certain nombre d’années, le dirigeant bien avisé d’une entreprise aura employé différentes stratégies patrimoniales en vue de lui permettre d’extérioriser temporairement la valeur de son foncier d’entreprise : le but étant que celui-ci reste en définitive détenu dans son patrimoine privé, mais qu’il soit pendant un temps mis à disposition de la société d’exploitation, sur un long terme et sans autre chose qu’un loyer symbolique, en contrepartie d’autres engagements que l’entreprise prendra par ailleurs à l’égard de notre dirigeant, propriétaire du sol.

Par Vincent Morati, notaire.

L’une des meilleurs et des plus anciennes illustrations de ce type d’instruments est le fameux bail à construction, introduit dans notre droit depuis une loi de 1964. Il a sous-tendu tant de stratégies propices à la construction de locaux industriels ou commerciaux, dont l’entreprise pouvait très largement jouir pendant des décennies : toute une vie d’exploitation pour le dirigeant, sans que par ailleurs, le contribuable privé qu’il était se voit parallèlement assommé d’impôts sur le revenu, au titre de loyers importants qu’il aurait perçus s’il avait loué sol et murs.

Au contraire, la mécanique du bail à construction (BAC) permet de louer simplement le sol à l’entreprise, pour une redevance minime (donc peu fiscalisée chez le bailleur), à charge pour elle de s’obliger à construire des locaux, dont elle sera propriétaire pendant la durée du bail mais qui, une fois arrivée la fin de celui-ci, redeviendront automatiquement et sans paiement d’indemnité la propriété de celui qui détenait le terrain.

« Le bail à construction est un contrat qui organise en réalité un avatar de démembrement de propriété : c’est là tout son avantage, mais aussi le défi rédactionnel qu’il pose. »

En gros, le propriétaire du terrain troque la perspective de toucher de forts loyers sur une longue période (mais avec l’obligation de financer la construction, et celle de subir l’impôt sur les loyers), contre celle de ne rien toucher (ou presque) pendant des années, mais sans avoir à rien débourser pour construire les bâtiments, ni pour en récupérer la propriété lorsqu’enfin arrivera le terme du bail. Et à ce moment-là – qui souvent coïncidera avec la fin d’activité du chef d’entreprise – notre dirigeant pourra tirer des revenus confortables des murs devenus sa propriété.

Voilà donc un bon moyen de se constituer un patrimoine privé, générateur de revenus complémentaires à l’horizon de la retraite, et financé par l’entreprise. Mais si ces murs reviennent ainsi gratuitement dans le patrimoine personnel du dirigeant, sans avoir de prix à payer auprès de l’entreprise locataire, qu’en est-il fiscalement ? Quelle est la taxation de ce transfert de propriété des murs en fin de bail ?

Force est de constater que le régime est attractif au-delà d’une certaine durée. Car si le profit lié à ce transfert de propriété sans indemnité s’analyse en principe en un revenu foncier pour le bailleur, en réalité il n’y aura pas d’imposition, à condition de stipuler une durée de bail au moins égale à 30 (article 33 du Code général des impôts). Pas de prix à payer, pas d’impôt non plus, le rêve. Mais qui peut devenir cauchemar, si on n’y prend pas garde. En effet, la cour administrative d’appel de Lyon a rendu une décision importante le 12 mai dernier, par laquelle elle a tranché, en faveur de l’administration fiscale, un litige l’opposant à un contribuable, propriétaire dans le cadre d’un BAC.

Comme décrit ci-dessus, ce bail prévoyait le transfert au profit du bailleur, en fin de bail, de la propriété des constructions que le preneur aura édifié à ses frais en cours de location. Ce transfert étant prévu sans indemnité, contrepartie de la modicité des redevances à la charge du preneur pendant le cours du contrat. Le BAC ayant été conclu pour plus de 30 ans, il n’y avait aucune imposition à supporter. Forts de cette règle, les associés de la société civile propriétaire du terrain sur lequel le BAC avait été conclu en 1983, furent bien aises de voir en 2013, à l’expiration du bail, la propriété et donc la valeur des bâtiments intégrer leur patrimoine sans imposition.

Hélas, la configuration de ceux-ci provenait en partie d’un agrandissement réalisé en 1998, sur un terrain acquis en 1985 par la SC : elle avait pris soin de l’intégrer par avenant à l’assiette du BAC, mais sans penser à y préciser la nature des travaux prévus. Le Fisc en tire motif pour considérer que la remise des locaux issus de l’agrandissement ne peut pas profiter de l’exonération, et soumet aux revenus fonciers la valeur de cet agrandissement. A juste titre selon la Cour d’appel : la volonté des parties d’étendre le BAC à la parcelle nouvellement acquise ne suffit pas à inscrire l’agrandissement des locaux dans les prévisions du BAC.

Moralité : soyons très prévoyants dans le libellé de tels baux, en stipulant que la remise des locaux en fin de bail portera non seulement sur les bâtiments initialement prévus et décrits, mais aussi sur tout accroissement, agrandissement, aménagement ou amélioration de quelque nature que ce soit. Cela évitera les contentieux, et d’ailleurs pas seulement avec le fisc (contestations par le preneur, par ses créanciers, etc.). Concluons encore que ce qui est vrai en matière de BAC, qui est finalement une sorte de cousin lointain du démembrement de propriété, sera vrai aussi dans les hypothèses où ce dernier schéma aura été mis en oeuvre, lorsque c’est possible. Mais c’est une autre et passionnante histoire, que nous pourrons évoquer dans un prochain article…


Cet article vous est propose par les Notaires des Savoie.

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