Alors que le bâtiment et les travaux publics renouent avec la reprise, les recrutements restent insuffisants. Comment inverser la tendance ?
Carnet de commandes désespérément vides, trésoreries saccagées par des prix de marché intenables, 150 000 emplois détruits à l’échelle nationale contre 2 500 sur le département, les années noires du bâtiment et des travaux publics (2008-2016) appartiennent désormais au passé. En 2017, le rebond de l’activité semble marquer le début d’un cycle de croissance pérenne. « Il faut rester vigilant, car notre secteur d’activité dépend de la commande publique. Toute décision politique contre-productive pèse directement sur notre activité », a confié non sans prudence Pierre Convert, président de la Fédération BTP Ain lors de l’assemblée générale de l’organisation professionnelle le 4 mai dernier, rappelant toutefois que la grande famille du bâtiment et des travaux publics « pèse économiquement sur le département ». En effet, entre mars 2017 et février 2018, le nombre de logements mis en chantier dans l’Ain a progressé de 10,5 %, celui des logements autorisés de 8,6 %. De quoi révéler le dynamisme retrouvé du BTP, confirmé au niveau régional où les taux augmentent de 5,6 % et 12,1 %. Sur la même période, l’emploi salarié dans la construction n’a progressé que de 1 %, tandis que la proportion d’intérimaires a explosé (28,7 %). Mais cette reprise est-elle fragile ? « Ne tombons pas dans un optimisme béat, a tempéré Pierre Convert. Il y aura la baisse des aides, les organismes de logement malmenés, l’effet collatéral du prélèvement à la source. Sans oublier que pour produire encore plus de volumes, il faut pouvoir recruter du personnel qualifié ».
Une demande croissante
L’assemblée générale de BTP Ain réunissait justement quatre femmes autour de l’attractivité des métiers du BTP et de l’épineux sujet du recrutement : Céline Pomathiod Carry, directrice générale de TGL Group, Amandine Lacharme, chargée d’affaires chez Lacharme et fils (Crozet, entreprise de façadier), Marjorie Lavilletti, consultante ressources humaines chez coRHéliance et Aziza Krimou, responsable de l’équipe entreprises à Pôle Emploi. Dans le département, la hausse de l’offre d’emploi dans le secteur du BTP avoisine même 40 % bien que le volume d’activité ne soit pas suffisant pour placer la branche d’activité dans le top 10. « Tous les corps de métiers du BTP sont concernés par des recrutements pour l’avenir, indique Aziza Krimou, en présentant la dernière enquête BMO 2018 (besoins en main-d’œuvre). Cette année, près de 1 200 embauches sont à prévoir dans le département. Nous identifions des besoins spécifiques pour la menuiserie et l’agencement, mais aussi pour des ouvriers non qualifiés du second œuvre, des ouvriers qualifiés des TP, des chauffagistes, des électriciens et des chefs de chantier ».
Faire évoluer les mentalités
Chez TGL Group, la direction a choisi de préserver ses équipes de production, même en période de crise. Une stratégie à double tranchant : « le pire dans les moments de crise et la meilleure dans les moments de reprise », a assuré Céline Pomathiod Carry. Nous avons une vraie surchauffe sur nos besoins en intérim, notamment sur le Pays de Gex, la Haute-Savoie et l’Isère. Et il y a des métiers où le recrutement est difficile, comme les études de prix ou l’encadrement de travaux. Sur ces postes-là, les entreprises s’auto-concurrencent pour les candidats et les collaborateurs. Il faudra aller chercher des ressources ailleurs ». Selon Amandine Lacharme, l’Éducation nationale joue un rôle majeur pour changer les mentalités : les professeurs issus des voies générales considèrent l’Université comme la filière d’excellence et d’épanouissement. « Je pense qu’il y a un dialogue à instaurer avec les chefs d’établissement. Un jeune qui aime les mathématiques et l’effort physique se plairait aussi bien comme charpentier. Les métiers du bâtiment rémunèrent très bien. Ce sont des métiers de main-d’œuvre où la relation humaine tient une place importante. Peut-être qu’on ne fait pas assez de lobbying pour présenter nos professions ». Un argument corroboré par la directrice générale de TGL Group. « L’acte de construire, cette fierté d’avoir bâti quelque chose de ses mains, ne ressort pas à travers nos campagnes de communication. Nous donnons peu de sens à ce que nous faisons ». Marjorie Lavilletti conclut : « Le travail d’un dirigeant consiste aussi à donner envie à des futurs collaborateurs d’intégrer son équipe. Aujourd’hui, le rapport au travail a changé, il faut adapter ses pratiques et comprendre ce qui fait sens pour les jeunes recrues ».
4 447
C’est le nombre d’entreprises actives dans les secteurs du bâtiment (4 122) et des travaux publics (325). Ils emploient 12 259 salariés dans l’Ain.
2 milliards
C’est le chiffre d’affaires du bâtiment et des travaux publics dans le département, pour les activités suivantes : amélioration entretien de logements, amélioration entretien de bâtiments non résidentiels, bâtiments non résidentiels neufs et logements neufs.
Lobbying tous azimuts
Crédit d’impôt pour la transition énergétique à 30 %, Assouplissement du dispositif locatif Pinel, maintien du PTZ sur l’ensemble du territoire, lutte contre le travail illégal avec la carte d’identification professionnelle, la Fédération française du bâtiment a mené nombre de combats ces derniers mois pour défendre sa profession. « Les chefs d’entreprise vivent très bien la réforme sur l’apprentissage, où les branches récupèrent un préférentiel, réagit Pierre Convert. Nous espérons aussi beaucoup de la future loi Elan ».
Patrice Fontenat, président de la section travaux publics de BTP Ain, trésorier de la FRTP Auvergne-Rhône-Alpes
« Une tendance positive »
« La tendance que l’on observe depuis 2017 est positive, les entreprises ont globalement un carnet de commandes qui se remplit. Au niveau national, le regain d’activité s’observe d’autant mieux que le grand Paris joue pleinement son rôle de moteur économique. Notre région est plutôt bien positionnée dans cette reprise, et l’Ain sait tirer son épingle du jeu. Ainsi, les entreprises de notre secteur abordent 2018 plus sereinement en termes de volumes. De plus, dans nos métiers, nous dépendons largement de la commande publique. Or, de nombreux chantiers semblent sortir de terre, notamment à la demande de communes.
Maintenant, notre leitmotiv est de savoir comment trouver le personnel pour accompagner cette reprise. Au cours de ces longues années de difficultés, nous avons essayé de conserver nos personnels, sans doute un peu au détriment de l’accueil de nouveaux apprentis. L’attractivité de nos métiers est également une problématique qui s’impose à nous. L’apprentissage est donc une priorité pour nos métiers. L’embauche et l’investissement sont dorénavant nos sujets tout comme la pérennité de cette embellie après l’échéance municipale. »
Frédéric Bagne, président de la Capeb de l’Ain
« L’intérim ne suffit plus ! »
« Toutes les études de conjonctures dont nous disposons à la Confédération des artisans des petites entreprises du bâtiment (Capeb) le démontrent en ce début d’été : le travail est là et bien là ! Tout le monde en a : les maçons, les menuisiers, les électriciens… ont un carnet de commandes bien rempli, au moins jusqu’à la fin de l’année. La tendance tiendra-t-elle sur le long terme, nous ne le savons pas mais je reçois tous les jours des appels d’autres chefs d’entreprise dans l’impossibilité d’assurer la charge de travail qui leur est proposée et qui recherchent des collègues capables de récupérer le marché. Ce qui n’arrange rien, c’est que le client veut tout, tout de suite ! Des chantiers sortent de terre un peu partout, en ville comme en secteur rural et les commandes viennent autant des collectivités locales, notamment les communes, que des particuliers. Et chaque fois, avec une notion d’urgence. Du coup, un autre problème est venu se greffer : la difficulté à recruter. Nous entendons un peu partout les mêmes échos : l’intérim ne suffit plus à combler les vides et les entreprises ne trouvent pas de salariés. Tous les métiers sont sous tension : électriciens, maçons, plâtriers-peintres… Là encore, on nous contacte, mais la mission est compliquée. »
Par Sarah N’tsia et Myriam Denis
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