Le paysage bancaire est en pleine évolution à Genève. Après la crise financière de 2008 et la fin du secret bancaire, les banques ont aujourd’hui, en majorité, retrouvé de bons résultats. La place financière accueille de nouveaux arrivants qui se spécialisent sur un segment de clientèle. Parmi eux, plusieurs établissements français proposent des services de banque de détail.
Place financière genevoise : résister et s’adapter
La chasse aux paradis fiscaux et la crise financière ont “challengé” la place financière genevoise. Mais elle a démontré sa capacité de résilience face au tumulte mondial, grâce, notamment, à des banques bien capitalisées, et affiche aujourd’hui un nouveau visage.
Chamboulée par la fin du secret bancaire et la crise mondiale, la place financière de Genève retrouve aujourd’hui une certaine stabilité. « On revient aux fondamentaux, à savoir des notions comme la sécurité, la stabilité, la prévisibilité du pays en termes d’économie et de cadre légal. Et dans un monde très chahuté, ces atouts sont précieux », déclare Edouard Cuendet, directeur de la Fondation Genève Place Financière (FGPF). Une analyse que partage Frédéric Kohler, directeur de l’Institut supérieur de formation bancaire (IFSB) de Genève. « C’est un retour à la normale. Pendant trente ans, on a eu une activité avec des performances totalement artificielles, essentiellement liées à un contexte réglementaro-fiscal qui n’avait que peu à voir avec la performance des banques. Et c’était particulièrement vrai à Genève, qui est très marquée banque privée, et donc directement corrélée au secret bancaire. Aujourd’hui tout cela est derrière nous .»
UN SAVOIR-FAIRE MONDIALEMENT RECONNU
Depuis début 2017 en particulier, les banques en Suisse profitent de l’évolution favorable de l’économie et de la baisse du franc. Même avec les mesures additionnelles en matière de transparence fiscale, avec notamment l’entrée en vigueur, cette année, de l’échange automatique d’informations au sein de 97 pays et territoires, la Suisse reste le numéro un mondial dans la gestion des actifs transnationaux, avec une part de marché de 24 %, selon l’Association suisse des banquiers (ASB). Cette attractivité persistante tient à la qualité et à la fiabilité du service offert aux clients, selon Frédéric Kohler : « Pendant longtemps, les banques suisses ont vendu, sans le dire vraiment, de l’optimisation fiscale et du secret, mais elles ne le peuvent plus aujourd’hui. Donc il a fallu changer non seulement de business model, mais également de “storytelling”, c’est-à-dire ce que l’on raconte au client.» Il ajoute : « Aujourd’hui, ce qu’on lui vend c’est de la fiabilité, de la sécurité, le fait que, s’il met de l’argent dans une banque suisse, il est sûr qu’elle ne sera ni nationalisée, ni mise en faillite, ni qu’elle disparaîtra, parce qu’on a un système extrêmement sûr.» Mais le pays a aussi réussi à garder ce premier rang mondial car les autorités ont oeuvré pour conserver leur compétitivité : « le Parlement fédéral a mis des garde-fous, notamment pour préserver la confidentialité des données, afin qu’elles ne puissent pas être transmises tous azimuts, et pour garantir une égalité de traitement. Il est très important que nos principales places concurrentes adoptent un système similaire, afin de ne pas créer de désavantage compétitif », note M. Cuendet. Ainsi, la fin du secret bancaire n’a pas freiné l’appétit des grands groupes bancaires internationaux pour le pays. BNP Paribas vient, par exemple, d’annoncer le programme “Swiss Forward”’, accélérant son développement autour de quatre piliers principaux : « être une banque innovante, une banque responsable, une banque intégrée dans un grand groupe international, et être reconnue comme une référence en termes de sécurité financière », déclare Isabelle Jacob-Nebout, responsable développement et innovation à BNP Paribas Suisse. « La fin du secret bancaire, avec la mise en place de l’échange d’informations, donne de la transparence, notamment sur les aspects réglementaires et fiscaux, et c’est très bien. »
MOINS DE BANQUES, MAIS TOUJOURS AUTANT D’EMPLOIS
En plus de la fin du secret bancaire, Genève a également dû composer avec la crise financière mondiale, démarrée en 2008. Dix ans après, il apparaît que les banques suisses ont su mieux résister que beaucoup de leurs consoeurs à l’étranger. « Évidemment, on a pu constater l’impact de cette crise sur le résultat. Mais la Suisse a la chance d’avoir des établissements bancaires très bien capitalisés en comparaison internationale. Cela constitue une des grandes forces de notre pays. Par ailleurs, la diversité des tailles et des business models a permis à la place suisse de moins souffrir que d’autres. La Suisse ne dépend pas d’un ou deux mastodontes. Il y a certes deux grandes banques, mais aussi tout un tissu de banques de plus petite taille, des banques avec vocation régionale, nationale et internationale », note Edouard Cuendet. Preuve de cette résilience : beaucoup d’entre elles ont publié de bons résultats en 2017 et l’emploi a été préservé, même s’il a connu des périodes de creux, notamment en 2015 et 2016. Ainsi, il y avait 18 338 emplois bancaires à Genève en 2007, et 18 341 en 2017, selon la Fondation Genève Place Financière. Ces chiffres sont d’autant plus surprenants que le nombre de banques a baissé de manière significative depuis le début de la crise, avec un phénomène de consolidation. « Le contexte de taux négatifs a fortement comprimé les revenus de l’activité bancaire. En parallèle, les coûts liés à la réglementation ont progressé ; l’équation, en termes de business model, peut être compliquée à résoudre. Le paysage a beaucoup changé et va probablement encore changer, avec des consolidations à l’avenir », selon Catherine Galvez, directrice de CA next bank. Alors que le pays comptait 375 banques en 2000, elles n’étaient plus que 261 en 2016, selon l’ASB. Mais pour M. Cuendet, il n’y a pas eu de destruction massive d’emplois à Genève car certains groupes, qui ont racheté ou consolidé les banques, étaient genevois, ce qui a permis de conserver les sièges. De plus, les autres acteurs de la place ont pu absorber cette main-d’oeuvre qualifiée.
LA PERCÉE DES BANQUES DE DÉTAIL FRANÇAISES
Parallèlement, la crise financière a également poussé les banques à se spécialiser sur un segment de clientèle. « Avec les nouvelles règles en matière de gestion des risques et de lutte anti-blanchiment, tout un nouvel arsenal juridique coûteux doit être mis en place. Il est de plus en plus complexe pour les banques d’analyser les risques de chaque pays. C’est pourquoi, elles se concentrent sur des marchés sur lesquels elles bénéficient d’une position qu’elle considèrent comme rentable et attractive, et abandonnent les autres », note M. Cuendet. Ces nouvelles règles ont notamment poussé les banques suisses à délaisser leur clientèle de frontaliers, car les coûts de gestion liés à l’échange d’informations étaient devenus trop importants. Ainsi, plusieurs banques françaises se sont lancées dans la banque de détail à Genève spécifiquement pour cibler cette clientèle. Cette spécialisation représente une stratégie pour percer dans un marché très concurrentiel. « En Suisse, les banques universelles occupent une place importante. C’est un peu illusoire de penser qu’en développant exactement le même modèle et en ayant une stratégie frontale, nous arriverons à faire notre place. Nous avons choisi une voix de différenciation, avec des offres et des services spécifiques qui répondent aux besoins de notre clientèle, dans les domaine du change, du logement, de la constitution du patrimoine et de la prévoyance », explique Mme Galvez, directrice de CA next bank, une filiale du Crédit Agricole des Savoie en Suisse (lire p. 44).
GENÈVE TOURNÉE VERS LE FUTUR
Genève a su résister aux difficultés de ces dernières années. Aujourd’hui, même si elle conserve ses fondamentaux, c’est-à-dire la gestion de fortune privée et institutionnelle et le financement du négoce des matières premières, la place financière affiche un nouveau visage. Certaines évolutions se profilent, notamment dans le domaine de la finance durable, en pleine croissance. Avec l’installation du secrétariat du réseau FC4S (Financial Centres for Sustainability) sur son territoire, la ville devient la capitale mondiale de cette forme alternative de finance, qui vise à générer un rendement non seulement financier, mais également écologique et social. Une autre évolution importante est celle des fintechs*, ces start-up qui réinventent la finance à l’aide des technologies numériques ou mobiles pour fournir des services financiers de façon plus efficace et moins chère. « Genève peut assumer un rôle prépondérant dans cette révolution technologique. Ici, on va plutôt se spécialiser dans tous les outils de gestion de fortune, et dans le traitement et la sécurisation des données, domaine où l’on excelle. Genève a une carte à jouer », estime Edouard Cuendet.
Les banques françaises à la conquête de Genève
Depuis quelques années, plusieurs établissements bancaires français se sont installés à Genève comme banques de détail, dans un marché très compétitif. Leur coeur de cible : la clientèle transfrontalière.
Entre les banques françaises et Genève, c’est une longue histoire. Mais alors qu’elles s’étaient jusqu’ici cantonnées à la banque privée, certaines se lancent, depuis quelques années, dans l’aventure de la banque de détail, connue également sous le nom de banque Retail. « Ces banques se sont spécialisées dans la gestion de patrimoine transfrontalier, que ce soit CIC, Banque du Léman ou CA Next Bank », explique Frédéric Kohler, directeur de l’Institut supérieur de formation bancaire (IFSB) de Genève. Selon lui, elles présentent des atouts non négligeables pour une clientèle de frontaliers, que ce soit des Français travaillant en Suisse ou des Suisses résidant en France. « Elles s’appuient sur les groupes français et connaissent très bien les mécanismes d’hypothèque en France. Quand une banque suisse veut faire un prêt hypothécaire hors du pays, elle est obligée de passer par une banque française qui va lui prendre une commission. Elle est donc moins compétitive, alors que pour ces trois banques françaises, c’est leur maison mère qui prend l’hypothèque en France », note-t-il.
LA FIN DU SECRET BANCAIRE CHANGE LA DONNE
Mais ces banques ont aussi récupéré une clientèle de frontaliers délaissée par les banques suisses après la fin du secret bancaire en 2013. « La Banque du Léman s’est créée au moment où le Crédit Suisse et UBS ont décidé de ne plus avoir de frontaliers parmi leur clientèle Retail, car la Suisse avait signé l’échange automatique d’informations et le coût d’administration des comptes frontaliers avait fortement augmenté. En effet, elles doivent maintenant faire un reporting automatique de leurs comptes clients, chaque année, à l’État français, et cela a un prix important », explique M. Kohler. En réponse, les banques suisses ont augmenté de manière significative les frais de tenue de compte pour les frontaliers, ce qui a poussé ces derniers à les quitter pour se réfugier auprès des filiales de banques françaises. À l’initiative de la Caisse d’Épargne Rhône Alpes, la Banque du Léman a ainsi vu le jour en mai 2014. Elle possède aujourd’hui des agences à Genève et Lausanne. « La meilleure façon d’accompagner les besoins de nos clients frontaliers était d’ouvrir un établissement en Suisse pour qu’ils puissent y domicilier leurs revenus, tout en conservant deux établissements principaux, l’un en Suisse et l’un en France », explique Stéphanie Paix, présidente du directoire de la Caisse d’Épargne Rhône Alpes. En septembre 2017, la Banque du Léman a étendu ses services aux PME transfrontalières pour servir une population de chefs d’entreprise qui a parfois du mal à s’y retrouver dans leurs opérations entre France et Suisse. « Nous leur offrons des facilités pour le dépôt de leur capital, lorsqu’elles ouvrent une filiale par exemple. Nous leur proposons également des facilités de rapatriement, de transfert et de change. Mais nous apportons aussi des conseils personnalisés sur leurs opérations courantes, dans l’accompagnement de leurs financements ou lors de levées de fonds, etc. Par rapport aux autres banques suisses, on a un relationnel avec les petites entreprises qui est peut être plus en proximité. Et surtout, il s’agit du même type de relationnel que nos clients français trouvent à la Caisse d’Épargne. Il y a cette continuité dans la façon d’aborder les choses », ajoute-elle.
UNE POPULATION AUX BESOINS BANCAIRES SPÉCIFIQUES
Le Crédit Agricole des Savoie, qui s’est installé au début des années 2000 à Genève sous la marque Crédit Agricole Financement, puis CA next bank en 2017, a également pour objectif d’accompagner la clientèle transfrontalière. « Cela nous a paru important et tout à fait notre rôle de continuer à accompagner nos clients une fois qu’ils avaient passé la frontière », explique Richard Laborie, directeur général adjoint de la banque. Bien que l’essentiel des besoins bancaires des frontaliers se trouve en France, une partie est effectivement en Suisse, notamment le versement de leur salaire et le rapatriement d’une partie de ces fonds en France, mais aussi leurs besoins de prévoyance, de préparation de la retraite, ou d’assurance. « Nos conseillers, en France comme en Suisse, suivent des parcours de formation que l’on appelle le passeport frontalier, qui permet d’être au fait des problématiques spécifiques, des sujets de fiscalité et d’avoir des conseillers des deux côtés de la frontière qui savent répondre aux questions des clients et ainsi les accompagner », ajoute M. Laborie. Au-delà des frontaliers, une partie de la clientèle de ces banques est composée de résidents suisses. Un segment que la Banque du Léman et le Crédit Agricole souhaitent développer : « On a de plus en plus aussi une clientèle de résidents suisses, qui vient chercher une qualité de service, une relation à distance et aussi une capacité de financement, puisque nous faisons du crédit hypothécaire pour eux », note Richard Laborie. Cependant, conscients que le marché de la banque de détail est très compétitif en Suisse, ces deux établissements souhaitent avant tout se développer dans les zones frontalières. « Nous n’avons pas vocation à devenir une banque domestique dans l’ensemble de la Suisse. On souhaite se développer dans l’arc frontalier, car la clientèle frontalière reste notre coeur de cible », conclut Stéphanie Paix.
Romain Fournier
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