Les entreprises du BTP entendent bien nourrir les réflexions déclenchées par le réchauffement climatique et ses épisodes de sécheresse. L’enjeu est de faire évoluer leurs propres pratiques, mais aussi de mettre en avant les solutions qu’elles peuvent apporter aux maîtres d’ouvrage.
Les mesures déployées cet été pour faire face à la sécheresse ont rappelé à quel point la ressource en eau est fragile. Lié au dérèglement climatique, ce déficit hydrique est loin d’être résorbé : en septembre, 93 départements français étaient encore soumis à des restrictions d’usage.
« Ce genre de situation démontre tout l’intérêt d’une gestion patrimoniale des réseaux, et de schémas de connexion sécurisant l’alimentation des villages », observe Fabrice Molinier, directeur de l’eau et de l’assainissement à Val Vanoise. La communauté de communes, qui prendra au 1er janvier 2024 la compétence “eau et assainissement”, a déjà recruté les trois agents nécessaires au transfert de ces services. Elle a aussi récupéré les fonds de cartes dont disposaient les communes, afin d’élaborer un système d’information unique, et identifié les travaux à inscrire dans le programme qui sera soumis au vote des élus.
Retards d’investissements
Initialement prévu au 1er janvier 2020, puis repoussé jusqu’au 1er janvier 2026, le transfert des compétences“eau” et “assainissement” des communes vers les intercommunalités devrait contribuer à rattraper les retards d’investissement, pour peu que les fonds et la capacité à traiter les dossiers soient suffisants. Selon la Fédération Auvergne- Rhône-Alpes des travaux publics, les 92 200 km de canalisations transportant l’eau potable dans la région perdent en moyenne 21 % de l’eau acheminée.

Inférieur à la moyenne française (81 %) et aux objectifs nationaux (85 %), ce taux de rendement s’établit à 78 % pour l’Ain et la Haute- Savoie, 71 % en Savoie. Le taux de renouvellement des réseaux se situe dans la région à 0,8 % (0,6 % au niveau national) avec, là encore, des disparités selon les départements : 0,6 % en Savoie, 1 % dans l’Ain, 1,1 % en Haute-Savoie.
Pour sa part, l’assainissement représente, en Auvergne-Rhône-Alpes, un linéaire de 44 200 km avec un taux moyen de renouvellement annuel de 0,4 % (0,3 % en Savoie, 0,5 % dans l’Ain et en Haute-Savoie). Concernant encore les stations d’épuration, la Savoie figure parmi les trois départements comptant le plus d’installations en fonction depuis plus de trente ans (28 %, alors que la moyenne régionale est à 19 %).
Aides augmentées
Pour les Canalisateurs du Sud-Est, ce manque chronique d’investissement débouche sur un gaspillage de la ressource et remet en question la sécurité de l’approvisionnement. « À ce rythme, il faudra 170 ans pour renouveler le réseau, alors que la durée de vie d’une canalisation varie entre trente et quatre‑vingts ans », calculent- ils, en espérant un deuxième « plan de rebond ».
Pour soutenir l’activité des entreprises en temps de crise sanitaire, les agences de l’eau ont augmenté, en 2020 et 2021, les aides allouées, et élargit les thématiques concernées. « Sur cette période, nous avons débloqué 97 millions supplémentaires sur les sept départements et demi d’Auvergne‑Rhône‑Alpes* que nous couvrons, pour financer des chantiers sortant de nos critères d’intervention habituels », souligne Nicolas Alban, directeur de la délégation de Lyon de l’agence Rhône-Méditerranée- Corse (RMC).
Préservation des milieux
Depuis, l’agence a renoué avec ses niveaux d’intervention (en moyenne 150 M€ par an sur Aura) et ses priorités en lien avec les milieux naturels (rivières, zones humides, nappes phréatiques, biodiversité). En juillet 2022, un chantier de 4,8 M€ sur deux ans a par exemple été lancé sur le secteur de la basse Dranse, pour élargir le lit de la rivière et favoriser la divagation de l’eau. Des techniques de génie végétal sont également mises en oeuvre sur les berges après défrichement des espèces invasives présentes. Les sept kilomètres de canalisations nouvelles alimentant le réseau d’eau potable du Pays de Cruseilles avec l’eau du lac d’Annecy – et non plus celle de la source de la Douai, trop souvent à sec – ont nécessité un investissement de 4 M€.

En Haute-Savoie, toujours, un accord cadre couvrant la période 2022-2024 a été signé avec le conseil départemental pour faciliter les projets au niveau technique et financier, avec notamment des cofinancements d’opérations (20 M€ pour les travaux d’eau potable et assainissement, 8,4 M€ pour les espaces naturels sensibles et la biodiversité).
« Au titre de la solidarité urbain-rural, nous allons aussi financer une interconnexion entre les réseaux d’eau de la commune du Noyer, dans les Bauges, et ceux de Grand Chambéry », complète Nicolas Alban. « Nous intervenons par ailleurs sur les stations d’épuration polluantes, l’élaboration des schémas directeurs “eau potable et assainissement”. » L’agence procède de plus en plus par le biais de contrats, comme celui signé en juillet 2022 pour les bassins-versants Guiers-Aiguebelette-Bièvre-Truison. Sur la période 2022-2024, il permettra 81 actions portées par 25 maîtres d’ouvrage, pour un montant total de 29,5 M€.
D’une crise à l’autre
Insuffisants au regard des besoins, ces programmes de travaux découlent d’évolutions réglementaires, sociétales et même économiques.
« Face à la hausse des prix du gaz, la géothermie est de plus en plus considérée comme une énergie d’avenir. On observe, depuis quatre à cinq ans, une reprise forte, et je pense durable, y compris pour des installations importantes de plus de 500 kW pourtant régies par le Code minier », constate Éric Garroustet, le président du SFEG qui fédère 80 entreprises de forage, spécialistes de la ressource en eau souterraine et géothermie. Le SFEG est l’une des entités de l’Union des industries et entreprises de l’eau dont la dernière étude (octobre 2022) estime à 4,6 milliards d’euros, le déficit annuel d’investissement pour le patrimoine de l’eau.
Le modèle « Arve pure »
Au-delà des solutions techniques dont elle favorise l’émergence, la crise climatique constitue un levier pour que les entreprises du BTP fassent évoluer leurs propres pratiques. Financé par l’Agence de l’eau et porté par la Fédération du BTP, le dispositif O’Niveau incite les peintres à s’équiper de stations de lavage pour les outils plus respectueuses de l’environnement. Le BTP figure par ailleurs parmi la dizaine de secteurs d’activité ciblés par le programme “Arve pure” mis en place en 2007 pour éviter que des déchets microscopiques (eaux de lavage, hydrocarbures, plastiques…) aillent directement dans le milieu naturel en raison d’installations non conformes.
« Le taux d’aide est augmenté jusqu’à 70 % pour les petites et moyennes entreprises. Et il reste jusqu’à fin 2023 pour profiter de l’enveloppe de 7 M€ allouée par l’agence de l’eau RMC pour le troisième volet de cette opération collective », indique Liana Reuilly, chargée de mission au Syndicat mixte d’aménagement de l’Arve et de ses affluents (SM3A). Depuis son lancement, le programme a permis de diagnostiquer et aider plus de 450 projets de réduction des pollutions toxiques portés par les entreprises de la vallée de l’Arve.
Pierre Bruyère, vice-président de Grand Annecy chargé de l’eau et président du Sila : « De gros investissements dans les dix ans à venir »

« Le Sila (Syndicat intercommunal du lac d’Annecy) est chargé des structures d’assainissement collectif, soit 1 300 km de collecteurs, 100 stations de pompage et 12 usines de dépollution. Sous sa responsabilité également : l’assainissement non collectif et le “grand cycle de l’eau” c’est-à-dire la gestion des rivières et zones humides. Pendant longtemps, l’effort a principalement porté sur des travaux d’extension. Le nouveau schéma général d’investissement voté pour la période 2022-2031 prévoit 24 millions d’euros d’investissements en dix ans. Il s’agit de construire de nouveaux collecteurs, d’entretenir le réseau actuel, de réhabiliter et étendre les unités de dépollution. Un volet concernant les eaux pluviales a été ajouté afin d’éviter les débordements et améliorer le fonctionnement des ouvrages. S’ajouteront, à plus long terme, des investissements lourds pour accompagner la croissance démographique. Quelque 27 M€ seront par exemple à injecter pour améliorer le fonctionnement et accroître les capacités de l’usine de Siloé (à Cran-Gevrier). L’usine des Poiriers (à Poisy) devrait, elle, être dotée d’un bassin supplémentaire (3,5 M€ d’investissement). Concernant l’alimentation en eau potable, Grand Annecy dispose d’un bon réseau dont le taux de rendement est de 84 %. Le projet de schéma directeur s’élève à 50 M€ sur dix ans pour le renouvellement des réseaux, soit 5 M€ par an. L’idée générale est de desservir les communes à partir du lac et de redonner l’eau des sources à la nature. Ces investissements sont couverts par des budgets annexes afin que “les utilisateurs soient les payeurs”. »
« Faire tomber les cloisons entre les mondes de l’eau et des déchets »
À Marignier (74), le Sydeval (Syndicat des déchets, de l’eau, de la valorisation) s’emploie à développer les synergies entre l’usine d’incinération des ordures ménagères et la station de traitement des eaux usées dont il est propriétaire. « Nous développons les interactions entre ces deux équipements situés l’un en face de l’autre. Il s’agit de faire tomber les cloisons séparant le monde de l’eau de celui des déchets », sourit Alexia Bertholini, sa directrice.
Chargé du transport des eaux usées, le syndicat dispose d’un budget “assainissement” qui a atteint les 13 millions d’euros en 2022 (6,7 M€ en 2021), en raison de gros chantiers. L’unité de méthanisation dont la réalisation a été engagée en janvier réduira de 4 000 à 2 600 tonnes la quantité de boues issues de l’épuration envoyée à l’incinération. « Elle fonctionnera grâce à l’électricité verte générée par l’usine d’incinération. Ainsi, la totalité du biogaz produit sera injecté à partir du printemps 2023 dans le réseau public de gaz via un contrat de rachat signé en 2020 », poursuit Alexia Bertholini.
Le programme représente vingt‑quatre mois de travaux pour un coût de 5,3 M€ financé avec un prêt à taux zéro de 3 M€ de l’agence de l’eau Rhône‑ Méditerranée‑Corse. Il est réalisé dans le cadre d’un marché global de performance portant sur la conception, la réalisation et l’exploitation de l’unité de méthanisation ainsi que l’exploitation de la station d’épuration. L’accord est signé avec Suez pour une durée de sept ans, avec une tranche optionnelle de six années supplémentaires.
Le Sydeval prévoit par ailleurs de lancer, fin 2022, un schéma directeur d’assainissement à l’échelle du bassin. Ce document – qui nécessitera environ un an et demi de travail – détaillera les rejets arrivant à la station d’épuration, les points d’amélioration possible, les projections en termes de volumes et de charges polluantes pour l’avenir.

Ain : Grand Bourg Agglomération ouvre plus grand le robinet des investissements
Née en 2017 de la fusion de sept intercommunalités représentant 74 communes, Grand Bourg Agglomération a récupéré, en 2019, la compétence “eau et assainissement”. « Malgré la crise sanitaire qui n’a pas facilité la concertation avec les territoires, nous avons adopté une politique affirmée de préservation de la ressource en eau, tant en qualité qu’en quantité », souligne Jonathan Gindre, vice-président chargé de l’environnement, de l’eau et de l’énergie. En matière d’assainissement collectif, la communauté d’agglomération a procédé à une évaluation du patrimoine qui a confirmé un sous-investissement global.
Ce diagnostic a débouché sur une programmation de travaux avec une capacité accrue (8,5 millions d’euros au lieu de 5 M€ d’investissement annuels), soit un taux de renouvellement annuel porté à 0,8 % au lieu de 0,6 %. « Nous avons encore des communes qui ne sont pas équipées de station d’épuration. Cette situation n’est pas acceptable car elle concourt à la pollution des nappes phréatiques et des rivières. L’effort d’investissement que nous réalisons répond aux principaux enjeux environnementaux tout en maintenant un coût acceptable pour les usagers, alors même que nous travaillons sur une convergence tarifaire qui peut, elle-même, conduire à une hausse de la facture pour les foyers », continue Jonathan Gindre.
Confrontée à une forte pression des services de l’État (qui relaient eux-mêmes des exigences européennes), Grand Bourg Agglomération a recruté une personne et mis en place un comité de suivi pour s’assurer du bon avancement des dossiers, mais s’interroge sur l’impact de l’inflation (énergie, matériaux) sur les travaux à venir. « Tant que les problèmes environnementaux subsisteront, les communes seront freinées dans leur développement », observe le vice-président. « Nous n’avons pas d’autre choix que de nous mettre en règle. »

Cédric Favre, responsable “exploitation maintenance” à Grand Chambéry : « Une triple compétence donnant une vision globale »

« Grand Chambéry travaille à la fois sur l’eau potable, les eaux usées et les eaux pluviales, ce qui lui donne une vision globale. Le réseau d’alimentation en eau potable s’étire sur 1 100 km et compte 180 ouvrages (captages, réservoirs, stations de pompage). Renouvelé à hauteur de 1 % par an, il bénéficie d’un budget annuel de travaux et études qui s’élève à 6 millions d’euros. Le maillage des réseaux, afin de secourir des secteurs qui peuvent être en déficit, représente plus de 40 % de cette enveloppe et peut se traduire par des opérations de restructuration avec, par exemple, des changements de diamètre de canalisation. La rénovation d’ouvrages et de réseaux représente environ 30 % de l’effort d’investissement. Suivent la création d’ouvrages comme des réservoirs (20 %), puis la mise en conformité, les études et schémas directeurs (10 %). La moitié des études sont réalisées en interne, par un bureau constitué de huit personnes. L’objectif est de terminer les travaux de restructuration pour remettre l’accent sur le renouvellement de réseau. Concernant les eaux usées (650 km de réseaux collectifs), l’essentiel des investissements (5,4 M€ par an) se concentre sur les stations d’épuration, qui arrivent en deuxième partie de leur vie et commencent à rencontrer des problèmes de conformité. C’est le cas de l’unité de Chambéry et de différentes stations dans les Bauges qui ont besoin de travaux de gros entretien et remplacement. Les renouvellements de réseaux et postes intermédiaires absorbent environ un quart des dépenses de travaux. Beaucoup plus récente, la compétence “eaux pluviales” (550 km de réseaux séparatifs) nécessite encore un accord de transfert avec les communes. Alors que l’eau et l’assainissement relèvent de budgets autonomes qui s’équilibrent en dépenses et en recettes, les communes doivent finaliser le mode de financement de l’activité qui nécessiterait environ 2 M€ d’investissement. Il s’agirait en particulier de créer les bassins de stockage intermédiaire nécessaires en cas de fortes pluies. »
Dossier réalisé par Sophie Boutrelle
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