« On a une stratégie claire : baisser les impôts, pour relocaliser, être le pays le plus attractif en Europe et réindustrialiser. C’est ce que nous sommes en train de faire. […] La réindustrialisation, c’est bon pour l’emploi », a déclaré Emmanuel Macron, le 11 avril, lors de la pose de la première pierre d’une nouvelle usine à Bergerac, en Dordogne.

Il a raison… dans l’absolu. Mais, dans le contexte précis de cette journée, ce discours est sans doute à nuancer. Le site appartient à Eurenco, leader européen de la fabrication de poudre explosive. Et la nouvelle usine, qui doit être opérationnelle en 2025, sera dédiée à la fabrication de poudre pour obus. Une production délocalisée en Suède, en 2007. Tout cela vise donc à augmenter nos capacités de défense, sur fond de guerre entre Ukraine et Russie.
« L’économie de guerre enrôle l’entièreté des capacités productives vers la fabrication de moyens de destruction. Elle ne peut donc, par principe, générer que du chaos et du malheur. »
« Si on veut aller plus vite, il nous faut maîtriser la totalité du processus », a justifié le chef de l’État. Il est d’ailleurs à noter que le site suédois reste actif, l’enjeu n’étant pas tant de relocaliser que de doubler la production. Toujours dans cette perspective de réarmement, le Président a déjeuné, ce même jeudi 11, avec – outre le PDG d’Eurenco – les dirigeants de Dassault, de Naval Group, de Thalès ou encore, du fabricant de missiles MBDA. Car, dit-il, il veut faire entrer notre pays « en économie de guerre ». Alors déjà, l’emploi régulier de cette expression est abusif.
« Une économie de guerre est une économie qui mobilise toutes les ressources du pays – humaines, financières et matérielles – pour le combat. Ce n’est actuellement pas le cas, même si le pays se remilitarise », rappelle Claudia Senik, professeure à l’École d’économie de Paris, dans une interview donnée au Progrès. Mais de surcroît, c’est vraiment se moquer du monde que de juxtaposer, comme l’a fait Emmanuel Macron, ces deux affirmations : « L’économie de guerre produit de la richesse » et « On ne réduit pas les déficits en faisant moins d’industrie, c’est même l’inverse ».
Primo, l’économie de guerre, comme on l’a vu, enrôle l’entièreté des capacités productives vers la fabrication de moyens de destruction. Elle ne peut donc, par principe, générer que du chaos et du malheur.
Deuzio, outre que ce soit parfaitement immoral d’espérer s’enrichir sur des instruments de mort, c’est complètement illusoire. Car enfin, qui achète les armements produits, sinon l’État lui-même, que ce soit pour sa propre défense ou pour soutenir les Ukrainiens ? Selon le ministère des Armées, l’aide de la France à l’Ukraine sous forme d’équipements militaires s’élève déjà à plus de 3,8 milliards d’euros entre le 24 février 2022 et le 31 décembre 2023.
Aussi, quand bien même l’investissement dans l’armement créerait une boucle vertueuse avec plus d’emplois et moins de dépenses sociales, ce ne serait guère profitable à nos déficits. L’argent ne ferait, au mieux, que sortir d’une poche pour rentrer dans une autre. Ah ! Et pour la blague, Eurenco (900 salariés, 190 M€ de chiffres d’affaires) appartient à 100 % à l’État.
Sébastien Jacquart, journaliste
s.jacquart@groupe-ecomedia.com
Photo à la une : Emmanuel Macron, aux côtés de Bruno Lemaire et de Thierry Francou. Photo ©Claude-Hélène Yvard, Dordogne Libre.
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