Avocats associés chez Armand Chat & Associés, implanté près de Chambéry (73), cabinet de référence pour les professionnels britanniques du secteur de la montagne, Maîtres François Chat et Stéphane Fressard reviennent sur l’impact et les enjeux du Brexit.
Depuis le référendum de juin 2016 en faveur du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (prévu le 29 mars prochain), les professionnels britanniques travaillant en France, notamment dans le tourisme, craignent pour leur business model.
Leur modèle économique repose sur le système du détachement de leurs employés. Aujourd’hui, la réglementation européenne dit que, dans l’Union européenne, le travailleur détaché dépend de son pays d’origine pour les cotisations sociales patronales, mais du pays d’accueil pour le droit du travail. Ces dernières années, les tour-opérateurs britanniques ont ainsi développé en France, à moindre coût, de nouveaux métiers, basés sur le catering, les services à leur clientèle (restauration, ménage, nounous, transferts…). Si le Brexit marque la fin du détachement des travailleurs britanniques (ils sont 15000 en France dans ce secteur, ndlr), les marges des professionnels vont être divisées de façon significative, remettant en cause tout un système.
Pour les Britanniques, le Brexit signifie donc hausse des charges sociales et des coûts ?
Concrètement, en Angleterre, un salaire est chargé à 25%, soit quatre fois moins qu’en France qui est à plus de 100%. Si les tour-opérateurs vendant des séjours tout compris, sous la forme de forfait, doivent s’aligner, les coûts vont augmenter fortement. En cas de défaillance dans cette chaîne, le système britannique dit que c’est aux TO de s’adapter. Peut-être qu’ils vont devoir, à l’avenir, garantir le risque financier pour la destination Europe.
« Lorsqu’il y a substance, le détachement se justifie. Le vrai enjeu, c’est la fraude »
Indépendamment du Brexit, les conditions du détachement des travailleurs ont déjà été durcies il y a quelques mois.
A la demande de la France, un premier coup de canif a été porté en mai 2018 à la Directive européenne de 1996 qui permet aux salariés d’un pays de l’UE de travailler dans un autre. Le durcissement porte sur la limitation de la durée du détachement et des rémunérations identiques à celle des travailleurs locaux, les modifications étant applicables à partir de 2020.
Lorsqu’il y a une vraie substance économique dans le pays d’origine, en terme de marketing, de moyens humains et financiers, le détachement se justifie. Le vrai enjeu, ce serait plutôt la lutte contre la fraude. Le 6 février 2018, pour la première fois, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé qu’en cas de fraude, un certificat de détachement peut être écarté.
De quelle manière le climat actuel touche-t-il le marché de l’immobilier ?
Pour les investisseurs britanniques, Brexit ou pas, les stations de ski restent aujourd’hui un placement sûr et stratégique. On ne constate pas de déperdition sur ce marché.
L’impact est différent pour la location des hébergements touristiques. 37% de la clientèle des stations de ski françaises est britannique. Chaque hiver, les tour-opérateurs louent par milliers chalets, hôtels ou résidences, souvent à très bon compte, ce qui a conduit les promoteurs français à monter de véritables empires immobiliers. Depuis deux ans, on assiste à un réajustement des locations immobilières au vrai prix du marché. La livre a baissé d’environ 15%, mais les loyers ont été réajustés de 20%…
« Nous ne sommes pas très loin du point de rupture de la livre »
Entre juin 2016 et début décembre 2018, la livre sterling est passée de 1,42 à 1,12€.
Le Royaume-Uni dispose déjà d’une monnaie autonome et indépendante. La vraie incidence du Brexit porte sur le niveau de la livre. Pour le moment, la destination France n’est pas boudée des Britanniques. Mais l’explosion (+25% environ) du prix des séjours, l’an passé, suscite l’inquiétude des consommateurs. Nous savons qu’il existe un réel point de rupture, et nous n’en sommes pas très loin. Si la livre passe en-dessous, le marché peut dégringoler de 30%. Le bon sens libéral, c’est d’être attentif à ne pas mettre à terre l’Angleterre.
Plus largement, quels sont les risques pour l’Europe ?
La liberté de circulation des personnes, biens et capitaux est l’un des principes fondateurs de la Communauté européenne depuis 1971, et une réalité dans l’Europe actuelle. Il n’a jamais été question d’imposer, d’harmoniser ou d’unifier les règlementations, la législation ou la fiscalité des Etats. Ce sont des choix propres à chaque nation, qu’il faut respecter. Prôner le protectionnisme, comme c’est le cas aujourd’hui par certains politiques européens, est un risque pour l’autonomie et la liberté de chaque pays.
Propos recueillis par Enimie Reumaux.
Accord de retrait de l’UE : le vote du Parlement britannique repoussé sine die
Fin novembre 2018, au terme de 17 mois de discussions, un accord de retrait trouvé par Theresa May et les négociateurs européens, a été approuvé par les dirigeants des 27 pays de l’Union européenne.
Ce texte devait être ratifié le 11 décembre par le Parlement britannique, majoritairement opposé au projet d’accord. Au terme de plusieurs jours de débats houleux à la chambre des Communes, et faute de majorité, Theresa May a annoncé, lundi 10 décembre le report sine die du vote. Tout en affirmant que cet accord était « le meilleur qui puisse être négocié avec l’UE », elle a annoncé vouloir rediscuter certains points avec ses homologues européens (la prochaine réunion du Conseil européen est prévue les jeudi 13 et vendredi 14 décembre). Quoiqu’il en soit, il n’est pour le moment pas prévu de nouveau vote du Parlement britannique avant le 21 janvier 2019, date butoir établie par la procédure législative de retrait de l’UE.
Cette situation n’arrange pas les milieux économiques. La banque d’Angleterre avait annoncé, dès le 28 novembre dernier, que les conséquences d’un « no deal », c’est-à-dire d’un Brexit sans accord de retrait ni période de transition, aurait un impact fort : chute de la livre de 25 %, amoindrissement du PIB de 7,8 à 10,5 % d’ici à 2024, chute des prix de l’immobilier de 30 %, ainsi qu’une inflation de 6,5 %.

Selon Maître François Chat, le seuil de rupture de la livre, qui entraînerait la dégringolade du marché, est proche.
Photo Enimie Reumaux
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