La sociologue Danièle Linhart était l’invitée de la mission locale Oyonnax-Bellegarde-Gex, le 8 novembre à Valexpo. Elle a livré son analyse du comportement des jeunes sur le marché de l’emploi.
« Depuis les années 1980, la logique managériale implique pour le candidat d’être autonome, de faire preuve de personnalité, de s’extraire de sa zone de confort tout en se révélant dans son travail, a retracé la sociologue Daniel Linhart, le 8 novembre à Valexpo dans le cadre de la conférence organisée par la mission locale Oyonnax-Bellegarde-Gex. La dimension positive dans le travail positionne le bonheur comme valeur centrale, avec l’idée d’un engagement dans ses missions. En parallèle, d’autres réalités existent comme le mal-être au travail, les risques psychosociaux, le burn-out, les harcèlements en tous genres, les suicides, pointés par les pouvoirs publics et la famille. L’espace travail est alors perçu comme une zone dangereuse où tout peut arriver. » Danièle Linhart est revenue sur les difficultés de la nouvelle génération face au recrutement et au monde de l’entreprise, parfois intransigeant. Une fois sur le marché de l’emploi, les jeunes recrues découvrent une ambiance uniforme, ainsi qu’une série de contradictions entre la rhétorique managériale et les constats établis par leurs proches et les médias.
Subordination
D’après la professeure à l’Université Paris X, l’un des nœuds réside dans le contrat salarial qui implique naturellement, un lien de subordination. « Le fait d’être tenu d’obéir à sa hiérarchie ne s’accorde pas avec la liberté et l’esprit d’initiative rêvés par la jeunesse, d’où la crainte du statut de salarié pour certains jeunes diplômés, qui préfèrent alors l’entrepreneuriat, constate Danièle Linhart. En tant que sociologue, je m’interroge sur cet archaïsme de subordination loin d’être en accord avec l’évolution du monde professionnel. » Par ailleurs, la directrice de recherche au CNRS mise sur les connaissances professionnelles, l’envie et la détermination délaissées lors des entretiens, au profit des savoir-être de conformité et de la maîtrise des codes. « Or, les jeunes actifs ne rêvent que d’apprendre et faire, satisfaire leur curiosité, se définir par un métier. Ils s’appréhendent comme des professionnels », insiste la spécialiste. Si la jeunesse peine autant à s’intégrer dans l’univers professionnel, les explications peuvent se retrouver dans l’absence de collectif, selon la sociologue, née en 1947. « Dans les années 1950, les anciens apportaient leurs conseils aux nouveaux, jusqu’à transmettre, souvent, leurs valeurs syndicales. Les jeunes trouvaient ainsi naturellement leur place, abonde-t-elle. De nos jours, on assiste à une individualisation des salariés. Chacun joue directement son destin avec sa hiérarchie, en concurrence avec ses collègues. Il n’y a plus de collectif chargé de socialiser la jeunesse au travail. »
Une histoire de volonté
Tout juste la cinquantaine, Joël Viry, président de la Commission paritaire du Haut-Bugey (CPHB) et président de PRP Creation à Oyonnax, a rappelé son parcours de jeunesse. Fils d’un ouvrier agricole et d’une mère assistante maternelle, il s’est fait l’écho du discours de Dorine Bourneton, seule femme handicapée pilote de voltige aérienne : « La différence entre le possible et l’impossible, c’est la volonté. » Et Joël Viry de poursuivre : « En 1992, le taux de chômage en France était de 9 % contre 8,7 % à l’heure actuelle. L’insertion sur le marché de l’emploi n’était donc pas plus simple il y a 20 ans, nuance le chef d’entreprise. Si je suis devenu directeur général d’une PME à Lyon, à l’âge de 30 ans, c’est parce que l’on a cru en mes valeurs. L’impact d’un salarié est plus important sur l’avenir de mon entreprise que mon impact sur l’avenir d’un salarié. Tout chef d’entreprise recherche du professionnalisme, mais quel que soit le niveau d’étude, un jeune diplômé ne connaît rien et doit faire preuve d’humilité. De son côté, l’entreprise doit véhiculer une image exemplaire, notamment en respectant le Code du travail, pour intégrer le jeune dans les meilleures conditions. »
Donner du sens à son travail mais pas que…
Danièle Linhart a également évoqué le souhait pour jeunesse récemment insérée dans le monde du travail, de donner un sens à leur carrière, mais pas seulement. « Les jeunes ne souhaitent pas être dévorés par leur travail, a-t-elle avancé. Et ce n’est pas nouveau. Déjà en 1968, ils revendiquaient ne pas vouloir perdre leur vie en la gagnant. »
Par Sarah N’tsia
Cet article est paru dans ECO de l’Ain du 29 novembre 2018. Il vous est exceptionnellement proposé à titre GRATUIT. Pour retrouver l’intégralité des articles de notre hebdomadaire mais aussi de nos suppléments et hors-séries, c’est ICI
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