Logement social / Didier Monnot : « Une part infime de locataires souhaite devenir propriétaire ! »

par | 24 mai 2019

Le Président de l’Association des Bailleurs Sociaux de l’Isère (ABSISE) qui regroupe 9 bailleurs et plus de 70 000 logements, explique pourquoi le seuil de l’accès à la propriété, cher à l’État, est si difficile à franchir.

Est-il vrai que le logement social est un modèle en péril ?

Oui, et c’est même un euphémisme ! Aujourd’hui, il est devenu un contributeur net au budget de l’Etat. Les aides à la pierre versées aux bailleurs sociaux pour les aider à construire des logements qu’ils loueront ensuite à des prix très inférieurs au marché, et qui, auparavant, étaient l’apanage de l’Etat, sont en quasi totalité financées par les bailleurs sociaux. Ces aides étaient versées sur un principe de parité entre les bailleurs sociaux et l’Etat. Force est de constater qu’elles ne proviennent plus que des bailleurs sociaux.

Les promoteurs privés financent-ils vraiment à 50 % le logement social ?

Je dirais plutôt que la part de construction de logement social réalisée par les promoteurs privés se rapproche plus de 40 %. Encore que, c’est très variable, selon les territoires et les bailleurs ! Les entreprises, les architectes, restent toutefois les mêmes… Les bailleurs sociaux sont très attachés à conserver les compétences de Maîtrise d’Ouvrage qui ont été longtemps le gage d’innovations technologiques majeures.

Comment se porte, en règle générale, le logement social en Isère ? Et pour commencer, est-il en bon état ?

Sur l’entretien, honnêtement, il l’est ! Il y a des sommes colossales investies pour des réhabilitations qui ont transformé des quartiers entiers, même si, malgré cela, à Grenoble, certains quartiers au sud de la ville continuent à faire parler d’eux. Ce sont des concentrations d’habitat datant des années 60-70, avec toutes les problématiques sociales et le recul régulier de l’action publique. Très souvent, les seuls qui demeurent encore présents sur place sont les bailleurs sociaux. Leurs équipes, leurs gardiens.., sont là, pendant que d’autres services ont déserté.

« ENVIRON 4 000 EMPLOIS DIRECTS SONT GÉNÉRÉS PAR LES 250 MILLIONS D’EUROS INVESTIS DANS L’ÉCONOMIE CHAQUE ANNÉE PAR LE LOGEMENT SOCIAL. »

Le taux de vacances des logements en Isère est-il important ?

Il est assez variable et il convient, pour ce faire, d’observer deux indicateurs : le taux de rotation, c’est-à-dire le nombre de départs, et celui de la vacance. Les deux taux restent très faibles quand on réside sur l’agglomération. Aussi, quand la situation économique devient plus tendue, mécaniquement, on note que ces taux remontent. On a pu constater que le Nord-Isère, en particulier, était très sensible à cela.

Le logement social représente-t-il toujours un secteur qui fait vivre l’emploi en Isère ?

Dans notre département, en tout cas, il concerne 1 300 salariés dont 650 déployés en proximité. De plus, environ 4 000 emplois directs sont générés par les 250 millions d’euros investis dans l’économie chaque année. On estime que les loyers, quant à eux, rapportent environ 280 millions d’euros.

Cependant, il a été prouvé mathématiquement que les arguments économiques qui ont été avancés par l’Etat sont faux ! Ce n’est pas moi qui le dit, mais la Cour des Comptes et la Caisse des Dépôts et Consignations qui ont produit des études au regard du niveau et des coûts de gestion des organismes classés par taille de patrimoine. Leurs résultats ont donné une courbe extrêmement plate.

Qu’en-est-il des fusions souhaitées par l’Etat, entre bailleurs sociaux, pour réduire leurs coûts de gestion ?

Au début de l’initiative gouvernementale, il fallait nécessairement fusionner avec un autre bailleur social quand l’un était en gestion de moins de 15 000 logements. Aujourd’hui, le curseur a été ramené à 12 000. Cependant, il a été prouvé mathématiquement que les arguments économiques qui ont été avancés par l’Etat sont faux ! Ce n’est pas moi qui le dit, mais la Cour des Comptes et la Caisse des Dépôts et Consignations qui ont produit des études au regard du niveau et des coûts de gestion des organismes classés par taille de patrimoine. Leurs résultats ont donné une courbe extrêmement plate. Comme je suppose que les ordinateurs de Bercy sont encore plus précis que ceux des organismes que je viens de citer, j’en conclus qu’il doit y avoir une autre idée derrière tout cela. Il est vrai qu’il faut parfois savoir se regrouper pour amener un meilleur service. D’ailleurs, cela s’est fait de tout temps et cela continue à se faire. Je pense, par exemple, au rapprochement entre Actis et Grenoble Habitat dont le projet remonte à de nombreuses années. Ce n’est pas loi Elan qui a initié ce rapprochement. Parfois, aussi, pour mener à bien et ensemble un travail, telles que les élections de représentants de locataires, on se rassemble, mais sans pour cela avoir besoin de fusionner nos structures.

Unis, n’est-on pas plus puissant ?

Oui ! Mais on entretient aussi un réel fantasme qui consiste à faire croire que, quand on est gros, on a forcément beaucoup d’argent et on est plus puissant. On pense un peu hâtivement qu’obtenant, par ces fusions, de plus grosses structures, elles pourront plus facilement investir. Il y a un deuxième fantasme, celui que l’Etat appelle le “dodu dormant”, c’est-à-dire, un bailleur social qui a peu d’activité, mais un patrimoine qui génère des ressources, et donc, beaucoup d’argent. L’idée, c’est que, en fusionnant ce “dodu dormant” avec une entreprise très active qui n’a pas ou peu d’argent, on pourra transférer les ressources de celui “qui ne fait pas” à celui “qui pourrait faire”. Pour ma part, j’aimerais bien qu’on me montre où est ce « dodu dormant », car, comme tout le monde, je cherche des sous.

On évoque souvent “l’accès à la propriété” pour les locataires, toujours dans l’idée de cette France de propriétaires, chère à l’ancien président Nicolas Sarkozy !

Cela ne représente qu’une part infime ! En Isère, les bailleurs sociaux vendent depuis longtemps des logements, mais toujours aussi peu. À l’époque, le but de Nicolas Sarkozy était effectivement d’améliorer la condition de vie des retraités en se disant qu’en devenant propriétaire, ils n’auront plus aucun loyer à payer tous les mois au moment de leur retraite. À Champfleuri Bourgoin-Jallieu où les bailleurs sociaux ont investi des dizaines de millions d’euros dans sa réhabilitation, si ce n’était que le fait de copropriétés, les choses ne se seraient pas passées aussi aisément. On voit bien que, quand on procède à une réhabilitation, l’immeuble en copropriété est souvent celui qui n’a pas été réhabilité, ou très peu. Il y aussi, chez ces locataires qui voudraient faire le grand saut, la peur du lendemain. Les propriétaires qui ont emprunté pour acheter leur logement deviendraient “locataires” de leur banquier ou de leur bailleur social. D’autres n’ont pas la capacité à mobiliser des prêts financiers pendant que les loyers, eux, sont, en moyenne, 50 % en dessous du marché du privé libre.

Et puis, il y a la vie sociale qu’offre, malgré tout, le fait de vivre dans un quartier !

Oui, et dans l’ensemble, on y vit plutôt bien, avec de vraies relations de voisinage. On parle toujours des trains qui n’arrivent pas à l’heure, mais, selon les enquêtes de qualité que l’on réalise tous les trois ans, nos locataires se disent globalement satisfaits. Quant on met tout ça bout à bout, à la fin, il n’y a pas une folle envie de partir à l’aventure ! On loge aussi, et c’est notre mission, des gens qui vivent des situations économiques fragiles et pour qui s’engager pour 20 ans reste compliqué. Après, acheter un logement social au milieu d’un grand ensemble… entre nous, il n’y a pas de véritable appropriation. Comme une boutade, je dirais qu’en France, en gros, il se vend par an moins de 15 000 logements sociaux, qu’on nous demande d’en vendre 40 000, et qu’il n’y a plus qu’à trouver les acheteurs.


Propos recueillis par Éliséo Mucciante


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