Maisons d’édition locales : une année en dents de scie

par | 19 mars 2021

Deux confinements, la fermeture des librairies puis leur réouverture tardive… l’année 2020 n’a pas été simple pour les maisons d’édition régionales. Les plus grosses s’en sortent bien, les petites souffrent.

Finalement, l’année n’aura pas été si catastrophique que cela… du moins pour les grandes maisons d’édition. Le Syndicat national de l’édition annonce un chiffre d’affaires global en recul de seulement 2 % pour le secteur sur l’ensemble de l’année 2020. Pour les petites et moyennes maisons d’édition, c’est une réalité bien plus contrastée. Les deux confinements ont fortement impacté leurs ventes directes.

À l’inverse, les déconfinements au début de l’été et juste avant les fêtes de fin d’année ont pu atténuer les pertes, et parfois même stabiliser le chiffre d’affaires. « Chaque éditeur a essayé de réagir, notamment en décalant des titres, en revoyant les programmes de diffusion ou en renforçant le numérique », résume Jérôme Vincent, d’Actu SF, à Chambéry, qui a vu son chiffre d’affaires passer de 460 000 euros en 2019 à 380 000 euros en 2020, soit une baisse de 80 000 euros.

La librairie Decitre à Annecy. Un des quatre points de vente de la marque dans les Alpes, avec Annemasse, Chambéry et Grenoble.

Moins de visibilité

La majorité des éditeurs des Pays de Savoie s’accordent à dire qu’ils ont subi un déficit de visibilité auprès des distributeurs. À cause des confinements, bien sûr, mais également à la réouverture des librairies, car celles-ci ont alors « dégraissé leur stock grâce à leur droit de retour ; les références dans les rayons ont donc diminué, ce qui a engendré moins de diversité de livres », analyse Bernard Paccot, des éditions de l’Astronome, à Thonon (40 000 euros de chiffre d’affaires), qui se plaint d’avoir enregistré « des mois avec dépenses ».

D’autre part, les commerciaux n’ont pas pu effectuer correctement leur travail de vente des livres auprès des distributeurs. Enfin, l’année 2020 rime avec salons en moins, alors que ceux-ci sont des vitrines indispensables pour certaines petites maisons d’édition. « Nous réalisons habituellement une part de ventes directes grâce aux salons et aux marchés dans les stations. En 2020, tout cela n’a pas été possible, ce qui a impacté nos ventes et notre chiffre d’affaires, en baisse de 20 000 euros », explique David Gautier, directeur des éditions Boule de Neige, spécialisées dans les livres jeunesse, à Chambéry (chiffre d’affaires 2020 de 180 000 euros).

La plupart des éditeurs ont dû chambouler leur programme de parution, en reportant ou en annulant des titres ; mais sans pouvoir éviter, parfois, que des livres passent inaperçus lors de leur parution. « Certains titres ont été massacrés, avec par exemple 750 livres écoulés sur 1 500 envoyés aux libraires », détaille Jérôme Vincent.

La librairie Guérin, à Chamonix, a profité de l’envie d’évasion des lecteurs.

Catherine Destivelle, directrice des éditions du Mont-Blanc spécialisée dans les ouvrages d’alpinisme, à Chamonix, explique avoir également « fait attention au nombre de tirages » : « Je les ai réduits d’un quart, passant de 2 500 à 1 500 tirages en moyenne, car il vaut mieux réimprimer que de se retrouver avec des stocks. » La maison d’édition avait doublé son chiffre d’affaires entre 2018 et 2019, passant de 200 000 à 400 000 euros. La crise sanitaire a porté un coup d’arrêt à cette croissance, Catherine Destivelle estimant une baisse « de 20 à 30 % » du chiffre en 2020.

Le numérique : plutôt un succès

De son côté, Xavier Wargnier, qui dirige les éditions Kawa à Annecy (livres marketing et innovation pour les professionnels), pointe « un marché inondé par une surproduction » et décrit « un secteur dépendant des diffuseurs et où la gestion des retours (invendus) fait que la trésorerie des éditeurs est durablement impactée ». « Pour pallier ce problème, (ceux-ci) sont tentés de sortir plus de livres pour payer les frais des précédents », explique-t-il : un système « qui ne doit plus durer », selon lui.

Globalement, confinements obligent, les ventes sur les sites marchands des éditeurs se sont plutôt bien portées, allant de +30 % pour les éditions Kawa à +80 % pour Paulsen-Guérin. La maison d’édition, spécialisée dans les livres de montagne et implantée à Chamonix, fait figure d’exception : « Nos ventes numériques se sont très bien portées, et 2020 a été plutôt une bonne année pour nous, avec un chiffre d’affaires de 2,1 millions d’euros, en augmentation de 15 % », constate la directrice générale, Isabelle Parent.

Suivant la spécialité et la stratégie des éditeurs, les ventes de livres numériques (ou e-books) ont également augmenté. C’est le cas pour Actu SF (+50 %), Paulsen-Guérin (+80 %) et pour La Fontaine de Siloé, éditeur historique de la Savoie. Son directeur, Olivier Perrier, détaille : « Nous faisons essentiellement du manuel scolaire, dont la tendance était déjà à la numérisation.

Celle-ci s’est accélérée durant l’année 2020, et notamment avec les nouveautés de la rentrée : deux tiers se sont vendus en papier, et un tiers en numérique, c’est trois fois plus qu’en 2019. Sur ces nouveautés, nous avions prévu une hausse de 30 % de notre chiffre d’affaires mais, avec la crise, celui-ci est resté stable à 4 millions d’euros. »

En toute logique, les ventes par correspondance ont également augmenté et parfois même doublé. L’année 2020 aura révélé une envie d’évasion des lecteurs. Les livres sur l’alpinisme chez les éditions du Mont- Blanc, les livres de randonnée chez La Fontaine de Siloé, et les livres de trail et d’escalade chez Paulsen-Guérin ont rencontré du succès. Une envie qui pourrait bien se prolonger…

Le groupe Furet du Nord-Decitre s’en sort bien malgré la crise

«Pendant les confinements, les ventes ont fortement augmenté sur nos deux sites marchands, ce qui a fait doubler le chiffre d’affaires concernant l’e-commerce. Nous avons proposé 5 000 e-books gratuits, ce qui a également boosté le numérique. La tendance sur les ventes en numérique reste forte depuis », déclare Pierre Coursières, président du groupe Furet du Nord- Decitre. Le libraire rhônalpin Decitre (70 M€ de chiffre d’affaires, 11 points de vente, 400 salariés) a été racheté par Le Furet du Nord – libraire emblématique des Hauts-de-France – en 2019.

Avec 31 points de ventes disséminés sur trois régions (Hauts-de- France, Île-de-France et Rhône-Alpes), deux sites marchands et un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros, le nouveau groupe – qui a fêté ses deux ans d’existence en janvier – est le premier libraire succursaliste en France. Il est leader national en vente B to B et réalise plus de 50 % de son chiffre d’affaires grâce aux livres.

Pendant les deux confinements, il a perdu 80 % de son chiffre d’affaires habituel sur les mêmes périodes. « Environ 15 % de notre chiffre s’est fait grâce au click and collect, mais cela ne remplace pas nos points de ventes qui étaient fermés. Nous avons perdu 12 % du chiffre d’affaires annuel sur les magasins en 2020 », explique Pierre Coursières. Malgré tout, grâce à la hausse du numérique (« On constate une vraie volonté de se rapprocher de sites marchands locaux », note le président), le chiffre d’affaires global reste stationnaire.

« Beaucoup de personnes se sont remises à la lecture. Nous avons constaté une hausse de jeunes lecteurs dans nos magasins. Grâce aux confinements, ils ont redécouvert le plaisir de la lecture », poursuit-il. Mais l’année 2021 ne démarre pas bien pour Furet du Nord-Decitre. Depuis l’annonce de la fermeture des centres commerciaux de plus de 20 000 m2 (le 31 janvier dernier), 14 librairies sont fermées (dont trois points de vente Decitre) sur les 31 que compte le groupe.


Par Alexia Bontron

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