Montagne : la transition en pente douce

par | 31 mai 2021

Alors que le salon Alpipro va ouvrir ses portes les 9 et 10 juin à Chambéry, rassemblant tout l’écosystème de l’aménagement de la montagne, le sujet crucial de la transition des stations revient sur le tapis, après une saison blanche sans précédent, Sur fond de crise sanitaire et de réchauffement climatique qui menace l’avenir des stations de ski. Selon les spécialistes, il y a urgence à réinventer le futur. Oui, mais quand ?

Si la pandémie de Covid-19 a fait s’écrouler la montagne cet hiver et le précédent, générant une perte évaluée entre 5,2 et 6 milliards d’euros, elle a aussi révélé l’urgence de se mobiliser et de passer à l’acte. Au-delà des discours. Á une période où, il faut bien l’avouer, les acteurs de la montagne concentrent toute leur énergie sur leur business et la relance, bousculant la temporalité des actions à mener.

La fermeture des domaines skiables cet hiver a pointé – même si on le savait déjà – l’ultradépendance des stations au ski alpin, qui reste la seule activité véritablement rentable et capable de faire déplacer les foules. L’or blanc, encore et toujours.

Pour autant, cela ne suffit plus. Le tout-ski a atteint ses limites. Désormais, face au réchauffement climatique, la montagne doit faire face à deux grands défis, que sont la transition vers le développement durable et l’évolution des modèles touristiques vers un tourisme multi saisons, en développant des activités alternatives pour ne plus subir les crises. L’enjeu est de pouvoir continuer à vivre dans nos montagnes dans les décennies à venir.

Transition ou nécessaire adaptation ?

Sans le ski alpin, le modèle économique et touristique des stations tel qu’il existe n’est pas rémunérateur. Chiffres à l’appui. Car le ski est générateur de valeur et d’emplois. Se pose alors la question, plus prégnante, de la durabilité du ski.

Désormais, face au réchauffement climatique, la montagne doit faire face à deux grands défis, que sont la transition vers le développement durable et l’évolution des modèles touristiques vers un tourisme multisaison, en développant des activités alternatives pour ne plus subir les crises. L’enjeu est de pouvoir continuer à vivre dans nos montagnes dans les décennies à venir.

« Et surtout comment répondre aux impératifs de durabilité des pratiques réclamés par la société ? Quelle offre proposer ? », soulève Laurent Reynaud, directeur général de Domaines skiables de France.

Acteur majeur de cet écosystème, le syndicat professionnel a mis le pied à l’étrier en octobre 2020, lors de sa dernière assemblée générale, en actant 16 éco-engagements en faveur du développement durable, pris en concertation avec les 238 exploitants de remontées mécaniques.

Objectif affiché : réduire les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2037. « Ce socle commun à toute une profession est la démonstration de notre capacité à exploiter les domaines skiables en tenant compte du changement climatique et des attentes des clientèles », plaide Laurent Reynaud. « Depuis leur création il y a quatre-vingts ans, le ski comme les stations de montagne n’ont cessé d’évoluer. Si l’évolution était davantage quantitative il y a trente ans, elle est dorénavant qualitative. »

Dans ce secteur, certains opérateurs se veulent proactifs. Exemple : le domaine skiable de Serre Chevalier dans les Hautes-Alpes, opéré par la SCV (Compagnie des Alpes), s’est engagé, dès 2016, à produire 30 % de ses besoins électriques en 2021.

Pour y parvenir, l’exploitant a fait le choix des énergies renouvelables et a investi 3,6 millions d’euros dans des panneaux photovoltaïques (1 420 installés sur 13 sites), des microéoliennes et deux sites hydroélectriques. Son directeur, Patrick Arnaud, réfléchit déjà à étendre la transition énergétique au-delà des pistes de ski.

La sortie du tout-ski passera par… le ski

Reste que l’appréciation de l’ampleur des défis à relever et de leur temporalité n’est pas la même pour tous. « Dans le contexte actuel, sera-t-on capable d’arbitrer ? », s’interroge Mickaël Ruysschaërt, directeur de L’Agence Savoie Mont Blanc, déplorant le manque d’ouverture sur certains sujets. Et ce, alors qu’il organise, en ce moment même, trois mois d’audit et de commissions thématiques dans le cadre de la démarche collaborative Demain Savoie Mont Blanc pour, justement, au-delà de la reprise touristique vitale à court terme, engager la transition positive du territoire.

Pour ce spécialiste : « La diversification, c’est l’avenir. » Il insiste : « Nous devons ouvrir le sujet, structurer le ski et le renforcer, et, en parallèle, capitaliser sur les pratiques outdoor, valoriser la découverte, pour aller chercher d’autres typologies de clientèles. » Selon lui, faire grandir le modèle implique de faire appel à l’intelligence collective.

Certaines stations l’ont compris et s’engagent. Plus que désaisonnaliser en élargissant les saisons et multiplier les activités tout au long de l’année, elles ont fait de la transition leur cheval de bataille. C’est le cas notamment de La Clusaz, station village de 1 800 habitants où le tourisme génère 2 000 emplois directs et indirects. « Depuis deux ans, nous travaillons tous ensemble pour bâtir un nouveau modèle et pouvoir vivre sur notre territoire dans les cinquante années à venir, avec du travail et de l’eau au robinet », explique Jean-Philippe Monfort, directeur de l’office de tourisme.

Au programme : le tourisme quatre-saisons, en imaginant de nouvelles formes d’attractivité pour créer les conditions d’une fréquentation à l’année. La station a lancé un schéma directeur, bientôt opérationnel, pour entamer sa diversification touristique et engager les actions et investissements nécessaires. « Ce sera la colonne vertébrale de notre transition », souligne Jean-Philippe Monfort, précisant que la sortie progressive du tout-ski sera financée par le ski. La station se fait accompagner par un consortium de cinq cabinets experts porté par Protourisme « afin de prendre les bonnes décisions au regard des acteurs et des tendances sociétales, et chercher d’autres sources de revenus ».

Car la crise a engendré aussi de nouvelles façons de vivre et de travailler, avec notamment la généralisation du télétravail. Pour capter cette clientèle d’actifs enclins à prendre de la hauteur pour télétravailler dans de meilleures conditions, des stations telles La Clusaz, Les Arcs, Megève ou encore Courchevel multiplient les espaces de coworking et de coliving et collaborent avec des plateformes ou agences dans ce sens, afin d’insuffler une autre manière de vivre à la montagne tout au long de l’année.

Raisonner vitalité économique locale

D’autant que la vitalité économique des territoires reste un enjeu majeur. Ou plutôt : comment « créer des richesses et des emplois à partir des flux touristiques ». C’est le credo du cabinet parisien Utopies, spécialiste de l’accompagnement des entreprises et des collectivités sur les stratégies de transition climatique et de résilience économique. Mandaté par différents territoires en Savoie Mont‑Blanc (dont Chamonix), son diagnostic est riche d’enseignements : toutes les dépenses touristiques créent de la richesse sur ces territoires mais 72 % de cette richesse et 65 % des emplois en sortent.

« Relocaliser les services et les emplois sur place est un vrai levier de résilience », pointe Élisabeth Laville, la fondatrice et dirigeante, pour qui « il est temps de réfléchir à un autre fonctionnement ». L’agence Poprock et Les Passeurs prennent en compte cette problématique pour imaginer des futurs possibles pour la montagne en 2050, à partir de scénarios scientifiques et sociologiques établis. Cette design fiction a pour but d’interpeller et faire réagir sur les choix qui sont faits aujourd’hui pour réinventer notre futur.

ZOOM Alpipro : quelle montagne demain ?

Comment répondre aux impératifs de durabilité des pratiques réclamés par la société ?

« Il sera le premier salon professionnel en France à rouvrir ses portes depuis mars 2020 », se réjouit à juste titre Bernard Volk, son fondateur et désormais consultant depuis le rachat du salon par SavoiExpo. D’ordinaire organisé en avril à Chambéry, ce rendez-vous dédié à l’aménagement de la montagne a dû être reporté pour raison sanitaire. Outre les 300 exposants et marques présents, 3 000 visiteurs – exploitants de domaines skiables, offices de tourisme, élus… –, sont attendus les 9 et 10 juin, selon les derniers chiffres avancés par l’organisation.

De fait, jusqu’alors privés de rencontres physiques, on peut penser que tous feront le déplacement. En parallèle, se tiendront deux autres temps forts : Digital Montagne, consacré au marketing touristique, et les Assises nationales des stations de ski et du tourisme en montagne. Et il y a fort à parier que les professionnels auront de nombreux sujets à aborder, après un hiver exsangue, pour assurer la relance de l’économie de montagne et réfléchir à l’avenir.

Des tables rondes seront organisées autour de différents thèmes, et plus spécialement celui de la transition vers d’autres modèles plus durables pour construire, aujourd’hui et demain, la montagne autrement.

FOCUS : La Compagnie des Alpes crée un outil de modélisation pour gérer les domaines skiables demain

Ce nouvel outil de prédiction de l’enneigement des massifs baptisé Impact, créé par la Compagnie des Alpes (CDA), permet de visualiser l’évolution des domaines skiables, à partir de cartes 3D, jusqu’en 2100. Il s’appuie sur les données fournies par Météo France – évolution des températures, limite pluie/neige… – et en agrège d’autres (topologie, exposition des versants…) produites par les exploitants, nivologues et experts du groupe. Résultat : l’enneigement naturel de chaque domaine skiable ou massif peut être modélisé par carrés de 70 x 70 m, mois par mois, sur des pas de temps de vingt ans, en distinguant les années moyennes et les deux pires années.

Modélisation d’un massif indiquant l’enneigement en décembre et février, sur la période 2020-2040.

Cette étude est complétée par une projection des créneaux de froid propices à la production de neige de culture pour compenser la neige naturelle. Pour la CDA, qui travaille à la création de cet outil depuis dix mois, « l’intérêt majeur est de pouvoir anticiper la stratégie à long terme en matière d’investissements sur les domaines skiables », explique son directeur général adjoint, Loïc Bonhoure, qui investit en moyenne 10 millions par an dans chacun de ses sites. Il ajoute : « Et quand il s’agit de changement climatique, il est important de savoir de quoi on parle et de maîtriser l’espace-temps avec pragmatisme. »

Á partir de ces cartographies et des scenarios qui en découlent, les exploitants sauront désormais quelle capacité d’enneigement sera nécessaire, où placer les enneigeurs, quel type d’appareil choisir (télécabine ou télémix si le retour skis au pied se complique), les pistes à exploiter… « Les DSP durant en moyenne trente ans, il faut intégrer maintenant ces études pour s’adapter aux hivers à venir, et engager la diversification l’été pour mieux résister aux hivers creux. » Cet outil de modélisation, testé dans le Grand Massif et à Tignes, est en cours de déploiement sur tous les sites de la CDA. Le leader mondial des domaines skiables entend également partager cette connaissance, en proposant ce service aux exploitants intéressés.

ZOOM : Les stations lancent des initiatives pour devenir plus vertes


Á Tignes, les copropriétaires d’une résidence vendent le dernier étage à un promoteur pour financer la rénovation.

Les stations aussi veulent prendre part à cette bataille contre le réchauffement climatique en réduisant leur empreinte environnementale. Dans leur ligne de mire : la décarbonation des transports et des bâtiments, les principaux postes énergivores. Certaines – Avoriaz, Val d’Isère, Courchevel, Le Corbier, La Clusaz… – réalisent leur bilan carbone pour connaître le poids environnemental de leur économie touristique sur le territoire et engager des actions concrètes.

Aux Arcs, le maire Guillaume Desrues veut agir sur la mobilité, car 57 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) sont issues des transports dans la vallée de la Tarentaise, contre 25 % en moyenne sur les autres territoires : « D’ici à 2030, nous ambitionnons de doubler le nombre de clients arrivant en train, pour atteindre les 40 %. » De quoi limiter les flux de voitures. Dans ce sens, l’édile a requalifié le funiculaire électrique reliant Bourg-Saint-Maurice à Arc 1600 – jusqu’alors considéré comme une remontée mécanique – en transport urbain. Les tarifs ont été divisés par trois pour favoriser son usage. Une alternative d’avenir si l’on considère les nombreux projets d’ascenseurs valléens qui fleurissent à la montagne.

Côté immobilier de loisirs, qui génère 27 % des émissions de GES des stations, la tendance est à la réhabilitation plutôt qu’à la construction. Mieux : rénover ces fameuses passoires thermiques qui font exploser les notes de chauffage et d’énergie va devenir obligatoire. De fait, les professionnels s’attellent à l’ouvrage. Eneos, cabinet d’études et d’architecture à Chambéry, a fait de la transition énergétique des bâtiments sa spécialité. « Nous rénovons pour préserver des lieux de vie, les rendre plus confortables et plus économes en ressources », confirme son cofondateur Luc Flye Sainte-Marie.

Les stations aussi veulent prendre part à cette bataille contre le réchauffement climatique en réduisant leur empreinte environnementale.

« C’est un énorme chantier que de maintenir l’existant. D’autant que 75 % des lits touristiques à la montagne sont en copropriété, ce qui ne facilite pas la prise de décision », poursuit le dirigeant, régulièrement sollicité pour faire des audits globaux partagés afin de trouver le meilleur scénario de rénovation possible. « Nous préconisons l’innovation collaborative en impliquant en amont l’ensemble des propriétaires. » Comme aux Menuires, où il accompagne la rénovation d’une copropriété de 99 appartements datant de 1969, en termes d’aménagements, devenus vieillissants, mais aussi d’énergie. Autre chantier à Tignes, où des copropriétaires ont cédé le droit à construire à un promoteur pour ériger un étage supplémentaire. « Cette opération est un levier financier pour leur permettre une rénovation globale de la résidence de 40 appartements », conclut l’entrepreneur.


Patricia Rey

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