Les coopératives citoyennes de production d’énergies renouvelables se multiplient. Leur ambition ? Faire évoluer le mix énergétique du territoire pour accélérer la transition écologique.
Par Matthieu Challier et Sophie Boutrelle
Alors que l’été a été marqué par une succession d’événements météorologiques qui a achevé de convaincre même les plus obtus des climatosceptiques que le changement climatique est une réalité avec laquelle il devient urgent de composer, les Pays de Savoie voient éclore de nombreuses centrales villageoises en cette rentrée.
Les centrales villageoises, ce sont ces sociétés coopératives qui associent citoyens, collectivités locales et entreprises pour porter des projets en faveur de la transition écologique, et notamment de la production d’énergies renouvelables. « L’idée, c’est de permettre aux citoyens de devenir acteurs de la transition énergétique sur leur territoire », explique Damien Gaucherand, directeur du pôle territorial de coopération économique InnoVales.
« De contribuer concrètement à la mutation du mix énergétique territorial et de participer à ce mouvement de transition dont nous avons besoin pour sortir de notre addiction à nos énergies carbonées. » Concrètement, une centrale villageoise est une société coopérative locale qui se donne pour mission d’installer et exploiter des panneaux photovoltaïques sur des toits publics et/ou privés. L’électricité produite est revendue au réseau pendant une durée de vingt ans, dans le cadre des tarifs fixés par la commission de régulation de l’énergie (CRE).
10,95 centimes : c’est le tarif d’achat du kWh garanti actuellement pour une installation photovoltaïque dont la puissance est comprise entre 9 et 36 kWc. Au-delà, le prix tombe à 10,95 centimes d’euros/kWh jusqu’à 100 kWc, puis à 9,52 centimes au-delà. Ces tarifs sont régulièrement revus à la baisse par la Commission de régulation de l’énergie, afin de tenir compte de l’amélioration continue des performances des panneaux solaires.
Une centrale villageoise prend le plus souvent la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) ou d’une SAS avec des statuts qui assurent son caractère citoyen et coopératif : lucrativité limitée, gouvernance citoyenne, service de l’intérêt général. En Haute-Savoie, la démarche a été impulsée par le Pôle métropolitain du Genevois français qui a sollicité en 2017 InnoVales, en sa qualité d’animateur de l’Espace Info Énergie et des plateformes territoriales de rénovation énergétique du département, pour l’aider à faire éclore ces centrales villageoises sur le territoire.
Après un long travail préparatoire et plusieurs réunions d’information, cela s’est traduit par la création en novembre 2018 de CitoyENergie (lire ci-dessous) dans le Genevois, puis de Chabl’Energies, depuis cette rentrée, dans le Chablais. Ces deux centrales villageoises doivent très prochainement être rejointes par Toits des cimes, qui porte un projet analogue pour la Vallée de Chamonix Mont-Blanc et qui organise une réunion d’information le 20 septembre, avant de tenir son assemblée générale constitutive mi-octobre. « Compte-tenu des spécificités topographiques de notre vallée, nous devrons être particulièrement vigilants dans la sélection des toitures, afin de privilégier celles qui offrent le meilleur productif », explique Christelle Annequin, une bénévole engagée dans le projet.
La prochaine étape, c’est la constitution de l’entreprise et la levée de fonds, préalable indispensable pour lancer les projets. Toits des cimes étudie également la possibilité d’installer des panneaux sur les remontées mécaniques de stations intermédiaires. Plus bas, le Pays Rochois et de Faucigny Glières se lance lui aussi dans l’aventure, avec une première réunion d’information programmée le 16 septembre.
« À terme, l’objectif est de créer un réseau de centrales citoyennes qui couvrirait toute la Haute-Savoie », détaille Damien Gaucherand. Et pourquoi pas tout les Pays de Savoie ? Car si le phénomène est encore embryonnaire en Haute-Savoie (une seule installation d’une puissance de 36 kWc en activité), la Savoie est plus avancée, avec pas moins de trois structures actives – Perle, EnergiCimes (lire plus bas) et Le Solaret – ou en émergence – Arlysolère et Eau & Soleil du lac.

Un impact marginal
Mais ces initiatives qui se multiplient ont-elles une chance d’avoir un impact réel sur le mix énergétique des territoires où elles sont implantées ? Prenons l’exemple des collectivités du Genevois français (Communautés de communes Arve & Salève et du Genevois, Annemasse Agglo) dont la consommation électrique globale s’élève à 785 GWh/an, et qui devraient prendre l’engagement d’augmenter leur production d’électricité photovoltaïque additionnelle de 173 GWh/an d’ici 2030.
Dans l’hypothèse où CitoyENergie arriverait à concrétiser la dizaine de projets en cours, elle produirait 0,54 GWh/an, et peut-être 1GWh/an dans le meilleur des cas à l’horizon 2030… L’impact resterait donc marginal. Pas de quoi décourager les parties prenantes qui croient aussi à l’importance de leur démarche pour sensibiliser la population sur les questions de transition environnementale et de sobriété énergétique. M. C.
Des centrales qui rayonnent sur le bassin chambérien
Officiellement née en 2013, Perle est l’une des plus anciennes centrales villageoises du territoire. La démarche citoyenne a déjà essaimé, en particulier sur Grand Chambéry avec EnergiCimes. Constituée en 2013, après plusieurs années d’études et de prospection, Perle figure parmi les centrales villageoises les plus anciennes sur le territoire. Ses promoteurs ? Des citoyens et des collectivités convaincues de la nécessité de lier production d’énergies renouvelables, retombées économiques locales, respect du patrimoine bâti et paysager.
Implantées sur des toitures de bâtiments, sur le secteur du plateau de la Leysse, ses dix premières installations ont fait l’objet de deux tranches d’investissement réalisées en 2013 et 2017. Elles représentent une capacité de 84 kwc qui a doublé en 2020 avec la mise en service de 5 installations supplémentaires sur les Bauges et l’Albanais. « Un petit groupe de citoyens réfléchissait à la création d’une centrale villageoise sur les Bauges. Plutôt que de lancer une nouvelle structure, il a été décidé de rejoindre Perle », explique Benoit Claude, son président.
Dotée d’un statut de société coopérative d’intérêt collectif, Perle réalise un chiffre d’affaires de 34 000 euros. Elle fédère actuellement une centaine de sociétaires qui ont investi entre 100 et 5 000 euros. « Les tarifs de rachat de l’énergie baissent régulièrement mais les coûts d’investissement également. Et nous nous montrons très rigoureux à toutes les étapes : choix des toitures, précision des estimatifs, suivi en direct de la production, etc. », continue Benoit Claude.
Lancée à l’été 2019 sur le périmètre de Grand Chambéry, EnergiCimes est hébergée dans les locaux de l’Association savoyarde pour le développement des énergies renouvelables (Asder). « Nous avons déjà deux installations en fonctionnement sur le toit d’Emmaüs à La Motte-Servolex et le bâtiment Supernova à Savoie Technolac.
Deux autres – sur l’extension de l’Asder et l’Institut national des jeunes sourds à Cognin – sont livrées et seront raccordées au réseau en septembre », indique Hugo Bérard, son directeur, bénévole comme la quinzaine de membres actifs qui se chargent des projets. Un peu moins de 300 000 euros ont été investis pour ces 4 centrales photovoltaïques représentant une puissance totale de 270 kwc. Le financement provient à 70 % des banques, les 30 % restant étant apportés par les 140 sociétaires de la société. Une cinquième installation sera réalisée en 2022 sur la toiture de la salle des Pervenches à La Motte-Servolex. S. B.
______________________________________________________________________________________________________________________________________
Une trentaine d’adhérents pour Eau & Solaire du Lac
Fondée en janvier 2021 par 5 à 6 acteurs issus du monde des énergies renouvelables, Eau & Solaire du Lac rassemble déjà une trentaine d’adhérents. Soutenue par la communauté d’agglomération et la plupart des communes déjà rencontrées, elle espère lancer d’ici fin 2021 un premier appel de fonds pour la création d’une première centrale photovoltaïque. Son ambition est de créer 3 à 4 centrales photovoltaïques et deux installations hydrauliques. « La difficulté n’est pas de trouver des financeurs mais d’avoir suffisamment de personnes pour porter les dossiers, précise Yann Marcilloux, l’un de ses fondateurs. Notre parti pris serait plutôt de créer un poste de salarié au sein d’une société par actions simplifiée qui fonctionnera à la manière d’une entreprise libérée. » S.B.
_____________________________________________________________________________________________________________________________________
Un premier projet de 9 kw pour Arlysolaire
L’association Arlysolaire espère avoir finalisé pour fin 2021 la création de sa société coopérative d’intérêt collectif. L’objectif de sa présidente, Aurélie Tornier, est de concrétiser un premier projet de centrale photovoltaïque pour le printemps 2022. La première toiture identifiée, à Villard-sur-Doron, devrait accueillir une centrale de 9Kw. S.B.
CitoyENergie, première centrale villageoise de Haute-Savoie
Constituée en novembre 2018, CitoyENergie est la première centrale villageoise de Haute-Savoie. Rayonnant sur leGenevois français (communautés de communes Arve &Salève et du Genevois, Annemasse Agglo), cette SAS à gouvernance citoyenne est animée par un comité de gestion d’une dizaine de membres bénévoles. Ses 165 actionnaires ont chacun acheté une part pour au moins 100 euros. Elle dispose de 135 000 euros de fonds propres, auxquels viennent s’ajouter 182 822 euros de subvention de la Région.
Son premier projet s’est concrétisé en février avec l’installation, sur le toit du gymnase intercommunal à Reignier, de 180 m2 de panneaux photovoltaïques, correspondant à une puissance de 36 kWc. Cet investissement de 52 000 euros (dont 8 000 euros de fonds propres) devrait permettre de produire 43 000 kWh par an – soit l’équivalent de la consommation de 14 foyers (hors production chauffage et eau chaude) – pour un chiffre d’affaires estimé de 5 200 euros la première année. Une deuxième installation d’une puissance de 65,3 kWc (soit une production estimée de 72 000 kWh/an, correspondant à la consommation de 24 foyers) doit être implantée courant septembre sur la toiture de la fromagerie Bouchet, au Châble-Beaumont, moyennant un investissement de 72 000 euros (dont 12 900 euros de fonds propres). Une dizaine d’autres projets sont en cours d’étude et un nouvel appel d’offres doit être lancé cet automne. M. C.
La Solaire du Lac fait école
Créée par des citoyens engagés dans la transition énergétique, la Solaire du Lac exploite déjà 4 installations à Annecy. Une cinquième est en cours de réalisation tandis qu’elle soutient le lancement de groupes locaux. Officiellement créée en janvier 2019, la Solaire du lac est issue des Cigales du lac, une société de capital-risque de proximité qui recherchait des projets dans lesquels investir une partie de ses fonds. Cette société coopérative d’intérêt collectif s’inscrit dans une démarche citoyenne, en faveur de la transition énergétique (sobriété et accroissement de la part des énergies renouvelables dans le mix) d’abord portée par une association de préfiguration.
Six mois après son lancement officiel, elle inaugurait sa première installation photovoltaïque, sur le toit du CAUE74 à Annecy. Bien exposé, le site disposait déjà d’une centrale et d’un contrat de rachat de l’énergie aux conditions particulièrement avantageuses mais il était défectueux. L’accord conclu avec le CAUE74 a permis de démanteler les panneaux existants et d’en installer de nouveaux. Il prévoit une exploitation par la SCIC pendant dix ans, jusqu’aux termes du contrat de rachat signé avec EDF, puis une restitution au CAUE qui autoconsommera l’énergie produite.
« La Solaire du lac qui s’appuie sur le cadastre solaire réalisé par la ville d’Annecy a financé en 2020 et 2021 trois autres installations sur les écoles de La Plaine et Novel ainsi que le centre de la Turbine », rappelle Valériane Cabrera, membre du conseil coopératif et responsable de la commission communication. Une cinquième centrale est en cours de réalisation sur la toiture du nouveau bâtiment de l’entreprise Snowleader, dans le secteur du Centre hospitalier Annecy Genevois à Epagny- Metz-Tessy. Les 438 mètres carrés de capteurs solaires installés ont une puissance de 97 kwc.
« Il est important pour nous de fédérer un maximum d’acteurs locaux tant au niveau de la réalisation des travaux que du conseil coopératif. Retprod, une filiale de la Régie d’électricité de Thônes, est par exemple la 6e entreprise à nous rejoindre en tant que sociétaire », poursuit Valériane Cabrera. À partir de janvier 2022, la Solaire du Lac – qui n’adhère pas à l’association des centrales villageoises – transférera son premier contrat de rachat d’énergie auprès d’Enercoop, une coopérative aux valeurs similaires. Elle s’attache par ailleurs à impulser des groupes locaux afin de porter des projets sur des territoires voisins d’Annecy. S. B.
____________________________________________________________________________________________________________________________________
Centrales villageoises : « 57 territoires engagés ou en émergence au niveau national »
L’Association des Centrales villageoises a été officiellement créée en 2018 pour officialiser une démarche initiée de manière expérimentale à partir de 2010. « Nous fédérons des collectifs citoyens bénévoles aux profils variés et qui adhérent à notre charte éthique« , indique Jacques Régnier, son président. Hébergée au sein d’Auvergne-Rhône-Alpes Energie Environnement à Villeurbanne, la structure fonctionne avec un salarié et demi. Attachée à la proximité avec les territoires et leurs acteurs (citoyens et collectivités), elle développe des outils au services des 57 territoires engagés ou en émergence en France. « Nous sommes attachés à un mode de financement citoyen en complément de prêts bancaires. L’assemblée générale des actionnaires de chaque centrale décide de reverser des dividendes (les taux de rémunération oscillent entre 2, 5 et 3%) ou de réinvestir dans des projets porteurs de sens« , poursuit Jacques Régnier. S. B.
0 commentaires