Relocalisations : produire ici, entre mythe et défi

par | 29 décembre 2020

La Covid-19 va-t-elle jouer un rôle déterminant dans les relocalisations de production ?

«La relocalisation ? C’est des beaux discours. Mais la seule chose qui compte au final, c’est le coût. » En 2013, le groupe Rossignol a rapatrié la production de certains skis, de l’Asie vers son usine de Sallanches. Sept ans plus tard, il supprime 55 des 124 emplois de l’usine et… délocalise vers l’Espagne. Entre-temps, bien sûr, le marché du ski a continué d’être bouleversé et deux hivers covidés finissent de le laminer.

Pour autant, aux yeux de Carlos Cardoso, élu CGT du site, ces deux décisions tiennent à des questions de coûts : « Les fonds d’investissements qui détiennent le capital ne sont pas des mécènes : s’ils ont agi de la sorte en 2013, c’est qu’entre automatisation et prix du transport, Sallanches était redevenue rentable. Mais dans le contexte d’aujourd’hui, elle ne l’est plus. » Une simple histoire de coût, la relocalisation ? Pas si l’on écoute le président de la République.

« Il nous faut produire davantage en France (…) pour réduire notre dépendance, et donc nous équiper dans la durée », martèle-t- il le 31 mars. À ce moment-là, la France confinée manque cruellement de masques. Or, une des dernières usines françaises à en produire a été délocalisée en 2018 en Tunisie par son actionnaire américain. De quoi remettre le mot “relocalisation” au coeur des discours. Et pas seulement des discours : le plan de relance (100 milliards d’euros) fait la part belle à la réindustrialisation et comprend même un programme spécial relocalisation.

1 Alphi est l’un des premiers bénéficiaires savoyards du plan de relance avec son projet de relocalisation et de modernisation. 2 « J’y crois plus ! » Convaincu que l’usine Dynastar (Rossignol) n’a plus d’avenir, Carlos Cardoso (CGT) a demandé à partir dans le cadre du plan social. 3 L’ADTP 74, à Annecy (comme Savoy International à Cluses), participe à la relocalisation de la fabrication de masques en France.

L’exemple d’Alphi

Ses effets sont d’ailleurs rapides et, parmi les premiers lauréats des appels à projets gouvernementaux, on retrouve le Savoyard Alphi, spécialiste des solutions de coffrage et d’étaiement. « Nous allons relocaliser une partie des éléments que nous faisons actuellement fabriquer en Italie », explique son PDG, Alexandre Souvignet.

« Pas seulement des emplois directs »

Portant initialement sur la création d’un atelier de réparation, le projet s’est étoffé au fil du temps, englobant relocalisation de production, nouvel atelier, modernisation… pour un investissement de 2,6 millions d’euros (M€) et la création de 16 nouveaux emplois à la clef (Alphi affiche 98 emplois à fin 2020 ; pour 27 M€ de chiffre d’affaires).

« Le projet est antérieur à la crise sanitaire, reconnaît le PDG, mais les aides de l’État (0,8 des 2,6 M€ programmés) sont un puissant accélérateur, surtout vu le contexte. De plus, les fonds apportés ont un effet de levier, ils rassurent les banques. Et, au-delà d’Alphi, avec ce projet, nous allons faire travailler des entreprises régionales pour la construction, l’installation, l’équipement… Pour nous, c’est une opportunité, c’est vrai, mais la mesure a vraiment du sens en termes de relance de l’économie. »

Cerise sur le gâteau, l’économie réalisée grâce à l’aide publique va aussi accélérer les investissements d’Alphi dans le photovoltaïque (toiture des sites) : la transition énergétique, autre pilier du plan de relance, n’est donc pas loin. Ne pas se focaliser sur les emplois directs lorsque l’on parle relocalisation ? Annabel André-Laurent, vice-présidente de la Région à l’Économie, abonde : « Il faut prendre en compte tout l’écosystème : les sous-traitants, les cotraitants, les fournisseurs… Mais aussi les effets induits : une entreprise qui relocalise un siège ou de la production, c’est un signal positif qui vient renforcer l’attractivité du territoire.

Sans oublier l’innovation : Chamatex est en train de construire une usine de chaussures de sport en Ardèche. Elle sera très automatisée mais va tout de même créer plusieurs dizaines d’emplois directs. Surtout, elle est le fruit du travail de plusieurs entreprises régionales [ndlr : Chamatex, Salomon, Babolat, Millet] qui ont su se parler et innover ensemble. » Pour exemplaires qu’ils soient, les projets de relocalisation de ce type demeurent peu nombreux. Sur ses sites web, Aura en met en avant une demi-douzaine, d’importance inégale. Dont la relocalisation du siège social du cimentier Vicat, actuellement basé… à La Défense.

« Le coût horaire moyen du travail [en Aura] est inférieur de 23 % à celui de l’Île-de-France », vante d’ailleurs invest-in-auvergnerhonealpes.com sur sa page dédiée à la relocalisation. Pas certain que cette approche soit partagée par Bercy. Si l’on s’en tient à une définition plus internationale (de l’étranger vers la France), le cabinet Trendeo recense seulement 144 relocalisations depuis 2009, contre… 466 délocalisations sur la même période. Mais ça, c’était avant le monde d’après…

4 Chamatex, avec Salomon, Babolat et Millet, est en train de construire en Ardèche une usine de fabrication de chaussures de sport. 5 La relocalisation du siège social de Vicat (ici la conférence de presse d’annonce), fierté de la Région présidée par Laurent Wauquier. 6 Le site General Electric d’Aix-les-Bains devrait bénéficier, en 2021, du transfert d’activités de sites suisse et français. Mais plus que de relocalisation, c’est de restructuration qu’il est question. 7 Les usines de décolletage ont souvent ouvert des sites à l’étranger, mais sans pour autant fermer leurs sites français. Plurilocalisation n’est pas forcément délocalisation.

Éric Renevier
Crédit image à la une : Jorge Gonzalez sur Unsplash


ECO « Rétro 2020 »

Cet article est issu de notre numéro « La Rétro 2020 ».

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