À l’horizon 2024,les bureaux de Chamonix et de Bourg-Saint-Maurice de Météo-France ne devraient plus exister. Un vent général de contestation se lève.
«En période de gros chassé-croisé de vacanciers, le soutien des prévisionnistes locaux de Météo-France m’est essentiel pour que je sache si je dois ouvrir des gymnases pour loger les gens à Bourg-Saint-Maurice. Cela a été le cas pendant quatre week-ends d’affilée en début d’hiver.» Michel Giraudy, maire de Bourg-Saint-Maurice, se voit mal devoir se passer de cette collaboration quasi quotidienne. Pourtant, à l’horizon 2022, le bureau borain de Météo-France devrait être fermé. Telle sera la conséquence de la réorganisation du service au plan national. Même chose à Chamonix, où l’édile Éric Fournier tempête également contre cette décision. Tous deux ont d’ailleurs envoyé, le 2 février, un courrier commun au ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, pour lui demander de revoir ses prévisions catastrophiques.
Réorganisation
Ils y rappellent les spécificités des zones de montagne et le risque avalanche important qui a par exemple nécessité «à Chamonix, de réunir plus de vingt fois la commission municipale de sécurité afin d’évaluer le risque et d’appliquer un certain nombre de mesures de prévention exceptionnelles par leur ampleur – plus de 100 chalets évacués, près de 2000 personnes confinées dans leur habitation lors de l’épisode des 20 au 23 janvier derniers». On ne rigole pas avec les avalanches, ni avec les glissements de terrain, inondations, coups de vent, qui, avec le dérèglement climatique, ont une fâcheuse tendance à se multiplier, prenant ici des tours inattendus en raison des fortes pentes.
L’objectif de la direction de Météo-France est de regrouper les prévisionnistes à Grenoble (pour la partie neige) et à Lyon (pour les prévisions météo sur les deux Savoie, l’Ain, le Rhône, la Loire, l’Ardèche, la Drôme et l’Isère). « Depuis 2008, explique Jérôme Lartisant, secrétaire général du Syndicat national des ingénieurs et techniciens de la météorologie Force ouvrière (SNITM FO), 800 personnes sont parties et une cinquantaine de centres ont été supprimés. D’ici 2022, la direction prévoit la suppression de 95 ETP par an, soit 475 postes au plan national.» Toutes les régions, dont la nôtre, sont concernées. La réorganisation a d’ailleurs déjà commencé.
«Depuis octobre 2016, précise Serge Taboulot, représentant FO au conseil d’administration de Météo-France, les quatre centres des Alpes du Nord n’en font qu’un, dont la direction est à Grenoble. » Bourg, Chamonix, Chambéry et Grenoble ont fusionné. Un mouvement qui a occasionné la fermeture du site chambérien. «Parallèlement, on a subi une baisse d’effectifs de près de la moitié : nous étions plus de 30 il y a 3 ans, contre 16 aujourd’hui», poursuit le syndicaliste. Météo-France n’a même pas eu besoin de licencier, seuls les départs en retraite n’ont pas été remplacés. «La moyenne d’âge du personnel est de 54 ans…»
Localement, c’est à Bourg-Saint-Maurice que les effets de ces non-remplacements se feront sentir le plus vite. Dès la fin de l’année, Patrice Adde, référent du bureau, devrait faire valoir ses droits à la retraite. Ses collègues se retrouveront alors à trois pour faire des prévisions météo et nivologiques sept jours sur sept. Et en 2022, quand tout le monde sera retraité, le bureau n’aura plus qu’à fermer ses portes.
Expertise de terrain
La situation est identique à Chamonix, même si l’échéance de fermeture est retardée de deux ans au vu de l’âge des cinq spécialistes. « Si nos bureaux sont fermés, prévient Patrice Adde, on va perdre une partie des connaissances locales très fines qu’on a actuellement et qui ne s’acquièrent pas par la lecture de documents, mais par l’expérience. Ce sera plus délicat de réaliser des prévisions depuis Grenoble. Et puis, comment continuer à aller deux fois par semaine sur le terrain depuis Grenoble ? » Des sorties précieuses tant pour les pisteurs-secouristes des stations que Météo-France forme aux relevés, que pour les ingénieurs et techniciens eux-mêmes qui gardent ainsi un pied dans la neige bien concrète.
« Je crains qu’à l’avenir, avec cette restructuration, il y ait plus d’accidents en montagne, lâche Gilles Rion, météorologue et nivologue à Chamonix. Dans ma vie, j’ai sauvé plein de gens, mais je ne sais pas qui… En revanche, je sais aussi qu’une mauvaise prévision peut avoir de graves conséquences. »
En montagne, la prévision météo n’est pas simplement vouée à savoir si on prend son parapluie le matin avant de partir. Elle sert plutôt à savoir si l’on doit partir ou pas.
Une aide précieuse pour tous
Des stations qui veulent savoir quelles jonctions ouvrir en fonction du travail des vents, qui veulent connaître la limite pluie-neige ou les températures pour prévoir la fabrication de neige arti cielle, qui hésitent à envoyer les équipes de damage trop tôt, qui doivent sécuriser les pistes via des déclenchements préventifs… Des agriculteurs soucieux de connaître les conditions pour emmontagner ou démontagner, pour couper les foins… Des entreprises du BTP qui travaillent en extérieur. Les services d’entretien des routes et de déneigement sur les dents en hiver. Les guides et autres professionnels de la montagne et du tourisme dont l’activité est conditionnée par la météo. Et les élus des zones de montagne, responsables de la sécurité sur leur territoire. Tous ont besoin de prévisions locales précises. « Nos départements sont à 200 % météo-dépendants », conclut Patrice Adde, référent du bureau de Bourg-Saint-Maurice.
Par Sylvie Bollard
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