TRANSITION ÉNERGÉTIQUE / Qualité de l’air, géothermie, transports… les mesures communes se multiplient entre la France et la Suisse, dans un partenariat gagnant-gagnant. Le point sur le sujet alors que Genève accueille les Assises européennes de la transition énergétique, du 30 janvier au 1er février.
Depuis 10 ans, la mise en place du projet d’agglomération franco-valdo-genevoise du Grand Genève a favorisé l’émergence de mesures communes en matière de transition énergétique alliant mobilité, environnement et aménagement du territoire de part et d’autre de la frontière. Ce territoire est aujourd’hui un moteur de la coopération France-Suisse qui s’est développée, avec comme toile de fond l’émergence des énergies alternatives.
Le projet de territoire Grand Genève 2016-2030, signé il y a tout juste un an, a fixé l’objectif de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre et d’atteindre une part d’énergies renouvelables de 40 % (32 % actuellement) d’ici à 2030.
Le refuge du Goûter, à 3 835 m d’altitude dans le massif du Mont-Blanc, préfigure une nouvelle génération de bâtiment avec sa structure bois légère et résistante, son recours aux énergies renouvelables (solaire, photovoltaïque, biomasse), ses technologies innovantes (gestion de l’électricité à distance, cogénération, fondoir à neige, traitement des eaux usées…).
COOPÉRER POUR RÉUSSIR
Symbole de cette coopération, la tenue du 30 janvier au 1er février 2018 des Assises européennes de la transition énergétique sur le territoire du Grand Genève. Créées en 1998 à l’initiative de la Communauté urbaine de Dunkerque et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), ces Assises sont dédiées à l’engagement des collectivités territoriales dans l’utilisation d’énergies renouvelables. Cette année, plus de 3 500 participants vont échanger et débattre des enjeux liés à cette thématique sous le thème “Coopérer pour réussir”, avec une centaine d’événements répartis sur trois jours.
« Ces Assises nous permettent de partager nos expériences, de contribuer à une région dynamique et innovante, notamment dans le domaine de la recherche des énergies propres », explique Luc Barthassat, conseiller d’État chargé du département de l’Environnement. Il estime que la coopération transfrontalière en matière de transition énergétique est essentielle : « La force du Grand Genève repose sur les collaborations régionales. Nous travaillons chaque jour pour renforcer l’impact de nos actions communes et il y en a énormément, notamment la qualité de l’air avec le Pact’air, la géothermie et le transport. »
ÉNERGIES RENOUVELABLES : LES NOMBREUX ATOUTS DU TERRITOIRE
Car le Grand Genève et l’ensemble du bassin lémanique sont richement dotés au niveau des ressources d’énergies renouvelables. Notamment en eau, avec de nombreux lacs et rivières, qui sont autant de ressources existantes et potentielles en matière d’hydroélectricité. Les forêts présentent également une large opportunité pour la filière bois, sans oublier les possibilités offertes par les toits solaires, la méthanisation (qui permet de produire du biogaz à partir des déchets organiques), mais aussi par la géothermie. Dans ce dernier domaine, notre territoire semble être extrêmement bien pourvu.
La géothermie constitue d’ailleurs une priorité de la politique énergétique du Canton de Genève, qui a mis en place le plan Géothermie 2020. Objectif ? Sélectionner les endroits les plus propices et passer à une phase d’exploitation d’ici 2020. Un projet qui donne matière à une collaboration transfrontalière : le massif du Jura est un milieu calcique où l’eau peut s’enfoncer très profondément dans le sous-sol et monter en température avec la chaleur interne de l’écorce terrestre. Elle peut atteindre entre 70 et 100 degrés en fonction de la profondeur. L’exploitation de l’eau à 70 degrés permet de produire de la chaleur, alors que l’eau au-dessus de 100 degrés peut créer de l’électricité lorsqu’elle est vaporisée pour faire tourner des turbines. Mais il reste encore beaucoup d’efforts à fournir pour développer l’exploitation des énergies renouvelables : en France, fin 2015, leur part dans la consommation finale d’énergie était de 14,9 %.
En Suisse, 26 % de l’énergie était renouvelable en 2016, avec en grande majorité de l’énergie hydraulique, selon des chiffres de Office fédéral de l’Énergie. Ces efforts en direction de la transition énergétique sont impulsés par des lois nationales et fédérales. – En Suisse, la nouvelle loi sur l’énergie est entrée en vigueur au 1er Février 2018, avec une mise en oeuvre par étapes jusqu’en 2035. Elle fixe des objectifs de réduction, par rapport à l’an 2000, de la consommation énergétique (16 % d’ici à 2020, 43 % d’ici à 2035) et électrique (de 3 % d’ici à 2020, de 13 % d’ici à 2035).
Un autre objectif est la diminution de la consommation moyenne d’énergie par personne. Celle-ci devra baisser de16 % d’ici 2020 et de 43 % d’ici 2035, toujours par rapport aux valeurs de l’an 2000. – En France, la loi de Transition énergétique pour la croissance verte (TECV) a été publiée en 2015. Elle prévoit que 23 % de l’énergie du pays soit renouvelable en 2020 et que cette part atteigne 32 % en 2030. Prévue également la réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 (par rapport à 2012) avec un objectif intermédiaire de 20 % en 2030.
FRANCE : DÉPLOIEMENT EN COURS DU PLAN CLIMAT-AIR-ÉNERGIE TERRITORIAL
Mais avant tout, cette transition énergétique est encouragée à l’échelle des communes, des départements et des cantons, afin que chaque territoire adopte une stratégie qui prenne en compte ses particularités. Ainsi, en France, chaque commune de plus de 20 000 habitants doit mettre en place un Plan climat-air-énergie territorial (PCAET), axé sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la dépendance énergétique et la limitation de la vulnérabilité climatique. Il est obligatoire depuis 2017 pour les intercommunalités de plus de 50 000 habitants et le sera pour les intercommunalités de plus de 20 000 habitants au 1er janvier 2019.
Chambéry, Annecy et Bourg-en-Bresse l’ont déjà mis en place. Il s’agit d’une démarche participative co-construite entre les décideurs, les collectivités, les acteurs socio-économiques, les associations, les entreprises et les habitants. Les communes sont soutenues dans cette tâche par plusieurs organismes, dont les Agences locales de l’énergie et du climat (ALEC). Elles sont nées à la fin des années 90 sous l’effet du programme européen SAVE soucieux de déployer des outils de gouvernance locale de l’énergie dans les pays de l’UE.
« Les ALEC sont un outil partenarial qui vise à mettre en oeuvre les politiques de transition énergétique sur un territoire d’intervention. Elles permettent à ce dernier d’élaborer son PCAET et de décliner localement les objectifs nationaux de transition énergétique tels qu’ils sont fixés dans notre législation et réglementation », explique Olivia de Maleville, coordinatrice de la Fédération des agences locales de maîtrise de l’énergie et du climat (FLAME). « Il y a un besoin d’opérationnalité et de planification. Les agences, en amont, accompagnent les collectivités dans leur mission de planification et dans la compréhension des grands enjeux stratégiques et prospectifs du territoire en matière de transition énergétique », ajoute-t-elle.
La société d’économie mixte Syan’EnR a par ailleurs été lancée à l’automne dernier en Haute-Savoie par le Syndicat des énergies et de l’aménagement numérique de la Haute-Savoie (Syane) pour favoriser le développement des énergies renouvelables. « Nous allons aider les communes en facilitant le financement et l’exécution d’une quinzaine de projets de production d’énergie renouvelable », explique Raymond Villet, Pdg de Syan’EnR et maire de Vers, en Haute-Savoie. « Nous bénéficions d’un capital d’un million d’euros. On travaille sur différents projets dans plusieurs domaines de production d’énergies renouvelables comme le solaire, la méthanisation, la géothermie et la micro hydroélectricité ».
Selon lui, il y a une prise de conscience de l’importance de la transition énergétique par les acteurs locaux : « Les communes veulent s’impliquer. Pour les générations futures, on ne peut pas continuer à brûler des matières qui ne se renouvellent pas. C’est une grosse machine qui se met en marche dans tous les domaines », ajoute-t-il, prenant l’exemple du Genevois français, qui s’est engagé dans une démarche territoire à énergie positive (TEPOS) à l’horizon 2050 afin de produire autant d’énergie qu’il en consomme.
EN SUISSE, DES INITIATIVES CANTONALES
En Suisse, les cantons établissent leurs propres stratégies pour promouvoir les énergies renouvelables. Le Canton de Genève a adopté en 2015 son plan climat cantonal, alors que celui du Valais a élaboré sa stratégie “Efficacité et approvisionnement en énergie”. Elle comprend un axe sectoriel “Énergie solaire photovoltaïque” affichant un objectif de production en 2020 de 180 GWh, correspondant à 7,6 % de la consommation d’électricité.
À Vaud, plusieurs mesures ont été mises en place dont l’obligation de produire au moins 20 % d’électricité renouvelable et au moins 30 % de l’eau chaude sanitaire à l’aide d’une énergie renouvelable pour les bâtiments neufs, ainsi qu’un soutien aux communes pour l’élaboration de concepts énergétiques communaux.
AIR ET PIC DE POLLUTION : GENÈVE TRANSPOSERA LA CIRCULATION DIFFÉRENCIÉE EN 2019
Alors que les efforts pour la transition énergétique s’intensifient en France comme en Suisse, la coopération transfrontalière s’accélère elle aussi, tout particulièrement en matière de qualité de l’air. « L’air est un patrimoine commun, il ne connaît pas de frontière : celui qu’on respire à Genève ou à Bonneville est le même. Notre santé dépend de cette qualité de l’air, donc du soin que le voisin va mettre à la préserver », explique Hervé Villard, chef de projet TEPOS pour le Genevois français.
Ce constat a mené à la création du Pact’air : « nous nous sommes mis autour de la table entre partenaires suisses et français, nous avons examiné les mesures que nous pouvions prendre pour améliorer la qualité de l’air puis nous avons identifié notre volet de protection sur la mobilité, l’habitat, les processus industriels, les procédés agricoles, etc. Ensemble, nous avons pu élaborer 33 actions, qui vont maintenant rentrer dans la phase de mise en oeuvre », explique-t-il. La majorité de ces mesures reste confidentielle à l’heure où nous écrivons ces lignes. Hervé Villard en révèle toutefois deux.
La première concerne la circulation routière : « Genève souhaite transposer ce qui se pratique en France sur la circulation différenciée, avec le certificat de qualité de l’air Crit’air », déclare-t-il. Ce système prévoit que chaque véhicule soit équipé d’une vignette affichant un numéro, de 1 pour les véhicules les moins polluants à 6 pour ceux qui le sont le plus. Lorsque l’on est dans un pic de pollution, il interdit les véhicules 6, 5, 4, de circuler. « Genève a été séduite et dès l’année prochaine, va mettre en place la circulation alternée en cas de pic de pollution ». Il sera ainsi possible, en cas de besoin, d’appliquer ce dispositif de part et d’autre de la frontière.
INSTALLATIONS DE CHAUFFAGE : ACCENTUER LE CONTRÔLE CÔTÉ FRANCE
La deuxième touche le contrôle des installations de chauffage : « cette fois-ci, c’est l’inverse, c’est la France qui s’inspire de ce qui se passe à Genève, où une politique assez ambitieuse de contrôle et de réglementation des installations de chauffage individuelles est en vigueur. Chaque année, il y a l’équivalent d’un ramoneur qui passe chez vous et vérifie que votre chauffage ne rejette pas dans l’air trop de polluants. En France, ce contrôle n’existe absolument pas ». Le Pact’air va ainsi oeuvrer pour sa mise en place dans le Genevois français.
« On va y aller graduellement, avec au départ des personnes volontaires pour tester, pour progressivement reproduire le succès de ce dispositif ». Pour Hervé Villard, il s’agit d’une première étape dans une coopération transfrontalière amenée à se renforcer : « Ce qui est intéressant, c’est de regarder ce que l’on fait de bien en France, ce que l’on fait de bien en Suisse, et de prendre le meilleur pour élever le niveau de chacun en se hissant sur le standard le plus exigeant ».
Romain Fournier
Source :
Ce dossier est issu de notre magazine L’Extension n°66 de février-mars 2018 :
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