Accidents du travail : les réactions des partenaires sociaux

par | 24 février 2020

En complément de l’article paru dans Eco Savoie Mont Blanc du 21 février 2020 sur les chiffres et les conséquences socio-économiques des accidents du travail et des maladies professionnelles en Rhône-Alpes, voici les réactions de différents partenaires sociaux.



Julie Gnuva (CPME) : « Pour bien travailler, il faut que les salariés soient bien »

Référente pour l’industrie dans la vallée de l’Arve au sein de la CPME 74, Julie Gnuva souligne les progrès réalisés en termes de prévention mais aussi les lacunes ou certaines incohérences du système et le manque de moyens.

« L’industrie a pris à bras le corps les questions de sécurité et de prévention des risques depuis très longtemps. Et cela se remarque d’ailleurs dans les statistiques régionales 2018 (l’historique des statistiques régionales est à télécharger sur le site de la Carsat Rhône-Alpes). La métallurgie affiche un indice de fréquence (nombre d’accidents pour 1 000 salariés) inférieur à la moyenne tous secteurs confondus (31,8 contre 38), la plasturgie et la chimie encore plus (24,2) », souligne d’emblée Julie Gnuva, convaincue que « pour bien travailler, il faut que les gens soient bien. »


Des barrières à la prévention

Les PME de la vallée sont « très pro-actives sur ces sujets, mais nous aimerions bien un peu plus d’accompagnement. » Et la dirigeante de Tonic Groupe de prendre son propre cas comme exemple. « Pour nos nouveaux locaux, j’ai voulu engager l’entreprise dans un Contrat de prévention avec la Carsat (NDLR : la branche de la Sécurité sociale qui traite notamment la santé au travail). Il y a eu deux visites de trois heures à chaque fois pour bien définir les actions à mener. Nous avons mis en place tout un tas de choses mais au final nous n’avons pas pu signer ce contrat car nous n’avons pas installé de barrière sur toit !, peste la représentante de la CPME. Je trouve cela incohérent : l’installation de telles barrières serait très couteuse alors qu’aucun salarié de l’entreprise n’y monte jamais et que les prestataires amenés à intervenir sur toit disposent d’une ligne de vie pour s’assurer ! »


Incohérences, inaptitudes, indemnités

Autre incohérence pointée par Julie Gnuva : « certaines aides [de la Carsat] sont conditionnées à des diagnostics réalisés par des professionnels agréés. Sur le principe, ça peut se comprendre. Mais le coût du recours à ces professionnels est élevé voire, dans certains cas, équivalent à l’aide promise. Pas très incitatif… »

Enfin, la dirigeante se montre dubitative face aux procédures de reconnaissance des maladies professionnelles. « Prenez les problèmes de canal carpien (poignet). Ils peuvent avoir diverses origines mais sont très souvent reconnus comme maladie professionnelle. Ce qui a pour conséquence de doubler le montant des indemnités de licenciement. Or quand l’inaptitude totale est constatée par la médecine du travail, le licenciement devient obligatoire… » De là à persuader certains employeurs que leur salarié manœuvre dans ce sens, il n’y a qu’un pas…


CPME volontariste, moyens limités

La représente de la Confédération des petites et moyennes entreprises  insiste : son organisation fait tout ce qu’elle peut pour sensibiliser ses adhérents aux problématiques de santé et sécurité au travail. Tant en interne qu’en partenariat avec les différents acteurs de la problématique (Carsat, médecine du travail…). Mais selon elle, les moyens manquent chez ces acteurs. « Il n’y a plus assez de médecins du travail dans le département. Le dispositif de prévention est donc moins efficace, déplore-t-elle. C’est d’autant plus regrettable que nos cotisations, elles, n’ont pas diminué : les entreprises paient toujours autant mais pour moins de service. »



Nathalie Deldevez (CFDT) : « Un niveau toujours préoccupant d’accidents du travail »

Secrétaire régionale de la CFDT, la syndicaliste souligne les coûts humains, sociaux et économiques des accidents de travail.

« Les accidents du travail demeurent à un niveau préoccupant, insiste Nathalie Deldevez, secrétaire régionale de la CFDT Auvergne-Rhone-Alpes. Avec des disparités par secteurs : du mieux dans l’industrie ou le BTP mais une forte augmentation dans l’aide à domicile ou le nettoyage. Ces accidents ont un coût humain mais aussi un coût social et économique. C’est 522 millions d’euros pour les seuls accidents du travail (NDLR : hors accidents de trajet et maladies professionnelles) en Rhône-Alpes. Et les journées d’arrêt équivalent à des dizaines de milliers d’emplois. Et ce sans même inclure les 11 000 licenciements pour inaptitude enregistrés au niveau de la grande région Auvergne Rhône Alpes. »

Bref, le coût en « réparation » (c’est le terme technique employé) est énorme et mieux vaudrait, selon la syndicaliste, « consacrer davantage de moyens pour plus d’efficacité en prévention. »

L’aide aux personnes à besoin d’aide

L’un des secteurs les plus touchés par les accidents du travail est l’aide à domicile. Et celui de l’aide aux personnes âgées dans les établissements spécialisés n’est guère mieux loti. Un constat qui attriste la représentante CFDT. « Les chiffres montrent que les problèmes de santé arrivent dès le milieu de carrière, pas seulement sur des salariées (ce sont très majoritairement des femmes) âgées. Or ce sont aussi, souvent, des personnes avec peu de qualification à la base. Leur reclassement dans une autre activité est donc d’autant plus problématique. »

Une fois le triste constat posé les pistes d’améliorations existent : sensibiliser et former, bien sûr ; « mais aussi développer les équipements spécifiques, pour le transport des personnes dépendantes par exemple ; et améliorer l’organisation du travail au niveau des déplacements routiers, des horaires de travail… », propose la syndicaliste.

CSE : quelle incidence sur les problématiques de santé

La réunion des ex-Comités d’entreprise (CE) et Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans les nouveaux Comités sociaux et économiques (CSE) sociaux et économiques a-t-elle une incidence sur les problématiques de santé ?

« Lier les conditions de travail et les conditions économiques a du sens, commente Nathalie Deldevez, mais c’est vrai qu’il y a un risque de voir les questions de santé et de sécurité et notamment la prévention des risques noyées dans le magma diffus de réunions trop denses. On commence à avoir des remontées de nos adhérents là-dessus. Mais le vrai souci c’est qu’à l’heure actuelle, près d’un tiers des établissements qui devraient normalement avoir un CSE n’en ont toujours pas… »



Rosa Da Costa (CGT) :   « Il faut être vigilant sur les risques psychosociaux »

En charge des questions de santé au travail au sein du comité régional CGT Auvergne-Rhône-Alpes, la syndicaliste revient sur le très lourd bilan des accidents du travail et maladies professionnelles.


Une hausse inquiétante

« Les chiffres de la Carsat témoignent de l’évolution de la sinistralité. D’abord entre les secteurs. Auparavant le BTP était en tête à la fois en fréquence et en gravité. Mais aujourd’hui des secteurs comme l’aide à domicile, le travail en établissements pour personnes âgées (Ehpad) ou le nettoyage connaissent des situations au moins aussi problématiques. Mais il y a aussi une évolution des chiffres, avec une reprise à la hausse des accidents du travail (+3,9% en un an) et des accidents de trajet (+2,7%) sur 2018. »

« Concernant les décès, l’évolution est aussi marquée : on passe de 51 à 56 morts suite à des accidents du travail (NDLR : le nombre de décès suite à des accidents de trajet, 27, reste identique à 2017) ce qui, traduit en pourcentage, fait presque +10%. »


L’aide aux personnes, secteur problématique

L’élue CGT rejoint le constat de sa consoeur de la CFDT sur le secteur de l’aide à domicile : « difficile de mettre en place une politique de prévention efficace. Les travailleuses de cette branche sont souvent isolées (peu de contacts avec des collègues, avec la direction ou des représentants du personnel), soumis à de nombreux trajets routiers, à des horaires atypiques, à une certaine forme de précarité aussi  avec de nombreux temps partiels. Et elles interviennent au domicile donc dans un cadre où les instances représentatives du personnel – quand il y en a ! – ne peuvent pas intervenir. »


Les risques psychosociaux, nouvelles sources d’inquiétudes

Un autre élément de la synthèse des statistiques 2018 de la Carsat Rhône-Alpes retient l’attention de la syndicaliste : « Le nombre de maladies professionnelles « hors tableau » a été multiplié par 4 entre 2014 et 2018. Dans le « hors tableau » on trouve tout ce qui ne figure pas dans les tableaux annexés au Code de la Sécurité sociale listant les maladies professionnelles reconnues (NDLR : en fonction de critère d’exposition et de durée d’exposition au risque). Ce hors tableau comprend notamment les risques psychosociaux. Cette évolution traduit selon moi un double phénomène. D’une part, une meilleure connaissance de ces maladies par les salariés, qui les font donc davantage reconnaître. D’autre part, une détérioration des conditions et du climat de travail : cette statistique c’est hélas un reflet de l’entreprise aujourd’hui. »



Marine Coquand (Medef) : « Nous travaillons beaucoup sur la prévention »

L’organisation patronale sensibilise ses adhérents pour réduire les accidents du travail. Elle souligne aussi les évolutions réglementaires qui ont pu avoir une influence sur les statistiques 2018 et insiste sur l’intérêt de mettre au profit des entreprises et des salariés, pour des actions de prévention, les excédents de la branche « arrêts de travail / maladies professionnelles » de la Sécurité sociale.

« Nous avons au Medef Savoie, en lien avec le Medef Aura (région), développé une politique de prévention auprès des chefs d’entreprise car nous souhaitons avant tout intervenir en amont, en prévention, plutôt que réparer. Avec la Carsat, les professionnels de santé ou même l’observatoire départemental de la prévention routière, nous organisons donc deux fois par an dans le département  des sessions de formation ou sensibilisation à destination du dirigeants ou des managers. »

En 2019, « les thèmes retenus étaient « la responsabilité civile et pénale du chef d’entreprise en matière de risques professionnels » et « la prévention du stress ». Cette année, c’est « santé du dirigeant : prévention du stress et performance » et « prévention routière en entreprise ». Sur ce dernier thème, il faut rappeler que nous accompagnons aussi les entreprises dans l’élaboration et la mise en œuvre de leur plan de mobilité. » (lire ci-dessous les statistiques sur les accidents de trajet en Savoie et Haute-Savoie).


Financement : garder les excédents

Le mouvement des entreprises de France relève un autre aspect de la problématique : l’utilisation des excédents de la branche « accidents du travail-Maladies professionnelles » (AT-MP), la seule branche excédentaire de la Sécurité sociale. « Les partenaires sociaux ont souhaité voir ces excédents [en partie] réinvestis pour que les entreprises bénéficient de moyens supplémentaires pour travailler et agir sur la prévention : moyens bien trop faibles à notre goût mais moyens quand même », commente Marine Coquand.

Syndicats patronaux et de salariés sont en effet parvenus à un accord pour la période 2018-2022, comme l’explique bien notre confrère des Editions législatives. L’ensemble des excédents (661 M€ en 2018 ; 1,13 Md€ en 2017… la branche est excédentaire depuis 2013) ne sera pas affecté à la prévention : seulement 455 M€ sur 5 ans. Mais le gouvernement, lui aussi, dans son Projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale pour 2019, avait relevé la nécessité d’augmenter les moyens dédiés à la prévention qui plafonnent aux alentours de 3% des charges de la Sécurité sociale quand ils se situent autour de 10% en Allemagne.


Evolution réglementaire

Enfin, la représentante du Medef 73 rappelle qu’il faut prendre en compte, lors de la lecture des statistiques 2018, les évolutions réglementaires qui ont pris corps cette année là : depuis le 1er juillet 2018, dans le cadre d’une demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle, l’indemnisation au titre de la maladie professionnelle intervient, à titre rétroactif, dès la reconnaissance des premiers symptômes, alors qu’elle ne démarrait auparavant qu’après la reconnaissance du caractère professionnel par la Sécurité sociale. Une évolution qui confirme en fait une jurisprudence constante et qui profite au salarié : moins de démarches administratives et moins d’attente pour pouvoir bénéficier d’une meilleure indemnisation qu’en maladie « ordinaire ».

De même, « si la France apparaît comme à la traîne parmi les pays européens, conclut la porte-parole du Medef, c’est aussi parce que nous sommes un pays très protecteur avec une présomption d’origine [du caractère professionnel de la maladie] très forte . »



Au-delà du coût humain, les accidents génèrent un important déficit de production.
Photos de l’article : Fotolia


500 emplois de perdus
dans les accidents de trajets en Pays de Savoie

Les accidents de trajet sont 8 à 9 fois moins nombreux que les accidents de travail. Mais le problème reste néanmoins important : en 2018, 618 accidents de trajets entre le domicile et le travail ont été enregistrés en Savoie dont 414 ont donné lieu à 4 jours ou plus d’arrêt de travail, entraînant in fine 44 804 jours d’arrêts indemnisés. En Haute-Savoie ce fut 981 accident dont 696 avec 4 jours et plus d’arrêt pour 69 640 journées indemnisées. Soit un total, pour les Pays de Savoie, de 114 444 journées indemnisées : l’équivalent de plus de 500 emplois à temps plein sur l’année.

Cet article est un complément de celui paru dans Eco Savoie Mont Blanc du 21 février 2020 sur les chiffres et les conséquences socio-économiques des accidents du travail et des maladies professionnelles en Rhône-Alpes. Pour ne rien rater d’Eco, lisez nous sur tous les canaux !



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